Выбрать главу

Pour en revenir aux beaux-arts, les miniatures de M* Estienne le Blanc ont fait école aussi, et les artistes d'alors, se dégageant de Timi-tation chinoise, ont créé le style japonais, si vivant et si spirituel, tourmenté peut-être et asiatique, mais avec quelque chose de mâle que ne possèdent pas les autres styles d'Asie, avec une pointe de gothique aisément reconnaissable.

Placez maintenant ces vénérables albums à côté des manuscrits d'Estienne le Blanc, et voyez la parenté entre les œuvres du miniaturiste français et les plus anciennes a'quarelles japonaises. Évidemment les artistes japonais ont travaillé sous la direction du patient enlumineur, ou du moins ont eu sous les yeux ses travaux. Voyez : même perspective conventionnelle, mSme simplification des contours; ici et là, un modelé sommaire, les ombres à peu près supprimées. Ces principes de nos anciens enlumineurs de manuscrits, des bons du moins, l'art japonais les fera siens, et sous le pinceau de ses artistes, dans le grand épanouissemem de l'art embellissant toutes choses là-bas, naîtront tes albums merveilleux, les délicates aquarelles, les kakémonos étincelants qui turiers une apparence europe'enne, puis, peu à peu, le type est devenu purement japonais... »

c Étes-vous édifié maintenant? me dit M"* Larribe, pendant que M« Ogata Ritzou rangeait soigneusement les livres d^heures de son ancêtre européen, ses chartes, ses albums et papiers de famille.

— Complètement.

— Ai-je suffisamment établi le bien-fondé de ma .thèse et les droits de mon ami Ritzou à relever, s'il y prétend, le nom et les armes des Coucy?

— Diable! N'allez-vous pas réclamer aussi le château, entré depuis si longtemps dans le domaine de l'Etat ?

— Non, répondit très sérieusement Ritzou, je n'aime pas les procès, — pour moi du moins, — je ne suis pas venu en Europe pour réclamer le château de mes pères; j'ai des goûts simples, je gagne convenablement ma vie et l'on reviendra peut-être un jour sur la confiscation de mes biens au Japon... Mon véritable but en venant ici avec mon maître et ami Larribe, c'est...

— C'est ?

— C'est de trouver un éditeur pour un roman de chevalerie franco-japonais consacré aux aventures de mon aïeul, roman qui paraîtrait en vers japonais à Yokohama et en prose française à Paris, avec une illustration dont je fournirais, vous le savez, facilement les éléments...

— Ne vous sauvez pas, dit Larribe, ce roman-poème est écrite mais nous ne le lirons pas, vous en connaissez le résumé... Nous vous l'enverrons quand il paraîtra, enveloppé dans ma thèse... J'espère cependant que vous viendrez aux conférences que je me propose de faire sur l'histoire, l'art et les mœurs du Japon ?

— Parbleu ! Et vous ne retournerez pas au Japon ?

— Non, je suis très suffisamment riche, j'ai rapporté de là-bas quelques petites rentes que j'ai l'intention de manger avec...

— Malheureux! avec de folles danseuses ?

— Non, avec des bouquinistes! J'ai divorcé avec la jurisprudence. Mon cœur appartient désormais aux beaux-arts et mon âme à la littéra* ture. Je suis un vieux garçon bien sage et bien rangé... Mais, si mon ami Ritzou y consent, j'ai des projets sur lui. Le descendant des Ogata de Fioko et des sires de Coucy, quel parti magnifique et séduisant! Des quartiers de noblesse en Europe et en Asie, de la noblesse à en revendre! Deux superbes collections d'aïeux comme pas une maison princière n'en peut montrer, deux races héroïques résumées en lui, les plus belles pages dans l'histoire de France et dans l'histoire du Japon! S'il y consent, je lui cherche une jolie petite Américaine un peu milliardaire, d^une race toute neuve, mais très dorée comme il ^ en a tant. Que je la rencontre et, bien vite, en faisant sonner nos titres, étinceler nos couronnes, avancer en deux corps d'arme'e nos ancêtres sous les bannières aux lions passants et aux aigles éployées des chevaliers de France et de Nippon, nous la séduisons, nous élevons ses millions jusqu'à nous, nous les épousons, et nous relevons le vieil écusson des Coucy I...

Et si l'État ne veut pas nous rendre de bonne grâce le donjon de nos pères, nous le lui achetons, parbleu,... en y mettant le prix, dans un de ces moments, qui ne sont pas rares, où les fonds sont bas dans le panier percé du budget.

— Amen. Et vive le sire de Fioko-Coucy! »

LES ROMANTIQUES INCONNUS

sur le corps nojr et gras des pataudes bas de casse des imprimeries provinciales, la mention sui-Tame dont j'ai conservé, depuis lors, fort précieusement le texte:

VENTE PUBLIQUE

POUR CAUSE DE DÉCÈS

Le dimanche 37 mai 18S... et jours suivants, d une heure et demie du soir, Adjudication de la Bibliothèque de feu M. Léon Bernard d'Isgny, ancien Lieutenant de Louveterie. — La Dite Bibliothèque composée d'environ Douje Mille volumes rares et curieux, livres anciens et modernes, ouvrages de littérature, d'histoire, de religion, voyages, romans, mémoires, traités de chasse, de fauconnerie, d'équitation; histoire des provinces, nombreux livres illustrés du xix° siècle, collection précieuse d'écrivains romantiques, etc., etc., dont la vente aura lieu au Château d'Isgny,par Ouville-la-Rivière, à 16 kilomètres de Dieppe. — Notaire, M. Grandcouri, à Varangeville.

C'était tout, — mais, dans la concision de sa teneur, cette affiche me bouleversait littéralement. — Bernard d'Isgny était mort, sa bibliothèque mise & l'encan, ses Romantiques dispersés!... Cette simple succession de faits logiques appris par cette banale annonce m'ahurissait et j'hésitais à y donner croyance. — J'écrivis donc aussitôt à M* Grandcourt, à Varangeville, qui s'empressa de me confirmer la véracité de ces nouvelles troublantes. Bernard d'Isgny était mort au mois de janvier précédent, ne laissant aucun Testament, et ses héritières indirectes, les demoiselles Bellefeuille de Saint-Aubin-Offranville, avaient décidé la vente à l'amiable du Château et la mise aux enchères de la Bibliothèque.

Le pauvre vieux Lieutenant de Louveterie ! Je ne pouvais me faire à l'idée de cette disparition! — Je l'avais connu dix ans auparavant sur la petite plage déserte de Quiberville, où il avait campé un petit chalet dominant la mer, sur la falaise de Sainte-Margue-, rite, aux avant-postes de sa propriété, à six kilomètres de son manoir.

Nous nous étions liés, grâce à la solitude de notre villégiature, dans le bercement un peu brutal d'une mer houleuse, à huit cents mètres au large, et tous deux nageant avec force, en dominant la houp-f.. pée du flot, nous étions revenus au rivage, à travers les courants de la marée montante, bavardant à distance d'une voix forte au milieu du jeu d'escarpolette des hautes vagues.

Aussitôt revêtus, nous avions faitune réaction commune sur legalet, en lançant, dans les arrêts d'une promenade hâtive, des pierres au loin. — C'était un grand quinquagénaire maigre, mais solidement découplé, la chevelure grise en broussaille, la moustache retroussée et la barbiche en pointe, comme un capiian de Velazquez.

La voix était un peu voilée de mélancolie, comme la voix des solitaires plus habituée aux soliloques intimes qu'aux discours animés des conversations, qui sont Tescrime des cordes vocales. Maïs cette voix était douce, nuancée, harmonieuse et séduisante; elle sonnait un ton de franchise loyale qui faisait le bonhomme irrémédiablement sympathique. Je le revis presque chaque jour à l'heure du flot, comme il disait, à cette heure qui est aussi attirante pour les amoureux de la mer que l'heure de la verte pour les amants de l'absinthe. Nous devisions jusqu'à la brune sur le galet; sa causerie était brillante, imagée, caustique et très délicatement lettrée. Il semblait muni intellectuellement sur toutes questions qui se présentaient; il aimait à citer ses auteurs, mais en dehors des citations courantes et des textes banaux, avec grâce, sans pédanterie, d'un ton enjoué qui aérait ce que son érudition pouvait avoir de renfermé, de lentement accumulé et d'austère.