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Ses amis l'abandonnèrent puisqu'il ne pouvait plus se promener avec eux dans la rue. Mais l'un d'entre eux, qui était bon, lui envoya une vieille malle en lui disant: «Fais tes paquets!»

C'était vite dit, il n'avait rien à mettre dans la malle. Alors, il s'y mit lui-même.

Quelle drôle de malle! si on appuyait sur la serrure, elle pouvait voler.

C'est ce qu'elle fit, et pfut! elle s'envola avec lui à travers la cheminée, très haut, au-dessus des nuages, de plus en plus loin. Le fond craquait, notre homme craignait qu'il ne se brise en morceaux, il aurait fait une belle culbute! Grand Dieu!… et puis, il arriva au pays des Turcs. Il cacha la malle dans la forêt, sous des feuilles sèches, et entra tel qu'il était, dans la ville, ce qu'il pouvait bien se permettre puisque, en Turquie, tout le monde se promène en robe de chambre et en pantoufles.

Il rencontra une nourrice avec un petit enfant.

– Écoute un peu, nourrice turque, dit-il, qu'est-ce que c'est que ce grand château près de la ville? Les fenêtres en sont si hautes!

– C'est là qu'habite la fille du roi, répondit-elle. Il lui a été prédit qu'elle serait très malheureuse par le fait d'un fiancé, c'est pourquoi personne ne doit aller chez elle sans que le roi et la reine soient présents.

– Merci, dit le fils du marchand.

Il retourna dans la forêt, s'assit dans la malle, vola jusqu'au toit du château et se glissa par la fenêtre chez la princesse.

Elle était couchée sur le sofa et dormait. Elle était si adorable que le fils du marchand ne put se retenir de lui donner un baiser. Elle s'éveilla, effrayée, mais il lui affirma qu'il était le dieu des Turcs et qu'il était venu vers elle à travers les airs, ce qui plut beaucoup à la demoiselle.

Ils s'assirent l'un à côté de l'autre et il lui raconta des histoires: ses yeux étaient les plus beaux lacs sombres sur lesquels les pensées nageaient comme des sirènes, son front était un mont neigeux aux salles magnifiques, pleines d'images. Il parla aussi des cigognes qui apportent les mignons bébés. Quelles belles histoires! alors, il demanda sa main à la princesse, et elle dit «oui» tout de suite.

– Mais revenez ici samedi, lui dit-elle, car le roi et la reine viennent prendre le thé chez moi. Ils seront très fiers de me voir épouser le dieu des Turcs, mais sachez leur raconter un très beau conte car ils les aiment énormément; ma mère les veut moraux et distingués, mais père les apprécie très gais, que l'on puisse rire.

– Bien! Je n'apporterai d'autre cadeau de mariage qu'un conte, répondit-il.

Là-dessus, ils se quittèrent après que la princesse lui eut donné un sabre incrusté de pièces d'or, et c'est cela surtout qui pouvait lui être utile.

Il s'envola, s'acheta une nouvelle robe de chambre et s'assit dans la forêt pour composer un conte. Il devait être terminé samedi, et ce n'est pas si facile. Pourtant, quand vint le samedi, c'était fait.

Le roi, la reine et toute la cour prenaient le thé chez la princesse et l'attendaient. Il fut reçu avec beaucoup de gentillesse.

– Voulez-vous nous raconter une histoire? demanda la reine, une histoire d'un esprit profond et instructif.

– Mais qui fait quand même rire, dit le roi.

– Je veux bien, dit-il. Et il se mit à raconter.

Il y avait une fois un paquet d'allumettes, très fières de leur origine. Leur ancêtre, un grand sapin, dont elles étaient toutes nées, avait été un grand, vieil arbre, dans la forêt. Les allumettes se trouvaient maintenant sur une tablette entre un briquet et une vieille marmite de fer, et elles parlaient de leur jeunesse.

– Quand nous étions parmi les rameaux verts, soupiraient-elles, on peut dire que c'était la belle vie. C'était matin et soir thé de diamants -la rosée-toute la journée le soleil quand il brillait-et les oiseaux pour nous raconter des histoires.

Et nous nous sentions riches! Les arbres à feuillage n'étaient vêtus que l'été. Nous, nous avions les moyens d'être habillées de vert été comme hiver. Mais les bûcherons sont venus et ça a été la grande révolution: notre famille fut dispersée.

Notre père le tronc fut placé comme grand mât sur un splendide navire qui pouvait faire le tour du monde, s'il le voulait; les autres branches furent utilisées ailleurs, et notre sort, à nous, est maintenant d'allumer les lumières pour les gens du commun. C'est pourquoi nous, gens de qualité, avons échoué à la cuisine.

– Mon histoire est toute différente, dit la marmite. Depuis que je suis venue au monde, on m'a récurée et fait bouillir tant de fois! Je pourvois au substantiel et suis réellement la personne la plus importante de la maison. Ma seule joie c'est, après le repas, de m'étendre propre et récurée sur une planche et de tenir la conversation avec les camarades. Mais à l'exception du seau d'eau qui, de temps en temps, descend dans la cour, nous vivons très renfermés. Notre seul agent d'information est le panier à provisions, mais il parle avec tant d'agitation du gouvernement et du peuple! Oui, l'autre jour, un vieux pot, effrayé de l'entendre, est tombé et s'est cassé en mille morceaux -il a des idées terriblement avancées, vous savez!

– Tu parles trop, dit le briquet. Son acier frappa la pierre à fusil qui lança des étincelles. Tâchons plutôt de passer une soirée un peu gaie.

– Oui, dirent les allumettes. Cherchons qui sont, ici, les gens du plus haut rang.

– Non, je n'aime pas à parler de moi, dit le pot de terre, ayons une soirée de simple causerie. Je commencerai. Racontons quelque chose que chacun a vécu, c'est bien facile et si amusant.

– Au bord de la Baltique, sous les hêtres danois…

– Quel charmant début! interrompirent les assiettes. Nous sentons que nous aimerons cette histoire!

– Oui, j'ai passé là ma jeunesse dans une paisible famille. Les meubles étaient cirés, les parquets lavés, les rideaux changés tous les quinze jours.

– Comme vous racontez d'une manière intéressante! dit le balai à poussière. On se rend compte tout de suite que c'est une femme qui parle; il y a quelque chose de si propre dans votre récit.

– Oui, ça se sent, dit le seau d'eau. Et, de plaisir, il fit un petit bond et l'on entendit «platch» sur le parquet.

Le pot de terre continua son récit dont la fin était aussi bonne que le commencement. Les assiettes s'entrechoquaient d'admiration, et le balai prit un peu de persil et en couronna le pot parce qu'il savait que cela vexerait les autres, et aussi parce qu'il pensait: «Si je le couronne aujourd'hui, il me couronnera demain.»

– Maintenant, je vais danser pour vous, dit la pincette.

Et elle dansa. Grand Dieu! comme elle savait lancer la jambe! La vieille garniture de chaise, dans le coin, craqua d'intérêt devant ce spectacle.

– Est-ce que je serai couronnée? demanda la pincette. Et elle le fut.

– Comme elle est vulgaire, pensèrent les allumettes.

C'était au tour de la bouilloire à thé de chanter, mais elle prétendait avoir un rhume et ne pouvoir chanter qu'au moment de bouillir. Ce n'était qu'une poseuse qui ne voulait se produire que sur la table des maîtres.

Sur la fenêtre, il y avait une vieille plume dont la servante se servait pour écrire. Elle n'avait rien de remarquable sinon qu'elle avait été plongée trop profondément dans l'encrier, ce dont elle tirait grande vanité.

– Si la bouilloire à thé ne veut pas chanter, dit-elle, elle n'a qu'à s'abstenir. Il y a là dehors, dans une cage, un rossignol. Lui sait chanter quoiqu'il n'ait jamais appris. Il nous suffira pour ce soir.

– Je trouve fort inconvenant, dit la bouilloire qui était la cantatrice de la cuisine, qu'un oiseau étranger se produise ici. Est-ce patriotique? J'en fais juge le panier à provisions.

– Je suis vexé, dit le panier à provisions, plus que vous ne le pensez peut-être! Est-ce une manière convenable de passer la soirée? Ne vaudrait-il pas mieux réformer toute la maison, mettre chacun à sa place? Je dirigerais le mouvement. Ce serait autre chose.