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Le papier fut mis dans un paquet et jeté sur une planche.»Il est bon de se reposer après le travail, pensa-t-il. C'est en se recueillant de la sorte que l'on apprend à se connaître. D'aujourd'hui seulement je sais ce que je contiens, et se connaître soi-même, voilà le véritable progrès. Que m'arrivera-t-il encore? Je vais sans nul doute avancer, on avance toujours.»

Quelque temps après, le papier fut mis sur la cheminée pour être brûlé, car on ne voulait pas le vendre au charcutier ou à l'épicier pour habiller des saucissons ou du sucre. Et tous les enfants de la maison se mirent à l'entourer; ils voulaient le voir flamber, et voir aussi, après la flamme, ces milliers d'étincelles rouges qui ont l'air de se sauver et s'éteignent si vite l'une après l'autre. Tout le paquet de papier fut jeté dans le feu.

Oh! Comme il brûlait! Ouf! Ce n'est plus qu'une grande flamme. Elle s'élevait la flamme, tellement, tellement que jamais le chanvre n'avait porté si haut ses petites fleurs bleues; elle brillait comme jamais la toile blanche n'avait brillé. Toutes les lettres, pendant un instant, devinrent toutes rouges. Tous les mots, toutes les pensées s'en allèrent en langues de feu.

«Je vais monter directement jusqu'au soleil,» disait une voix dans la flamme, et on eût dit mille voix réunies en une seule. La flamme sortit par le haut de la cheminée, et au milieu d'elle voltigeaient de petits êtres invisibles à l'oeil des hommes. Ils égalaient justement en nombre les fleurs qu'avait portées le chanvre. Plus légers que la flamme qui les avait fait naître, quand celle-ci fut dissipée, quand il ne resta plus du papier que la cendre noire, ils dansaient encore sur cette cendre, et formaient en l'effleurant des étincelles rouges.

Les enfants de la maison chantaient autour de la cendre inanimée:

Cric, crac! Cric, crac! Crac!

C'est fini! C'est fini! C'est fini!

Mais chacun des petits êtres disait: «Non, ce n'est pas fini; voici précisément le plus beau de l'histoire! Je le sais, et je suis bien heureux.»

Les enfants ne purent ni entendre ni comprendre ces paroles; du reste, ils n'en avaient pas besoin: les enfants ne doivent pas tout savoir.

Cinq dans une cosse de pois

Il y avait cinq petits pois dans une cosse, ils étaient verts, la cosse était verte, ils croyaient que le monde entier était vert et c'était bien vrai pour eux!

La cosse poussait, les pois grandissaient, se conformant à la taille de leur appartement, ils se tenaient droit dans le rang…

Le soleil brillait et chauffait la cosse, la pluie l'éclaircissant, il y faisait tiède et agréable, clair le jour, sombre la nuit comme il sied, les pois devenaient toujours plus grands et plus réfléchis, assis là en rang, il fallait bien qu'ils s'occupent.

– Me faudra-t-il toujours rester fixé ici? disaient-ils tous, pourvu que ce ne soit pas trop long, que je ne durcisse pas. N'y a-t-il pas au-dehors quelque chose, j'en ai comme un pressentiment.

Les semaines passèrent, les pois jaunirent, les cosses jaunirent.

– Le monde entier jaunit, disaient-ils.

Et ça, ils pouvaient le dire.

Soudain, il y eut une secousse sur la cosse, quelqu'un l'arrachait et la mettait dans une poche de veste avec plusieurs autres cosses pleines.

– On va ouvrir bientôt, pensaient-ils, et ils attendaient…

– Je voudrais bien savoir lequel de nous arrivera le plus loin, dit le plus petit pois. Nous serons bientôt fixés.

– À la grâce de Dieu! dit le plus gros.

Crac! voilà la cosse déchirée et tous les cinq roulèrent dehors au gai soleil dans la main d'un petit garçon qui les déclara bons pour son fusil de sureau, et il en mit un tout de suite dans son fusil… et tira.

– Me voilà parti dans le vaste monde cria le pois. M'attrape qui pourra… Et le voilà parti.

– Moi, dit le second, je vole jusqu'au soleil. Voilà un pois qui me convient… et le voilà parti.

– Je m'endors où je tombe, dirent les deux suivants, mais je roulerai sûrement encore. Ils roulèrent d'abord sur le parquet avant d'être placés dans le fusil.

– C'est nous qui irons le plus loin.

– Arrive que pourra, dit le dernier lorsqu'il fut tiré dans l'espace.

Il partit jusqu'à la vieille planche au-dessous de la fenêtre de la mansarde, juste dans une fente où il y avait de la mousse et de la terre molle-la mousse se referma sur lui et il resta là caché… mais Notre-Seigneur ne l'oubliait pas.

– Arrive que pourra, répétait-il.

Dans la mansarde habitait une pauvre femme qui le jour sortait pour nettoyer des poêles et même pour scier du bois à brûler et faire de gros ouvrages, car elle était forte et travailleuse, mais cela ne l'enrichissait guère. Dans la chambre sa fillette restait couchée, toute mince et maigriotte, elle gardait le lit depuis un an et semblait ne pouvoir ni vivre, ni mourir.

– Elle va rejoindre sa petite soeur, disait la femme. J'avais deux filles et bien du mal à pourvoir à leurs besoins alors le Bon Dieu a partagé avec moi, il en a pris une auprès de lui et maintenant je voudrais bien conserver l'autre, mais il ne veut peut-être pas qu'elles restent séparées, alors celle-ci va sans doute monter auprès de sa soeur.

Cependant la petite fille malade restait là, elle restait couchée, patiente et silencieuse tout le jour tandis que sa mère était dehors pour gagner un peu d'argent.

Un matin de bonne heure, au printemps, au moment où la mère allait partir à son travail, le soleil brillait gaiement à la petite fenêtre et sur le parquet, la petite fille malade regardait la vitre d'en bas.

– Qu'est-ce donc que cette verdure qui pointe vers le carreau? Ça remue au vent.

La mère alla vers la fenêtre et l'entrouvrit.

– Tiens, dit-elle, c'est un petit pois qui a poussé là avec ses feuilles vertes. Comment est-il arrivé dans cette fente? Te voilà avec un petit jardin à regarder.

Le lit de la malade fut traîné plus près de la fenêtre pour qu'elle puisse voir le petit pois qui germait et la mère partit à son travail.

– Maman, je crois que je vais guérir, dit la petite fille le soir à sa mère. Le petit pois vient si bien, et moi je vais sans doute me porter bien aussi, me lever et sortir au soleil.

– Je le voudrais bien, dit la mère, mais elle ne le croyait pas.

Cependant, elle mit un petit tuteur près du germe qui avait donné de joyeuses pensées à son enfant afin qu'il ne soit pas brisé par le vent et elle attacha une ficelle à la planche d'un côté et en haut du chambranle de la fenêtre de l'autre, pour que la tige eût un support pour s'appuyer et s'enrouler à mesure qu'elle pousserait. Et c'est ce qu'elle fit, on la voyait s'allonger tous les jours.

– Non, voilà qu'elle fleurit! s'écria la femme un matin.

Et elle-même se prit à espérer et même à croire que sa petite fille malade allait guérir. Il lui vint à l'esprit que dans les derniers temps la petite lui avait parlé avec plus d'animation, que ces derniers matins elle s'était assise dans son lit et avait regardé, les yeux rayonnants de plaisir, son petit potager d'un seul pois. La semaine suivante, elle put lever la malade pour la première fois et pendant plus d'une heure.

Elle était assise au soleil, la fenêtre ouverte, et là, dehors, une fleur de pois rose était éclose.

La petite fille pencha sa tête en avant et posa un baiser tout doucement sur les fins pétales. Ce jour-là, fut un jour de fête.

– C'est le Bon Dieu qui a lui-même planté ce pois et l'a fait pousser afin de te donner de l'espoir et de la joie, mon enfant bénie. Et à moi aussi, dit la mère tout heureuse.

Elle sourit à la fleur comme à un ange de Dieu.

Mais les autres pois? direz-vous, oui, ceux qui se sont envolés dans le vaste monde.