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Pure fumisterie!... ricana de Marconville, en interrompant mon récit dans un éclat de voix incrédule qui secouait le silence général.

Non point fumisterie, mes amis ; & l'heure même qu'il m'avait lui-même désignée, le fantastique bibliothécaire éteignait les inquiétants flambeaux de son Sme, — Le lundi suivant, le courrier m'apportait un carton entouré de noir, par lequel la famille me faisait part de cette pêne douloureuse, et, comme je suis sceptique comme le diable, je partis très troublé cependant au pays des canaux, je m'enquis de Van der Boëcken; on m^apprit que depuis trois jours il dormait au champ de repos, et je déposai sur sa tombe une énorme couronne de bleuets, de muguets et de roses, une couronne aux trois couleurs françaises, qu^il aimait si vaillamment en dépit des influences tudesques qui alourdissent trop profondément aujourd'hui les horizons de son pays.

a Vous direz ce que vous voudrez, dit l'un de nous, en bâillant, — lorsque j'eus terminé ce récit, — on a beau être cousu sur nerfs et solidement emboîté sur ses gardes, toutes ces histoires-là sont singulièrement déreliantes, —Me suivra qui voudra, mais il .se fait tard, et je m'en vais faire de l'occultisme en me glissant sous le tabis de mes couvertures. »

Toute la bande de Boisgrieux se ^dispersa avec bruit le long des longs corridors du château de la Battue.

Cette nuit-là, je vis en rêve Van der Boëcken, hypnotisant saint Pierre à la porte du paradis et prenant la direction de la grande bibliothèque des âmes angéliques qui papillonnent chez le Très Haut.

UN ROMAN DE CHEVALERIE FRANCO-JAPONAIS

les jambes d'un vieil ami que je croyais bien loin. Avocat, docteur en droit, mais érudit et fantaisiste plutôt qu'homme de chicane, mon ami Larribe se consolait d'une obstinée pénurie de causes en plongeant délicieusement au plus profond des poudreux bouquins des bibliothèques, et prenait ainsi avec une douce philosophie son parti de la fameuse maladie, faulte d'argent, passée chez lui à l'état chronique, lorsque tout à coup une occasion lui procurait une chaire bien appointée de professeur de droit français à l'Université de... Yeddo !

« Allez, malfaiteur, lui avais-je dit en guise d'adieu, allez corrompre ces braves Japonais, allez leur révéler les codes hérissés et ténébreux, pleins d'embûches pour les naïfs et percés pour les malins de petits sentiers circulant à l'aise entre les dix mille articles broussailleux... Oh! comme je vous condamnerais à faire hara-kiri dès votre débarquement dans la terre du soleil levant si j'étais le Mikado!

— C'est lui qui m'appelle et me couvre d'or... Au revoir. »

Il était parti, et, pendant six années, je n'avais pas une seule fois entendu parler de lui. — Et je le retrouvais sur le boulevard, allègre et bien portant, un peu bruni seulement pour un ancien rat de bibliothèque.

<c Et vous avez, j'espère, rapporté de là-bas, en plus des billets de banque, une riche collection de curiosités et d'objets d'art, bronzes et porcelaines, ivoires et bois sculptés, avec des et caetera nombreux? Allons voir vos bibelots, n'est-ce pas? Allons faire l'inventaire de vos caisses?...

— Pas la moindre collection, mais mieux que cela, me dit mystérieusement Larribe; j'ai rapporté une thèse à soutenir et un ami... Voici toujours l'ami... »

Il tira par le bras un monsieur qui, pendant notre entretien, était resté penché sur la vitrine du marchand de tableaux. Teint mat, petites moustaches noires, les yeux vifs tirés obliquement vers le haut de l'oreille, le monsieur était un Japonais, mais pas trop Japonais, c'est-à-dire quelque peu différent des petits hommes jaunes, aux allures presque simiesques dans leur veston européen, des bazars japonais de nos grandes villes. Celui-ci était plus grand et plus taillé selon nos idées, il parlait français sans trop d'accent, et me serra cordialement la main pendant que Larribe faisait d'un ton cérémonieux les présentations :

« Monsieur Ogata Ritzou, fils d'un daïmio de la province de Ksiou, de l'une des grandes maisons féodales du Japon, et, — contenez votre étonnement, — dernier descendant de nos fameux sires de Coucy... »

Pendant que je riais malgré moi, Larribe continua imperturbablement : a ...Mon ami et mon élève, avocat au barreau de Nangasakil... Êtes-vous remis de votre ébahissemeut ? Oui... mon Dieu oui, deux races puissantes et batailleuses, de leurs deux nobles sangs confondus, ont produit ce petit chicanous exotique; voici le descendant des princes de

Fokio en Nippon et des seigneurs de Coucy en France armé pour la bataille à coups de pandectcs, insiitutes et codes civils I Noblesse d'épée et de sabre à deux mains devenue de robe ! Que voulez-vous, le malheur des temps, la révolution césarienne lù-bas, la vieille féodalité vaincue par le Mikado!

tt Mais ne disons pas de mal du Mikado, qui me payait de superbes appointements!... Voici donc mon ami franco-japonais; quant à ma thèse, elle tourne autour dudit ami et vous en aurez l'étrenne, si vous voulez venir de ce pas dîner avec nous, et, le café pris, passer dans notre chambre pour nous prêter une oreille attentive d'abord, et ensuite examiner avec impartialité les nombreuses pièces justificatives apportées du doux et invraisemblable pays ob, sous la neige rose des fleurs tombant des arbres, les gentilles mousmées prennent le thé dans leurs minuscules tasses de porcelaine.

— Je vous suis! Mais, avant la thèse, l'histoire de M. Ritzou ? dis-je en marchant entre le professeur de droit à PUniversité de Yeddo et le Japonais descendant des sires de Coucy.

— C'est bien simple, dit le Japonais, vous allez voir,,.

— Non pas ! interrompit M" Larribe, l'histoire de mon élève et emi Ogata Ritzou de Coucy, appuyée des papiers et albums de famille que nous sommes prêts à fournir, c'est le complément de ma thèse, c'est la preuve triomphante, le coup de massue aux contradicteurs qui se présenteront ; elle doit donc logiquement venir après...

— Cependant, reprit le Japonais, je tiens à établirtout de suite devant monsieur que je ne suis pas un...

— Dites le mot, — je vous ai qualifié ainsi moi-même au début de notre connaissance, mais j'ai fait amende honorable... — un blagueur, c'est du bon français; vos aïeux français du xiv' siècle ne connaissaient pas le mot, car ils n'avaient pas de journalistes et n'appréciaient pas sufH-samment les historiens I... Nous établirons ceci tout à l'heure, impétueux Coucy d'extrême Orient! Tenez, je commence ma thèse tout en marchant... Mon cher ami, voici la chose : l'art japonais n'est pas du tout ce qu'érudits, artistes et critiques égarés pensent, un produit purement asiatique, une fleur éclose toute seule au pied du Fousihama, un art sorti du sol, à peine influencé par quelques idées chinoises... Non! l'art du Japon est le fils — naturel — de l'an gothique français du xrv* siècle!

— Vraiment!

— Six années passées au Japon, six années d'études sérieuses, obstinées, pénétrantes, si j'ose dire, six années de fouilles, de comparaisons, de découvertes, m'ont conduit, d'inductions en évidences, à proclamer cette grande vérité : Part du Japon, celui des peintres surtout, — et vous allez comprendre tout à l'heure comment, — descend en droite ligne de votre an français du moyen âge; c^est un rameau transplanté sur un sol lointain, très différent du sol natal, un rameau égaré qui a poussé superbement et qui, nourri de façon différente, a produit des fruits différents, mais aussi magnifiques, aussi savoureux que ceux de Tarbre paternel lui-même! Vous pensiez qu'entre l'Europe du moyen âge et l'Empire du soleil levant, séparés par tant de terres et d'eaux, nulle relation n'avait été possible? Erreur! La vieille Europe a connu le Japon, vaguement c'est vrai, mais elle l'a connu, et, même avant l'arrivée des aventuriers portugais du xvi^ siècle, le Japon a connu l'Europe. On oublie trop la grande ambassade japonaise qui visita Lisbonne, Madrid et Rome en 1584 et que les troubles de la Ligue empêchèrent devenir à Paris. Est-ce que le Japon aurait songé à envoyer une ambassade en Europe si le monde occidental ne lui avait pas été déjà révélé? Le spectacle peu édifiant et peu rassurant offert parl'Europe à cette époque arrêta les sympathies, et le Japon éleva contre nous et nos idées la barrière qui le protégea jusqu'en 1868 et qu'il se repentira sans doute d'avoir imprudemment supprimée juste au moment où l'Europe présente un spectacle encore moins édifiant et moins rassurant que du temps de Philippe II... Mais pas de politique! Donc, premier point,des relations peu suivies, et tout accidentelles, il est vrai, ont existé entre l'ancienne Europe et le Japon. Deuxième point, des Européens ont porté l'art européen,—français, comme vous le verrez tout à l'heure, — aux Japonais du xv* siècle. Ce deuxième point sera établi par moi aussi indiscutablement que le premier. Pour le moment, je m'appuierai seulement, pour arriver à glisser un commencement de persuasion dans votre esprit, sur les analogies évidentes qui existent entre les œuvres d'art des deux pays...