– Bon à rien. Sortez!
L'autre frère entra.
– Il fait terriblement chaud ici, commença-t-il…
– Oui, nous rôtissons des poulets aujourd'hui.
– Comment? Quoi? Quoi? dit-il.
Et tous les journalistes écrivaient: «Comment? quoi? quoi?»
– Bon à rien! Sortez!
Vint le tour de Hans le Balourd. Il entra sur son bouc jusqu'au milieu de la salle.
– Quelle fournaise! dit-il.
– Oui, nous rôtissons des poulets aujourd'hui.
– Quelle chance! fit Hans le Balourd, alors je pourrai sans doute me faire rôtir une corneille.
– Mais bien sûr dit la princesse, mais as-tu quelque chose pour la faire rôtir, car moi je n'ai ni pot ni poêle.
– Et moi j'en ai, dit Hans, voilà une casserole cerclée d'étain.
Et il sortit le vieux sabot et posa la corneille au milieu.
– Voilà tout un repas, dit la fille du roi, mais où prendrons-nous la sauce?
– Dans ma poche, dit Hans le Balourd. J'en ai tant que je veux!
Et il fit couler un peu de boue de sa poche.
– Ça, ça me plaît! dit la fille du roi. Toi, tu as réponse à tout et tu sais parler et je te veux pour époux. Mais sais-tu que chaque mot que nous avons dit paraîtra demain matin dans le journal? À chaque fenêtre se tiennent trois secrétaires-journalistes et un vieux maître juré (surveillant) et ce vieux-là est pire encore que les autres car il ne comprend rien de rien.
Elle disait cela pour lui faire peur. Tous les secrétaires-journalistes, par protestation, firent des taches d'encre sur le parquet.
– Voilà du beau monde! dit Hans le Balourd. Je vois qu'il faut que je m'en mêle et que je donne à leur patron tout ce que j'ai de mieux.
Il retourna sa poche et lança au maître juré le reste de la boue en pleine figure.
– Ça, c'est du beau travail! dit la princesse, je n'en aurais pas fait autant… Mais j'apprendrai à mon tour à les traiter comme ils le méritent.
C'est ainsi que Hans le Balourd devint roi, il eut une femme et une couronne et s'assit sur un trône et c'est le journal qui nous en informa… mais peut-on vraiment se fier aux journaux?
L'heureuse famille
La plus grande feuille dans ce pays est certainement la feuille de bardane. Si on la tient devant son petit estomac, on croit avoir un véritable tablier et si, les jours de pluie, on la pose sur sa tête, elle vaut presque un parapluie, tant elle est immense. Jamais une bardane ne pousse isolée; où il y en a une, il y en a beaucoup d'autres et c'est une nourriture véritablement délicieuse pour les escargots. Je parle des grands escargots blancs que les gens distingués faisaient autrefois préparer en fricassée. Il y avait un vieux château où l'on ne mangeait plus d'escargots, ils avaient presque disparu, mais la bardane, elle, était plus vivace que jamais, elle envahissait les allées et les plates-bandes; on ne pouvait en venir à bout, c'était une vraie forêt. De-ci, de-là s'élevait un prunier ou un pommier, sans lesquels on n'aurait jamais cru que ceci avait été un jardin. Tout était bardane… et là-dedans vivaient les deux derniers et très vieux escargots. Ils ne savaient pas eux-mêmes quel âge ils pouvaient avoir, mais ils se souvenaient qu'ils avaient été très nombreux, qu'ils étaient d'une espèce venue de l'étranger, et que c'est pour eux que toute la forêt avait été plantée. Ils n'en étaient jamais sortis, mais ils savaient qu'il y avait dans le monde quelque chose qui s'appelait «le château», où l'on était apporté pour être cuit, ce qui avait pour effet de vous faire devenir tout noir, puis on était posé sur un plat d'argent, sans que l'on puisse savoir ce qui arrivait par la suite. Être cuit, devenir tout noir et couché sur un plat d'argent, ils ne s'imaginaient pas ce que cela pouvait être, mais ce devait être très agréable et supérieurement distingué. Ni la taupe, ni le crapaud, ni le ver de terre interrogés, ne pouvaient donner là-dessus le moindre renseignement, aucun d'eux n'avait été cuit. Les vieux escargots blancs savaient qu'ils étaient les plus nobles de tous, la forêt existait à leur usage unique et le château était là afin qu'ils puissent être cuits et mis sur un plat d'argent. Ils vivaient très solitaires, mais heureux et comme ils n'avaient pas d'enfants, ils avaient recueilli un petit colimaçon tout ordinaire, qu'ils élevaient comme s'il était leur propre fils. Le petit ne grandissait guère parce qu'il était d'une espèce très vulgaire. Un jour, une forte pluie tomba.
– Écoutez comme ça tape sur les feuilles de bardane! dit le père.
– Et les gouttes transpercent tout, dit la mère. Il y en a qui descendent même le long des tiges. Tout va être mouillé. Quelle chance d'avoir chacun une bonne maison et le petit aussi. On a fait plus pour nous que pour toutes les autres créatures, on voit bien que nous sommes les maîtres du monde! Dès notre naissance, nous avons notre propre maison et la forêt de bardanes semée pour notre usage. Je me demande ce qu'il y a au-delà.
– Il n'y a rien au-delà, dit le père. Nulle part, on pourrait être mieux que chez nous et je n'ai rien à désirer.
– Si, dit la mère, je voudrais être portée au château, être cuite et mise sur un plat d'argent. Tous nos ancêtres l'ont été et, crois-moi, ce doit être quelque chose d'extraordinaire.
– Le château est sans doute écroulé, dit le père, ou bien la forêt a poussé par-dessus, et les hommes n'ont plus pu en sortir. Du reste, il n'y a rien d'urgent à le savoir. Mais tu es toujours si agitée et le petit commence à l'être aussi-ne grimpe-t-il pas depuis trois jours le long de cette tige?-Ne le gronde pas, dit la mère, il grimpe si prudemment; tu verras, nous en aurons de la satisfaction, et nous autres vieux n'avons pas d'autre raison d'exister. Mais une chose me préoccupe: comment lui trouver une femme? Crois-tu que, au loin dans la forêt, on trouverait encore une jeune fille de notre race?
– Oh! des limaces noires, ça je crois qu'il y en a encore, mais sans coquille et vulgaires! Et avec ça, elles ont des prétentions. Nous pourrions en parler aux fourmis qui courent de tous les côtés, comme si elles avaient quelque chose à faire. Peut-être qu'elles connaîtraient une femme pour notre petit?
– Je connais la plus belle des belles, dit la fourmi, mais je crains qu'elle ne fasse pas l'affaire; c'est une reine!
– Qu'est-ce que ça fait, dit le père, a-t-elle une «maison»?
– Un château qu'elle a, dit la fourmi, un merveilleux château de fourmis, avec sept cents couloirs.
– Merci bien, dit la mère, notre fils n'ira pas dans une fourmilière. Si vous n'avez rien de mieux à nous offrir, nous nous adresserons aux moustiques blancs; ils volent de tous côtés sous la pluie et dans le soleil et connaissent la forêt.
– Nous avons une femme pour lui, susurrèrent les moustiques. À cent pas humains d'ici se tient, sur un groseillier, une petite fille escargot à coquille qui est là toute seule et en âge de se marier.
– Qu'elle vienne vers lui, dit le père; il possède une forêt de bardanes, elle n'a qu'un simple buisson… Alors les moustiques allèrent chercher la petite jeune fille escargot. On l'attendit huit jours, ce qui prouve qu'elle était bien de leur race. Ensuite, la noce eut lieu. Six vers luisants étincelèrent de leur mieux. Du reste, tout se passa très calmement, le vieux ménage escargots ne supportant ni la bombance, ni le chahut. Maman escargot tint un émouvant discours-le père était trop ému-, et c'est toute la forêt de bardanes que le jeune ménage reçut en dot, les parents disant, comme ils l'avaient toujours dit, que c'était là ce qu'il y avait de meilleur au monde, et que si les jeunes vivaient dans l'honnêteté et la droiture et se multipliaient, eux et leurs enfants auraient un jour l'honneur d'être portés au château, cuits et mis sur un plat d'argent. Après ce discours, les vieux rentrèrent dans leur coquille et n'en sortirent plus jamais. Ils dormaient. Le jeune couple régna sur la forêt et eut une grande descendance, mais ils ne furent jamais cuits et ils n'eurent jamais l'honneur du plat d'argent. Ils en conclurent que le château s'était écroulé, que tous les hommes sur la terre étaient morts. La pluie battait sur les feuilles de bardane pour leur offrir un concert de tambours, le soleil brillait afin de donner une belle couleur aux feuilles de bardane. Ils en étaient très heureux, oui, toute la famille vivait heureuse.