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26 juillet. – Quelques personnes semblent voir d’un œil choqué et mécontent mon intimité rapide avec les deux veuves.

Il existe donc des gens ainsi constitués qu’ils s’imaginent la vie faite pour s’embêter. Tout ce qui paraît être amusement devient aussitôt une faute de savoir-vivre ou de morale. Pour eux, le devoir a des règles inflexibles et mortellement tristes.

Je leur ferai observer avec humilité que le devoir n’est pas le même pour les Mormons, les Arabes, les Zoulous, les Turcs, les Anglais ou les Français. Et qu’il se trouve des gens fort honnêtes chez tous ces peuples.

Je citerai un seul exemple. Au point de vue des femmes, le devoir anglais est fixé à neuf ans, tandis que le devoir français ne commence qu’à quinze ans. Quant à moi je prends un peu de devoir de chaque peuple et j’en fais un tout comparable à la morale du saint roi Salomon.

27 juillet. – Bonne nouvelle. J’ai maigri de six cent vingt grammes. Excellente, cette eau de Châtel-Guyon ! J’emmène les veuves dîner à Riom. Triste ville dont l’anagramme constitue un fâcheux voisinage pour des sources guérisseuses : Riom, Mori.

28 juillet. – Patatras ! Mes deux veuves ont reçu la visite de deux messieurs qui viennent les chercher. – Deux veufs sans doute. – Elles partent ce soir. Elles m’ont écrit sur un petit papier.

29 juillet. – Seul ! Longue excursion à pied à l’ancien cratère de la Nachère. Vue superbe.

30 juillet. – Rien. – Je fais le traitement.

31 juillet. – Dito.Dito.

Ce joli pays est plein de ruisseaux infects. Je signale à la municipalité si négligente l’abominable cloaque qui empoisonne la route en face du grand hôtel. On y jette tous les débris de cuisine de cet établissement. C’est là un bon foyer de choléra.

1er août. – Rien. Le traitement.

2 août. – Admirable promenade à Châteauneuf, station de rhumatisants où tout le monde boite. Rien de plus drôle que cette population de béquillards !

3 août. – Rien. Le traitement.

4 août. – Dito.Dito.

5 août. – Dito.Dito.

6 août. – Désespoir !... Je viens de me peser. J’ai engraissé de trois cent dix grammes. Mais alors ?...

7 août. – Soixante-dix kilomètres en voiture dans la montagne. Je ne dirai pas le nom du pays par respect pour ses femmes.

On m’avait indiqué cette excursion comme belle et rarement faite. Après quatre heures de chemin, j’arrive à un village assez joli, au bord d’une rivière, au milieu d’un admirable bois de noyer. Je n’avais pas encore vu en Auvergne une forêt de noyers aussi importante.

Elle constitue d’ailleurs toute la richesse du pays, car elle est plantée sur le communal. Ce communal, autrefois, n’était qu’une côte nue couverte de broussailles. Les autorités essayèrent en vain de le faire cultiver ; c’est à peine s’il servait à nourrir quelques moutons.

C’est aujourd’hui un superbe bois, grâce aux femmes, et il porte un nom bizarre : on le nomme “les Péchés de M. le curé”.

Or, il faut dire que les femmes de la montagne ont la réputation d’être légères, plus légères que dans la plaine. Un garçon qui les rencontre leur doit au moins un baiser ; et s’il ne prend pas plus, il n’est qu’un sot. A penser juste, cette manière de voir est la seule logique et raisonnable. Du moment que la femme, qu’elle soit de la ville ou des champs, a pour mission naturelle de plaire à l’homme, l’homme doit toujours lui prouver qu’elle lui plaît. S’il s’abstient de toute démonstration, cela signifie donc qu’il la trouve laide ; c’est presque injurieux pour elle. Si j’étais femme je ne recevrais pas une seconde fois un homme qui ne m’aurait point manqué de respect à notre première rencontre, car j’estimerais qu’il a manqué d’égards pour ma beauté, pour mon charme, et pour ma qualité de femme.

Donc les garçons du village X... prouvaient souvent aux femmes du pays qu’ils les trouvaient de leur goût, et le curé ne pouvant parvenir à empêcher ces démonstrations aussi galantes que naturelles, résolut de les utiliser au profit de la prospérité générale. Il imposa donc comme pénitence à toute femme qui avait failli de planter un noyer sur le communal. Et l’on vit chaque nuit des lanternes errer comme des feux follets sur la colline, car les coupables ne tenaient guère à faire en plein jour leur pénitence.

En deux ans il n’y eut plus de place sur les terrains appartenant au village ; et on compte aujourd’hui plus de trois mille arbres magnifiques autour du clocher qui sonne les offices dans leur feuillage. Ce sont là les péchés de M. le curé.

Puisqu’on cherche tant les moyens de reboiser la France, l’administration des forêts ne pourrait-elle s’entendre avec le clergé pour employer le procédé si simple qu’inventa cet humble curé ?

7 août. – Traitement.

8 août. – Je fais mes malles et mes adieux au charmant petit pays tranquille et silencieux, à la montagne verte, aux vallons calmes, au casino désert d’où l’on voit, toujours voilée de sa brume légère et bleuâtre, l’immense plaine de la Limagne.

Je partirai demain matin. »

Le manuscrit s’arrêtait là. Je n’y veux rien ajouter, mes impressions sur le pays n’ayant pas été tout à fait les mêmes que celles de mon prédécesseur. Car je n’y ai pas trouvé les deux veuves !

25 août 1885

FIN