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Il y avait là une table couverte d'une belle nappe, sur laquelle se trouvaient un rôti, un superbe poisson et une bouteille de vin.

La paysanne et le sacristain du village étaient assis devant la table, personne d'autre; l'hôtesse versait du vin au sacristain qui s'apprêtait à manger une tranche du poisson, un brochet, son mets favori.

Claus, qui n'avait pas soupé, tendait le cou et regardait avidement ces savoureuses victuailles. Et ne voilà-t-il pas qu'il aperçoit encore un magnifique gâteau tout doré qui était destiné au dessert. Quel régal cela faisait!

Tout à coup on entend le pas d'un cheval; il s'arrête devant la maison: il ramenait le fermier, le mari de la paysanne.

C'était un excellent homme; mais un jour, étant gamin, il avait été battu par un sacristain qui le croyait coupable d'avoir sonné les cloches à une heure indue. C'était un de ses camarades qui avait fait le tour. Depuis ce jour notre fermier avait juré une haine féroce à toute la gent des sacristains; il lui suffisait d'en apercevoir un pour se mettre en fureur.

Si le sacristain était allé dire bonsoir à la fermière, c'est qu'il savait le maître de la maison absent; la paysanne, qui ne partageait pas les préjugés de son mari, lui avait préparé ce beau festin.

Lorsqu'ils entendirent les pas du cheval et qu'ils reconnurent le fermier à travers les fentes du volet, ils furent très effrayés, et la paysanne supplia le sacristain de se cacher dans une grande caisse vide; il le fit volontiers; il savait que le brave fermier avait la faiblesse de ne pas supporter la vue d'un sacristain. Puis la femme cacha vite dans le four les mets, le gâteau et la bouteille de vin; si le mari avait vu tous ces apprêts, il aurait demandé ce que cela signifiait; il aurait fallu mentir, et peut-être se serait-elle troublée.

– Quel malheur! s'écria petit Claus du haut se son toit, lorsqu'il vit disparaître des plats appétissants.

– Hé? qui est donc là? dit le fermier entendant cette exclamation.

Il leva la tête et aperçut petit Claus. Celui-ci raconta ce qui lui était arrivé et demanda la permission de rester sur le toit de chaume.

– Descends donc plutôt, répondit le fermier, tu dormiras dans la maison, et puis tu ne refuseras sans doute pas de souper avec moi.

La femme le reçut avec force sourires et démonstrations de joie; elle remit la nappe sur la table et leur servit un grand plat rempli de soupe. Le fermier, qui avait très faim, se mit à manger de bon appétit; petit Claus ne trouvait pas la soupe mauvaise, mais il pensait avec regret au succulent rôti, au poisson, au gâteau qu'il avait vu disparaître dans le four.

Il avait placé sous la table le sac avec la peau de cheval, et il avait ses pieds dessus. Dans son dépit de ne rien goûter de toutes ces bonnes choses, il eut un mouvement d'impatience et il appuya brusquement du pied sur le sac; la peau fraîchement séchée craqua bruyamment.

– Pst! pst! dit petit Claus, comme s'il voulait faire taire quelqu'un.

Mais en même temps il donna un nouveau coup de pied au sac, et on entendit un craquement encore plus fort.

– Tiens, dit le paysan, qu'as-tu donc là dans ce sac?

– C'est un magicien, répondit petit Claus. Il m'apprend, dans son langage, que nous devrions laisser la soupe, et manger le rôti, le poisson et le gâteau que par enchantement il a fait venir dans le four.

– N'est-ce pas une plaisanterie? s'exclama le fermier.

Et il sauta sur la porte du four et resta les yeux écarquillés devant les mets friands et succulents que sa femme y avait cachés, mais qu'il crut apportés là par un magicien.

La fermière fit également l'étonnée et se garda bien de risquer une observation; elle servit sur la table rôti, poisson et gâteau, et les deux hommes s'en régalèrent à coeur joie.

Voilà que Claus donna de nouveau en tapinois un coup de pied à son sac; le même craquement se fit entendre.

– Que dit-il encore? demanda le fermier.

– Il me conte, répondit le petit Claus, qu'il ne veut pas que nous ayons soif; toujours par enchantement, il a fait arriver à travers les airs trois bouteilles d'excellent vin qui sont quelque part dans un coin, ici, dans la chambre.

Le fermier chercha et aperçut en effet les bouteilles, que la pauvre femme fut contrainte de déboucher et de placer sur la table. Les deux hommes s'en versèrent de copieuses rasades, et le fermier devint très joyeux.

– Dis donc, demanda-t-il, ton magicien peut-il aussi évoquer le diable? En ce moment que je me sens si bien et de si bonne humeur, rien ne me divertirait mieux que de voir maître Belzébuth faire ses grimaces.

– Oh! oui, répondit Claus, mon sorcier fait tout ce que je lui demande. N'est-il pas vrai? continua-t-il, en heurtant son sac du pied. Tu entends, il dit oui. Mais il ajoute que le diable est si laid, que nous ferions mieux de ne pas demander à le voir.

– Oh! je n'ai pas peur aujourd'hui, dit le fermier. À qui peut-il bien ressembler, Satan?

– Il a tout à fait l'air d'un sacristain.

– Ah! dit le paysan. Dans ce cas, il est affreux, en effet. Il faut que tu saches que j'ai les sacristains en horreur. Tant pis, cependant; comme je suis prévenu que ce n'est pas un vrai sacristain, mais bien le diable en personne, sa vue ne me fera pas une impression trop désagréable. Vidons encore la dernière bouteille, pour nous donner du courage. Recommande toutefois qu'il ne m'approche pas de trop près.

– Voyons, es-tu bien décidé? dit petit Claus; alors je vais consulter mon magicien.

Il remua son sac et tint son oreille contre.

– Eh bien? dit le paysan.

– Il dit que vous pouvez allez ouvrir le grand coffre qui est là-bas dans le coin; vous y verrez le diable qui s'y tient blotti; mais tenez bien le couvercle et ne le soulevez pas trop, pour que le malin ne s'échappe pas.

– En avant! dit le fermier; viens m'aider à tenir ferme le couvercle.

Ils allèrent vers la caisse où le pauvre sacristain était accroupi, tout tremblant de peur. Le paysan leva un peu le dessus et regarda.

– Oh! s'écria-t-il en faisant un saut en arrière. Je l'ai donc vu, cet affreux Satan. En effet, c'est notre sacristain tout vif. Oh! quelle horreur!

Pour se remettre de son émotion, le fermier voulut boire encore un coup; comme les trois bouteilles étaient vides, il alla en chercher une à la cave. Ils restèrent longtemps ainsi à trinquer et à jaser.

– Ce magicien, dit enfin le paysan, il faut que tu me le vendes. Demande le prix que tu veux. Tiens, je te donnerai un boisseau plein d'écus.

– Non, je ne puis pas, répondit petit Claus. Pense donc quel profit je puis tirer de cet obligeant sorcier qui fait tout ce que je veux.

– Voyons, fais-moi cette amitié, dit le paysan. Si tu ne me le donnes pas, je me consumerai de regret.

– Allons, soit! puisque tu as montré ton bon coeur en m'offrant un gîte pour la nuit, je ferai ce sacrifice. Mais tu sais, j'aurai un plein boisseau d'écus, et la bonne mesure?

– C'est entendu, dit le paysan. Il faut aussi que tu emportes cette caisse là bas; je ne veux plus l'avoir une minute à la maison. On ne sait pas, peut-être le diable y est-il resté logé.

Le marché conclu, petit Claus voulut absolument partir au milieu de la nuit, de peur que le paysan ne vînt à changer d'avis; il livra sa marchandise, son sac avec la peau, et reçut tout un boisseau de beaux écus trébuchants; pour qu'il pût emporter la caisse, le paysan lui donna en outre une petite charrette. Petit Claus y chargea son argent et le coffre contenant le sacristain; après une cordiale poignée de main échangée avec le paysan, il s'en alla, reprenant le chemin de sa maison. Il traversa de nouveau la grande forêt et arriva sur les bords d'un fleuve large et profond, dont le courant était si rapide que les plus forts nageurs avaient bien de la peine à le remonter. On y avait construit tout nouvellement un pont. Petit Claus s'y engagea, poussant sa charrette; au milieu il s'arrêta et dit tout haut, pour que le sacristain pût l'entendre: