De fait, j'étais littéralemeot aplati, grisé de surprises jusqu'à la fatigue cérébrale et travaillé parce papillotement de l'œil qui décèle l'engourdissement comateux. Il m'avait fallu incon-FORTKUT PI tHiioTHiz d'hedpt sciemmcut veuir en plclnc Campagne normande, dans ce Château perdu dans la verdure, pour reconstituer comme dans un rêve toute une bibliographie romantique d'un ordre très intéressant et d'une illustration suprêmement fantastique ! — Car, il n'y avait pas à barguigner ou à discuter : Bernard d'Isgny me mettait en main des ouvrages d'origine Incontestable et qui, Dieu sait comment, avaient pu échapper aux investigations de tous les catalographes pour mystérieusement prendre rang dans celte belle bibliothèque de gentilhomme campagnard, laborieux et fureteur.
Lorsque je pris congé de lui, j'étais comme le dormeur éveillé de la légende orientale, très incertain de mes visions, et mon inquiémde d'inconscience ne fit que s'exaspérer vigneiw de e. Uml pour par la suite, quand, au contact de mes amis koioiiiik loiEpa bibliophiles, je percevais l'hilarité qui saluait le récit de cette visite à des Romantiques inglorieux et ignorés, bien vite taxés d'imaginaires. Plus je citais de titres et plus je glosais sur ces oeuvres inapercevables, plus fêtais taxé dHIluminé ou de Gascon fantaisiste. — a Connaissez-vous, me disaient les plus malicieux, un des plus rares de tous, édité à Marseille, chez Marins De Crac, sur la Cane-bière, sous le titre: le Château des Merles Blancs ou les Nouveaux Contes à dormir debout? u —Je rougissais et rugissais d'indignation de me voir aussi méconnu que les Romantiques du sieur d'Isgny, — C'est pourquoi, lorsque, après dix années de honte bue, je reçus cette affiche de vente publique de la Bibliothèque de l'ex-Lieutenant de Louveierie, récemment décédé, on comprendra que je n'hésitai pas une seconde. Je résolus de pousser la charge au feu des enchères pour la possession et la mise en lumière de ces ouvrages indépendants qui n^avaient point su se laisser immatriculer ni par Pigoreau, ni par Asselineau, ni même par le Journal officiel de la Librairie. — Mystère insondable! Mystère pro* fond comme VAbîme! eût clamé Pétrus Borel, le Lycanthrope!
II
Malgré la proximité et la facilité du voyage opéré par un temps radieux, je dois avouer que les amateurs et la librairie parisienne ne me firent guère concurrence le 27 mai 188.. au château d'Isgny, Le notaire, M* Grandcourt, de Varangeville, avait, je pense, maigrement fait sa publicité, car le monde des acquéreurs était clairsemé et plus particulièrement composé de curieux Dieppois et de Bibliophiles rouennais qui se disputèrent, avec un noble acharnement, les traités de Vénerie et les vieilles chroniques normandes portant la marque des anciens imprimeurs de Caen, d^Évreux, de Lisieux et de Rouen.
Sur le terrain littéraire et romantique, je vainquis sans péril et triomphai sans gloire. — Selon l'expression rustique, je réalisai toutes mes convoitises « pour un morceau de pain », et je revins au logis plus fier qu^Anaban, ayant dans ma valise plus de trente volumes extravagants, ruisselants d^inouisme, ténébreusement inconnus de tous, et que je me fis un plaisir dMnventorier avec un ronronnement de félin satisfait.
J^apportai dès lors une réelle arrogance vis-à-vis de ces mêmes co-Bibliophiles qui m'avaient jadis si vertement raillé sans pitié, et je convoquai le ban et l'arrière-ban des Amis du XIX*, Tous s'en allèrent confondus, ayant mal au foie, criant vengeance contre les bibliographes et les historiens de la révolution littéraire de i83o. La beauté incomparable des frontispices de Célestin Nanteuil, de Tony Johannot et d^Eugène Lami leur glissa dans la bile Tencre amère de l'envie, et je bus vraiment du lait durant un moment, à la vue de ces damnés de l'Enfer des Bibliofols qui se tordaient devant les couvertures immaculées, les épreuves sur chine et les marges à pleines barbes, sans une tare ni une piqûre dans la pâte du papier ; ils maniaient les exemplaires avec rage, râlant d'une voix rauque qui m'apostrophait : UAnimal veinard! et non coupé^ par-dessus le marche'! — Pendant six mois ce fut une apothéose.
Les libraires de la jeune Bibliophilie pschuteuse se succédèrent dans mon cabinet apportant, avec l'espérance de cessions possibles, toutes les séductions et tous les transformismesdes Jupiters mythologiques; portefeuilles nourris comme pour une foire aux bestiaux, offres d'échanges, tantalismes d'ouvrages du siècle dernier, dessins originaux. Que sais-je encore? — J'apprenais que le petit B... agonisait de dépit, que le vieux K... jaunissait dans l'attente, que le gros M. avait jure de compléter ses Naateuil par les tnîens, et je demeurais fier comme Albion et inexpugnable comme elle sur mon Ilot d'exemplaires uniques.
Peu à peu cependant l'effervescence se calma, il y eut armistice, et la feinte indifférence des combattants me semble aujourd'hui si pénible, mon abandon de bibliophile si amer après les branle-bas de naguère, que je me suis juré de réveiller de nouveau les hostilités en démasquant très ouvertement ainsi que des batteries mes principales richesses au monde des curieux, en ce moment en pleine accalmie.
De ce sentiment de combativité provient le récit qui précède et le catalof;ue sommaire que je vais exposer aux yeux allumés des Romanti-coUtres. — J'aime assez à tisonner l'envie, ù m'éclairer du reflet de ses flammes et k écouter la musique par pétarades de ses étincelles. — En avantdonc ! Que l'esprit d'As-selineau me seconde! Voici la nomenclature des Romantiques inconnus du château d'Isgny.
" Les Gondoles du cœur ou les Bercements de l'Amour, poésies, par Joseph d'Ortigues.
Paris , Eugène Renduel ; Vignette non «ignfe pour
i83i. In-8° de vi et 295 p. i'aihée 00 « metod- ad «ocinx — Très beau frontispice de
Célestin Nanteuil, en double état sur chine ; couverture bleu d'eau, avec vignette sur bois représentant une gondole fermée; pour épigraphe, ces vers sur le gondolier :
Un beau chant, alterné comme une âûte antique,
S'en vient saUir votre &me et voua enlive aux cieui;
Vous pensez que ce chant, cet air mélodieux
Est le reflet naïf de quelque Ame plaintive,
Qui ne pouvant le jour, dans la ville craintive,
Épancher à loisir le flot de ses ennuis,
Par la douceur de l'air et la beauté des nuits
S'abandonne sans peine A la musique folle,
Et, la rame i la main, doucemeol *e console.
A. B. Exemplaire à toutes marges :
' Les Crinières romantiques ou les Lions de Parts, par Abel Hugo. Paris, Persan ; 181Î. ln-18 de 3i2 p. Exempl, broché, avec portraits de Nodier, Guiraud, Ancelot, A. Soumet, etc. (de toute fraîcheur).
3' Tiberge (Abbé), — Un Bal ehej ta Reine Amélie, roman, par l'auteur d'Une Fille de joie. i vol. in-8° (Imprimerie Cassegraîn, au Marais}. Paris, Dumonti i83i. Superbe frontispice d'Eugène Lami, représentant un bal k la Cour, avec les portraits distincts des membres de la famille royale. Vignette non signée sur le titre. Broché, non coupé,
4» La Fille d'Opkélie ou le Fantôme d'Elseneur, par Alphonse Giraud. i vol.
EBORDieTACITURAIE
«CI ^TRANGLEiriV lè^tnd» dit ^l'" SÈècie.
in-8* de 418 p., impression gothique. Paris, Eugène Renduel; i83i. —Frontispice de Célestin Nanteuil, le plus beau connu, dont nous donnons la reproduction. Épreuve sur chine volant. Très bel exemplaire avec sa couverture originale. Sur le titre, un château en ruine et ces mots de Shakespeare formant épigraphe: — «Ne soupirez plus, femmes! ne soupirez plus! les hommes furent toujours trompeurs, un pied dans ta mer, l'autre sur le rivage. Constants en une chose : jamais 1