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Alors le propriétaire s’éveilla dans le cœur indifférent de l’homme de lettres qui, souriant, ouvrit le vitrage pour montrer l’étendue de la perspective. Un horizon démesuré s’élargissait de tous les côtés, c’était Triel, Pisse-Fontaine, Chanteloup, toutes les hauteurs de l’Hautrie, et la Seine, à perte de vue. Les deux visiteurs en extase félicitaient ; et la maison leur fut ouverte. Ils virent tout, jusqu’à la cuisine élégante dont les murs et le plafond même, recouverts en faïence à dessins bleus, excitent l’étonnement des paysans.

« Comment avez-vous acheté cette demeure ? » demanda le journaliste. Et le romancier raconta que, cherchant une bicoque à louer pour un été il avait trouvé la petite maison, adossée à la nouvelle, qu’on voulait vendre quelques milliers de francs, une bagatelle, presque rien. Il acheta séance tenante.

— Mais tout ce que vous avez ajouté a dû vous coûter cher ensuite ?

L’écrivain sourit : « Oui, pas mal ! »

Et les deux hommes s’en allèrent.

Le journaliste, tenant le bras de Patissot, philosophait, d’une voix lente : « Tout général a son Waterloo, disait-il ; tout Balzac a ses Jardies et tout artiste habitant la campagne a son cœur de propriétaire. »

Ils prirent le train à la station de Villaines, et, dans le wagon, Patissot jetait tout haut les noms de l’illustre peintre et du grand romancier, comme s’ils eussent été ses amis. Il s’efforçait même de laisser croire qu’il avait déjeuné chez l’un et dîné chez l’autre.

VI

Avant la fête

La fête approche et des frémissements courent déjà par les rues, ainsi qu’il en passe à la surface des flots lorsque se prépare une tempête. Les boutiques, pavoisées de drapeaux, mettent sur leurs portes une gaieté de teinturerie, et les merciers trompent sur les trois couleurs comme les épiciers sur la chandelle. Les cœurs peu à peu s’exaltent ; on en parle après dîner sur le trottoir ; on a des idées qu’on échange :

« Quelle fête ce sera, mes amis, quelle fête ! »

— Vous ne savez pas ? Tous les souverains viendront incognito, en bourgeois, pour voir ça.

— Il paraît que l’empereur de Russie est arrivé ; il compte se promener partout avec le prince de Galles.

— Oh ! Pour une fête, ce sera une fête !

Ce sera une fête ; ce que M. Patissot, bourgeois de Paris, appelle une fête : une de ces innommables cohues qui, pendant quinze heures, roulent d’un bout à l’autre de la cité toutes les laideurs physiques chamarrées d’oripeaux, une houle de corps en transpiration où ballotteront, à côté de la lourde commère à rubans tricolores, engraissée derrière son comptoir et geignant d’essoufflement, l’employé rachitique remorquant sa femme et son mioche, l’ouvrier portant le sien à califourchon sur la tête, le provincial ahuri, à la physionomie de crétin stupéfait, le palefrenier rasé légèrement, encore parfumé d’écurie. Et les étrangers costumés en singes, des Anglaises pareilles à des girafes, et le porteur d’eau débarbouillé, et la phalange innombrable des petits bourgeois, rentiers, inoffensifs que tout amuse. O bousculade, éreintement, sueurs et poussière, vociférations, remous de chair humaine, extermination des cors aux pieds, ahurissement de toute pensée, senteurs affreuses, remuements inutiles, haleines des multitudes, brises à l’ail, donnez à M. Patissot toute la joie que peut contenir son cœur !

Il a fait ses préparatifs après avoir lu sur les murs de son arrondissement la proclamation du maire.

Elle disait, cette prose : « C’est principalement sur la fête particulière que j’appelle votre attention. Pavoisez vos demeures, illuminez vos fenêtres. Réunissez-vous, cotisez-vous, pour donner à vos maisons, à votre rue, une physionomie plus brillante, plus artistique que celle des maisons et des rues voisines. »

Alors M. Patissot chercha laborieusement quelle physionomie artistique il pouvait donner à son logis.

Un grave obstacle se présentait. Son unique fenêtre donnait sur une cour, une cour obscure, étroite, profonde, où les rats seuls eussent pu voir ses trois lanternes vénitiennes.

Il lui fallait une ouverture publique. Il la trouva. Au premier étage de sa maison habitait un riche particulier, noble et royaliste, dont le cocher, réactionnaire aussi, occupait, au sixième, une mansarde sur la rue. M. Patissot supposa que, en y mettant le prix, toute conscience peut être achetée, et il proposa cent sous à ce citoyen du fouet, pour lui céder son logis de midi jusqu’à minuit. L’offre aussitôt fut acceptée.

Alors il s’inquiéta de la décoration.

Trois drapeaux, quatre lanternes, était-ce assez pour donner à cette tabatière une physionomie artistique ?… pour exprimer toute l’exaltation de son âme ?… Non assurément ! Mais, malgré de longues recherches et des méditations nocturnes, M. Patissot n’imagina rien autre chose. Il consulta ses voisins, qui s’étonnèrent de sa question ; il interrogea ses collègues… Tout le monde avait acheté des lanternes et des drapeaux, en y joignant, pour le jour, des décorations tricolores.

Alors il se mit à la recherche d’une idée originale. Il fréquenta les cafés, abordant les consommateurs ; ils manquaient d’imagination. Puis, un matin, il monta sur l’impériale d’un omnibus. Un monsieur d’aspect respectable fumait un cigare à son côté ; un ouvrier, plus loin, grillait sa pipe renversée ; deux voyous blaguaient près du cocher ; et des employés de tout ordre allaient à leurs affaires moyennant trois sous.

Devant les boutiques, des gerbes de drapeaux resplendissaient sous le soleil levant. Patissot se tourna vers son voisin.

« Ce sera une belle fête », dit-il.

Le monsieur lui jeta un regard de travers, et, d’un air rogue :

« C’est ça qui m’est égal ! »

— Vous n’y prendrez pas part ? demanda l’employé stupéfait.

L’autre remua dédaigneusement la tête et déclara :

— Ils me font pitié avec leur fête ! De quoi la fête ? Est-ce du gouvernement ?… Je ne le connais pas, le gouvernement, moi, Monsieur !

Mais, Patissot, employé du gouvernement lui-même, le prit de haut, et, d’une voix ferme :

— Le gouvernement, Monsieur, c’est la République.

Son voisin ne fut pas démonté, et, mettant tranquillement ses mains dans ses poches :

— Eh bien, après ?… Je ne m’y oppose pas. La République ou autre chose, je m’en fiche. Ce que je veux, moi, Monsieur, je veux connaître mon gouvernement. J’ai vu Charles X et je m’y suis rallié, Monsieur ; j’ai vue Louis-Philippe, et je m’y suis rallié, Monsieur ; j’ai vu Napoléon, et je m’y suis rallié ; mais je n’ai jamais vu la République.