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Dessin de Henry Altemus

Frérot et sœurette

Frérot prit sa sœurette par la main et dit:

– Depuis que notre mère est morte, nous ne connaissons plus que le malheur. Notre belle-mère nous bat tous les jours et quand nous voulons nous approcher d'elle, elle nous chasse à coups de pied. Pour nourriture, nous n'avons que de vieilles croûtes de pain, et le petit chien, sous la table, est plus gâté que nous; de temps à autre, elle lui jette quelques bons morceaux. Que Dieu ait pitié de nous! Si notre mère savait cela! Viens, nous allons partir par le vaste monde!

Tout le jour ils marchèrent par les prés, les champs et les pierrailles et quand la pluie se mit à tomber, sœurette dit:

– Dieu et nos cœurs pleurent ensemble!

Au soir, ils arrivèrent dans une grande forêt. Ils étaient si épuisés de douleur, de faim et d'avoir si longtemps marché qu'ils se blottirent au creux d'un arbre et s'endormirent.

Quand ils se réveillèrent le lendemain matin, le soleil était déjà haut dans le ciel et sa chaleur pénétrait la forêt. frérot dit à sa sœur:

– Sœurette, j'ai soif. Si je savais où il y a une source, j'y courrais pour y boire; il me semble entendre murmurer un ruisseau.

Il se leva, prit Sœurette par la main et ils partirent tous deux à la recherche de la source. Leur méchante marâtre était en réalité une sorcière et elle avait vu partir les enfants. Elles les avait suivis en secret, sans bruit, à la manière des sorcières, et avait jeté un sort sur toutes les sources de la forêt. Quand les deux enfants en découvrirent une qui coulait comme du vif argent sur les pierres, Frérot voulut y boire. Mais Sœurette entendit dans le murmure de l'eau une voix qui disait: «Qui me boit devient tigre. Qui me boit devient tigre.» Elle s'écria:

– Je t'en prie, Frérot, ne bois pas; sinon tu deviendras une bête sauvage qui me dévorera. Frérot ne but pas, malgré sa grande soif, et dit:

– J'attendrai jusqu'à la prochaine source.

Quand ils arrivèrent à la deuxième source, Sœurette l'entendit qui disait: «Qui me boit devient loup. Qui me boit devient loup.» Elle s'écria:

– Frérot, je t'en prie, ne bois pas sinon tu deviendras loup et tu me mangeras.

Frérot ne but pas et dit:

– J'attendrai que nous arrivions à une troisième source, mais alors je boirai, quoi que tu dises, car ma soif est trop grande.

Quand ils arrivèrent à la troisième source, Sœurette entendit dans le murmure de l'eau: «Qui me boit devient chevreuil. Qui me boit devient chevreuil.» Elle dit:

– Ah! Frérot, je t'en prie, ne bois pas, sinon tu deviendras chevreuil et tu partiras loin de moi.

Mais déjà Frérot s'était agenouillé au bord de la source, déjà il s'était penché sur l'eau et il buvait. Quand les premières gouttes touchèrent ses lèvres, il fut transformé en jeune chevreuil.

Sœurette pleura sur le sort de Frérot et le petit chevreuil pleura aussi et s'allongea tristement auprès d'elle. Finalement, la petite fille dit:

– Ne pleure pas cher petit chevreuil, je ne t'abandonnerai jamais.

Elle détacha sa jarretière d'or, la mit autour du cou du chevreuil, cueillit des joncs et en tressa une corde souple. Elle y attacha le petit animal et ils s'enfoncèrent toujours plus avant dans la forêt. Après avoir marché longtemps, longtemps, ils arrivèrent à une petite maison. La jeune fille regarda par la fenêtre et, voyant qu'elle était vide, elle se dit: «Nous pourrions y habiter.» Elle ramassa des feuilles et de la mousse et installa une couche bien douce pour le chevreuil. Chaque matin, elle faisait cueillette de racines, de baies et de noisettes pour elle et d'herbe tendre pour Frérot. Il la lui mangeait dans la main, était content et folâtrait autour d'elle. Le soir, quand Sœurette était fatiguée et avait dit sa prière, elle appuyait sa tête sur le dos du chevreuil -c'était un doux oreiller – et s'endormait. Leur existence eût été merveilleuse si Frérot avait eu son apparence humaine!

Pendant quelque temps, ils vécurent ainsi dans la solitude. Il arriva que le roi du pays donna une grande chasse dans la forêt. On entendit le son des trompes, la voix des chiens et les joyeux appels des chasseurs à travers les arbres. Le petit chevreuil, à ce bruit, aurait bien voulu être de la fête.

– Je t'en prie, Sœurette, laisse-moi aller à la chasse, dit-il; je n'y tiens plus. Il insista tant qu'elle finit par accepter.

– Mais, lui dit-elle, reviens ce soir sans faute. Par crainte des sauvages chasseurs, je fermerai ma porte. À ton retour, pour que je te reconnaisse, frappe et dis «Sœurette, laisse-moi entrer.» Si tu n'agis pas ainsi, je n'ouvrirai pas.

Le petit chevreuil s'élança dehors, tout joyeux de se trouver en liberté. Le roi et ses chasseurs virent le joli petit animal, le poursuivirent, mais ne parvinrent pas à le rattraper. Chaque fois qu'ils croyaient le tenir, il sautait par-dessus les buissons et disparaissait. Quand vint le soir, il courut à la maison, frappa et dit:

– Sœurette, laisse-moi entrer!

Dessin de Walter Crane

La porte lui fut ouverte, il entra et se reposa toute la nuit sur sa couche moelleuse. Le lendemain matin, la chasse recommença et le petit chevreuil entendit le son des cors et les «Oh! Oh!» des chasseurs. Il ne put résister.

– Sœurette, ouvre, ouvre, il faut que je sorte! dit-il.

Sœurette ouvrit et lui dit:

– Mais ce soir il faut que tu reviennes et que tu dises les mêmes mots qu'hier.

Quand le roi et ses chasseurs revirent le petit chevreuil au collier d'or, ils le poursuivirent à nouveau. Mais il était trop rapide, trop agile. Cela dura toute la journée. Vers le soir, les chasseurs finirent par le cerner et l'un d'eux le blessa légèrement au pied, si bien qu'il boitait et ne pouvait plus aller que lentement. Un chasseur le suivit jusqu'à la petite maison et l'entendit dire:

– Sœurette, laisse-moi entrer!

Il vit que l'on ouvrait la porte et qu'elle se refermait aussitôt. Il enregistra cette scène dans sa mémoire, alla chez le roi et lui raconta ce qu'il avait vu et entendu. Alors le roi dit:

– Demain nous chasserons encore!

Sœurette avait été fort affligée de voir que son petit chevreuil était blessé. Elle épongea le sang qui coulait, mit des herbes sur la blessure et dit:

– Va te coucher, cher petit chevreuil, pour que tu guérisses bien vite.

La blessure était si insignifiante qu'au matin il ne s'en ressentait plus du tout. Quand il entendit de nouveau la chasse il dit:

– Je n'y tiens plus! Il faut que j'y sois! Ils ne m'auront pas.