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SICINIUS. – Pourquoi donc n’avez-vous pas eu l’esprit de vous en apercevoir? Ou, si vous vous en êtes aperçus, pourquoi avez-vous eu, comme des enfants, la simplicité de lui accorder votre suffrage?

BRUTUS. – Ne pouviez-vous pas lui dire, comme on vous en avait fait la leçon, qu’alors même qu’il était sans pouvoir, petit serviteur de la république, il était votre ennemi; qu’il a toujours déclamé contre vos libertés, et attaqué les privilèges que vous avez dans l’État; que si, parvenu au souverain pouvoir dans Rome, il reste toujours l’ennemi déclaré du peuple, vos suffrages se changeront en armes contre vous-mêmes? Au moins auriez vous dû lui dire, que si ses grandes actions le rendaient digne de la place qu’il demandait, son bon naturel devait aussi lui parler en faveur de ceux qui lui accordaient leur voix, changer sa haine contre vous en affection, et le rendre votre zélé protecteur.

SICINIUS. – Si vous aviez parlé de la sorte, et suivi nos conseils, vous auriez sondé son âme, et mis ses sentiments à l’épreuve; et vous lui auriez arraché des promesses avantageuses que vous auriez pu le forcer de tenir en temps et lieu; ou sinon vous auriez aigri par là ce caractère farouche qui n’endure aisément rien de ce qui peut le lier; il serait devenu furieux, et sa rage vous aurait servi de prétexte pour passer sans l’élire.

BRUTUS. – Avez-vous remarqué qu’il vous sollicitait avec un mépris non déguisé alors qu’il avait besoin de votre faveur? Et pensez-vous que ce mépris ne vous accablera pas, quand il aura le pouvoir de vous écraser? Étiez-vous donc des corps sans âmes? N’avez-vous donc une langue que pour parler contre la rectitude de votre jugement?

SICINIUS. – N’avez-vous pas déjà refusé votre suffrage à plus d’un candidat qui l’a sollicité? et aujourd’hui vous l’accordez à un homme qui, au lieu de le demander, ne fait que se moquer de vous.

TROISIÈME CITOYEN. – Notre choix n’est pas confirmé; nous pouvons le révoquer encore.

SECOND CITOYEN. – Et nous le révoquerons: j’ai cinq cents voix d’accord avec la mienne.

PREMIER CITOYEN. – Moi j’en ai mille, et des amis encore pour les soutenir.

BRUTUS. – Allez à l’instant leur dire qu’on a choisi un consul qui les dépouillera de leurs libertés, et ne leur laissera pas plus de voix qu’à des chiens qu’on bat pour avoir aboyé, tout en ne les gardant que pour cela.

SICINIUS. – Assemblez-les, et, sur un examen plus réfléchi, révoquez tous votre aveugle choix. Peignez vivement son orgueil, et n’oubliez pas de parler de sa haine contre vous, de l’air de dédain qu’il avait sous l’habit de suppliant, et des railleries qu’il a mêlées à sa requête. Dites que votre amour, ne s’attachant qu’à ses services, a distrait votre attention de son rôle actuel, dont l’indécente ironie est l’effet de sa haine invétérée contre vous.

BRUTUS. – Rejetez même cette faute sur nous, sur vos tribuns; plaignez-vous du silence de notre autorité qui n’a mis aucune opposition, et vous a comme forcés de faire tomber votre choix sur sa personne.

SICINIUS. – Dites que, dans votre choix, vous avez été plutôt guidés par notre volonté que par votre inclination; que l’esprit préoccupé d’une nécessité qui vous a paru votre devoir, vous l’avez, bien qu’à contre-cœur, nommé consul. Rejetez toute la faute sur nous.

BRUTUS. – Oui, ne nous épargnez pas. Dites que nous vous avions fait de beaux discours sur les services qu’il a rendus si jeune à sa patrie, et qu’il a continués si longtemps; sur la noblesse de sa race, sur l’illustre maison des Marcius, de laquelle sont sortis et cet Ancus Marcius, petit-fils de Numa, qui, après Hostilius, régna en ces lieux, et Publius et Quintus, à qui nous devons les aqueducs qui font arriver la meilleure eau dans Rome; et le favori du peuple, Censorinus, ainsi nommé, parce qu’il fut deux fois censeur, l’un des plus vénérables ancêtres de Coriolan.

SICINIUS. – Né de tels aïeux, soutenu par un mérite personnel digne des premières places, voilà l’homme que nous avons dû recommander à votre reconnaissance; mais en mettant dans la balance sa conduite présente et sa conduite passée, vous avez trouvé en lui votre ennemi acharné, et vous révoquez vos suffrages irréfléchis.

BRUTUS. – Dites surtout, et ne vous lassez pas de le répéter, que vous ne lui eussiez jamais accordé vos voix qu’à notre instigation. Aussitôt que vous serez en nombre, allez au Capitole.

TOUS ENSEMBLE. – Nous n’y manquerons pas. Presque tous se repentent de leur choix.

(Les plébéiens se retirent.)

BRUTUS. – Laissons-les faire. Il vaut mieux hasarder cette première émeute que d’attendre une occasion plus qu’incertaine pour en exciter une plus grande. Si, conservant son caractère, il entre en fureur en voyant leur refus, observons-le tous les deux, et répondons-lui de manière à tirer avantage de son dépit.

SICINIUS. – Allons au Capitole: nous y serons avant la foule des plébéiens; et ce qu’ils vont faire, aiguillonnés par nous, ne semblera, comme cela est en partie, que leur propre ouvrage.

(Ils sortent.)

FIN DU DEUXIÈME ACTE.

ACTE TROISIÈME

SCÈNE I

Une rue à Rome.

Fanfares. CORIOLAN, MÉNÉNIUS, COMINIUS, TITUS LARTIUS, sénateurs et patriciens.

CORIOLAN. – Tullus Aufidius a donc rassemblé une nouvelle armée!

LARTIUS. – Oui, seigneur; et voilà ce qui a fait hâter notre traité.

CORIOLAN. – Ainsi les Volsques en sont encore au même point qu’auparavant, tout prêts à faire une incursion sur notre territoire, à la première occasion qui les tentera.

COMINIUS. – Ils sont tellement épuisés, seigneur consul, que j’ai peine à croire que nous vivions assez pour revoir flotter encore leurs bannières.

CORIOLAN. – Avez-vous vu Aufidius?

LARTIUS. – Il est venu me trouver sur la foi d’un sauf-conduit, et il a chargé les Volsques d’imprécations, pour avoir si lâchement cédé la ville: il s’est retiré à Antium.

CORIOLAN. – A-t-il parlé de moi?

LARTIUS. – Oui, seigneur.

CORIOLAN. – Oui? – Et qu’en a-t-il dit?

LARTIUS. – Il a dit combien de fois il s’était mesuré avec vous, fer centre fer; – qu’il n’était point d’objet sur la terre qui lui fût plus odieux que vous; qu’il abandonnerait sans retour toute sa fortune, pour être une fois nommé votre vainqueur.

CORIOLAN. – Et il a fixé sa demeure à Antium?

LARTIUS. – Oui, à Antium.

CORIOLAN. – Mon désir serait d’avoir une occasion d’aller l’y chercher, et de m’exposer en face à sa haine. – Soyez le bienvenu! (Sicinius et Brutus paraissent.) Voyez: voilà les tribuns du peuple, les langues de la bouche commune. Je les méprise; car ils se targuent de leur autorité d’une façon qui fait souffrir tous les hommes de cœur.

SICINIUS, à Coriolan. – N’allez pas plus loin.

CORIOLAN, surpris. – Comment! – Qu’est-ce donc?