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À la lueur de ma lanterne, je vis les barreaux se mettre lentement en marche. Déjà un espace de trente centimètres de large les séparait du mur à l’autre bout. Poussant un cri, je m’agrippai au dernier barreau et je tirai dessus avec la rage d’un dément. (Il est vrai que j’étais devenu fou de fureur et d’horreur). Pendant deux minutes environ, je maintins le barreau immobile. Je savais que mon cousin appuyait de toute sa force sur la manivelle, et que la puissance du levier finirait par vaincre ma résistance. Je ne cédai que centimètre par centimètre; mon pied glissait sur les dalles, mais je ne cessais de supplier ce monstre inhumain de m’épargner une mort aussi atroce. Je l’adjurais au nom de notre parenté. J’invoquais son hospitalité. Je l’implorais de me dire quel mal j’avais jamais pu lui faire. Ses seules réponses étaient les secousses qu’il imprimait à la manivelle; or, à chaque secousse, un nouveau barreau disparaissait par la fente. Je me laissai ainsi traîner tout au long de la cage, jusqu’à ce qu’enfin, les poignets meurtris et les doigts ensanglantés, je dusse renoncer à cette lutte inégale. Quand je le lâchai, le mur des barreaux disparut tout d’une pièce. Un instant après, j’entendis les mules rouges s’éloigner dans le couloir; la porte du fond se referma doucement. Tout alors fut silence.

Pendant ce temps, l’animal n’avait pas bougé. Il était resté étendu sur sa paille; sa queue avait cessé de battre. Le spectacle d’un homme collé aux barreaux et traîné devant lui l’avait apparemment rempli de stupeur. Je vis ses grands yeux me regarder fixement. J’avais posé à terre la lanterne quand j’avais voulu me cramponner aux barreaux; comme elle brûlait toujours, je voulus m’en saisir, avec l’idée que sa lumière pourrait me protéger; mais dès que j’esquissai ce geste, l’animal émit un grondement menaçant. Je m’arrêtai et m’immobilisai, avec l’épouvante dans le cœur. Le chat (en admettant que l’on puisse appeler d’un nom aussi aimable une bête aussi terrifiante) n’était pas à plus de trois mètres de moi. Ses yeux luisaient comme deux disques de phosphore dans l’obscurité. Ils étaient fascinants. Je ne pouvais détacher d’eux les miens. Dans ces moments d’une telle intensité, la nature nous joue des tours étranges: ces lueurs croissaient et décroissaient selon un rythme régulier. Tantôt elles ressemblaient à deux points minuscules d’une luminosité extrême, à des étincelles électriques dans une chambre noire, tantôt elles s’élargissaient et s’agrandissaient jusqu’à ce que tout l’angle qu’il occupait fût rempli de leur lumière funeste. Et puis elles s’éteignirent soudainement.

L’animal avait fermé les yeux. Je ne sais pas ce qu’il y a de vrai dans l’antique idée de la domination du regard humain; aussi bien le chat brésilien pouvait avoir sommeil. Toujours est-il qu’au lieu de manifester une intention agressive, il posa sa tête noire et lustrée sur ses grosses pattes antérieures, et m’eut tout l’air de vouloir dormir. N’osant pas bouger de peur d’altérer son humeur, au moins je pouvais réfléchir, puisque ces yeux épouvantables ne m’observaient plus. Donc, j’étais enfermé pour la nuit avec ce fauve. Mes instincts personnels se combinaient avec les propos du scélérat qui m’avait pris au piège pour m’avertir que j’avais affaire à un animal aussi féroce que son maître. Comment conjurer ce péril jusqu’au matin? Du côté de la porte, aucun espoir; quant aux fenêtres, elles étaient étroites, et munies de barreaux. Nulle part il n’y avait un refuge, un abri dans cette pièce nue. Appeler au secours aurait été absurde: je savais que ce repaire était une dépendance, et que le couloir qui le reliait à l’aile de la maison avait trente ou quarante mètres de long. En outre, avec la tempête qui se déchaînait à l’extérieur, mes cris ne seraient pas audibles. Je ne pouvais me fier qu’à mon courage et à mon astuce.

Hélas, une nouvelle vague de désespoir me submergea! Dans dix minutes la lanterne allait s’éteindre. Il ne me restait plus que dix minutes pour agir. Je me rendais compte que je serais incapable de me défendre si je demeurais dans les ténèbres en compagnie de ce fauve. Y penser me paralysait. Mes yeux angoissés firent le tour de cette chambre de condamné à mort; ils se posèrent sur le seul endroit qui ne me promettait pas une sécurité totale, mais où je me trouverais moins exposé que sur le plancher nu.

La cage avait un toit aussi bien qu’une façade; ce toit était demeuré horizontal quand la façade avait glissé par la fente. Son armature était constituée par des barreaux séparés par quelques centimètres de treillage en fil de fer, et il reposait de chaque côté sur un gros étai. Il ressemblait à un grand dais tendu au-dessus de la silhouette tapie dans l’angle. Entre cette étagère de fer et le plafond il y avait soixante-dix ou quatre-vingts centimètres. Si seulement je parvenais à grimper là et à me coincer entre les barreaux et le plafond, je ne serais plus vulnérable que d’un côté, ma sécurité étant assurée par dessous, par derrière, à la tête et aux pieds. Je ne pourrais être attaqué que par la face libre, sur le devant. Là, il est vrai, je ne bénéficiais d’aucune protection. Du moins ne me trouverais-je pas sur le chemin de l’animal quand il commencerait à tourner dans son repaire. Il lui faudrait rompre avec ses habitudes pour m’atteindre. Mais si je voulais agir, ce devait être maintenant ou jamais, car une fois la lanterne éteinte, je n’en aurais plus la possibilité. Avec une boule d’anxiété dans la gorge, je m’élançai; je saisis le rebord en fer du toit de la cage, et pantelant je fis un rétablissement pour me hisser au-dessus. En souplesse, je m’étendis sur le ventre, pour m’apercevoir que mon regard tombait droit dans les yeux terrifiants du chat. Il me soufflait son haleine puante dans la figure; j’avais l’impression de me trouver au-dessus d’une marmite d’immondices.

Il parut, toutefois, plus étonné qu’irrité. Dépliant toute la longueur de son dos noir, il se leva, s’étira et bailla; après quoi il se dressa sur ses pattes de derrière, appuya une patte antérieure contre le mur et leva l’autre pour faire passer ses griffes entre les fils de fer du treillage qui me supportait. Un crochet blanc, pointu, déchira mon pantalon (j’étais encore en costume de soirée) et creusa un sillon dans mon genou. Ce n’était pas, à proprement parler, une agression, mais plutôt une exploration. En effet, je laissai échapper un petit cri de douleur, et il retomba en arrière sur ses quatre pattes; sautant avec légèreté, il commença à faire le tour de la pièce, en levant de temps à autre la tête dans ma direction. Je me reculai le plus possible pour coller mon dos contre le mur. Plus je m’éloignerais du bord, plus il lui serait difficile de m’attaquer.

Depuis qu’il avait commencé à s’agiter, il semblait plus nerveux. Il courait rapidement et silencieusement tout autour de la salle, passait et repassait sous mon abri. C’était merveilleux de voir une aussi grosse masse filer comme une ombre sans autre bruit que le léger martèlement mat de ses pattes de velours! La flamme de la lanterne était presque invisible; je distinguais à peine l’animal. Et puis, sur une ultime lueur, elle s’éteignit. J’étais seul dans l’obscurité avec la bête.

Quand on sait qu’on a tenté tout le possible et même l’impossible, on affronte mieux un périclass="underline" on n’a plus qu’à attendre paisiblement la suite des événements. Dans le cas présent, j’occupais l’unique endroit qui m’assurait une sécurité relative. Je m’allongeai donc et je me laissai bercer par l’espoir que l’animal pourrait oublier ma présence si je ne faisais rien pour la lui rappeler. Je calculai qu’il devait être déjà deux heures du matin. À quatre heures il ferait jour. Deux heures à attendre!