Выбрать главу

MÉNÉNIUS. – Allons, en voilà assez.

BRUTUS. – Oui, assez, et beaucoup trop.

CORIOLAN. – Non, prenez encore ceci: je ne finirai pas sans avoir dit ce qu’on peut attester au nom des puissances divines et humaines. – Là où l’autorité est ainsi partagée; là où un parti méprise l’autre avec raison, et où l’autre insulte sans motif; là où la noblesse, les titres, la sagesse ne peuvent rien accomplir que d’après le oui et le non d’une ignorante multitude, on omet mille choses d’une nécessité réelle, et l’on cède à une inconstante légèreté. De cette contradiction à tout propos, il arrive que rien ne se fait à propos. Je vous conjure donc, vous qui avez plus de zèle que de crainte, qui aimez les bases fondamentales de l’État, et qui voyez les changements qu’on y introduit; vous qui préférez une vie honorable à une longue vie, et qui êtes d’avis de secouer violemment par un remède dangereux un corps qui, sans ce remède, doit périr inévitablement; arrachez donc la langue de la multitude, qu’elle ne lèche plus les douceurs qui l’empoisonnent. Votre déshonneur est une injure faite au bon sens; elle prive l’État de cette unité qui lui est indispensable, et lui ôte tout pouvoir de faire le bien, tant le mal est puissant.

BRUTUS. – Il en a dit assez.

SICINIUS. – Il a parlé comme un traître; et il subira le jugement des traîtres.

CORIOLAN. – Misérable! que le dépit t’accable! Que ferait le peuple de ces tribuns chauves? C’est sur eux qu’il s’appuie pour manquer d’obéissance au premier corps de l’État. Ils furent choisis dans une révolte, dans une crise, où ce fut la nécessité qui fit la loi, et non la justice. Que, dans une circonstance plus heureuse, ce qui est juste soit reconnu juste, et renverse leur puissance dans la poussière.

BRUTUS. – Trahison manifeste!

SICINIUS. – Cet homme consul? Non.

BRUTUS. – Édiles! holà! qu’on le saisisse.

(Les édiles paraissent.)

SICINIUS. – Allez, assemblez le peuple (Brutus sort), au nom duquel je t’attaque, entends-tu, comme un traître novateur, un ennemi du bien public. Obéis, je te somme au nom du peuple; prépare-toi à répondre.

CORIOLAN. – Loin de moi, vieux bouc.

LES SÉNATEURS ET LES PATRICIENS. – Nous sommes tous sa caution.

COMINIUS, au tribun. – Vieillard, ôte tes mains.

CORIOLAN. – Éloigne-toi, cadavre pourri, ou je secoue tes os hors de tes vêtements!

SICINIUS. – À mon secours, citoyens!

(Brutus rentre avec les édiles et une partie de la populace.)

MÉNÉNIUS, aux deux partis. Des deux côtés plus de respect.

SICINIUS, au peuple. – Voilà l’homme qui veut vous enlever toute votre autorité.

BRUTUS. – Édiles, saisissez-le.

LA POPULACE. – Qu’on s’en empare, qu’on s’en empare!

SECOND SÉNATEUR. – Des armes, des armes, des armes! (Tous s’attroupent autour de Coriolan) – Tribuns, patriciens, citoyens! – Arrêtez: qu’est-ce donc!… – Sicinius, Brutus, Coriolan, citoyens!

TOUS ENSEMBLE. – Silence, silence, arrêtez; silence.

MÉNÉNIUS. – Que va-t-il résulter de ceci? – Je suis hors d’haleine. La confusion va se mettre partout. Je n’ai pas la force de parler. – Vous, tribuns du peuple, Coriolan, patience; parlez, bon Sicinius.

SICINIUS. – Peuple, écoutez-moi. – Silence.

TOUT LE PEUPLE. – Écoutons notre tribun: silence. – Parlez, parlez.

SICINIUS. – Vous êtes sur le point de perdre vos libertés: Marcius veut vous les enlever toutes; Marcius, que vous venez de désigner pour le consulat.

MÉNÉNIUS. – Fi donc! fi donc! fi donc! c’est le moyen d’allumer l’incendie et non pas de l’éteindre.

SECOND SÉNATEUR. – Oui, c’est le moyen de renverser la cité de fond en comble.

SICINIUS. – La cité est-elle autre chose que le peuple!

LE PEUPLE. – C’est la vérité, le peuple est la cité.

BRUTUS. – C’est par le consentement de tous que nous avons été établis les magistrats du peuple.

LE PEUPLE. – Et vous êtes nos magistrats.

MÉNÉNIUS. – Et vous continuerez à l’être.

COMINIUS. – Voilà le moyen de renverser Rome, de mettre le toit sous les fondements, et d’ensevelir ce qui reste d’ordre sous un amas de ruines.

SICINIUS. – Son discours mérite la mort.

BRUTUS. – Ou il faut soutenir notre autorité, ou il faut nous résoudre à la perdre. – Nous prononçons ici, de la part du peuple, dont le pouvoir nous a créés ses magistrats, que Marcius mérite la mort à l’instant même.

SICINIUS. – Saisissez-le donc. Entraînez-le à la roche Tarpéienne, et précipitez-le dans l’abîme.

BRUTUS. – Édiles saisissez-vous de sa personne.

(Marcius se défend.)

TOUS LES PLÉBÉIENS. – Cède, Marcius; cède.

MÉNÉNIUS. – Écoutez-moi; un seul mot… Tribuns, je vous en conjure; je ne veux dire qu’un mot.

LES ÉDILES. – Silence! silence!

MÉNÉNIUS. – Soyez ce que vous paraissez, les vrais amis de votre patrie; procédez avec calme, au lieu de vous faire ainsi violemment justice.

BRUTUS. – Ménénius, ces voies lentes et mesurées, qui paraissent des remèdes prudents, sont funestes quand le mal est violent. Emparez-vous de lui, et traînez-le au rocher.

(Coriolan tire son épée.)

CORIOLAN. – Non: je veux mourir ici. – Il en est plus d’un parmi vous qui m’a vu combattre. Allons, essayez sur vous-mêmes si je suis encore ce que vous m’avez vu devant l’ennemi.

MÉNÉNIUS. – Mettez bas cette épée: tribuns, retirez-vous un moment.

BRUTUS. – Saisissez-le.

MÉNÉNIUS. – Défendez Marcius, défendez-le, vous tous qui êtes nobles: jeunes et vieux, défendez-le. – Vous, tous, sénateurs, chevaliers, jeunes et vieux, secourez-le.

TOUT LE PEUPLE. – À bas Marcius! à bas!

(Dans ce tumulte, les édiles, les tribuns et le peuple sont battus et repoussés: ils disparaissent.)

– Allez regagner votre maison: partez, sortez d’ici, ou tout est perdu.

SECOND SÉNATEUR. – Partez.

CORIOLAN. – Tenez ferme, nous avons autant d’amis que d’ennemis.

MÉNÉNIUS. – Quoi! nous en viendrions à cette extrémité!

UN SÉNATEUR. – Que les dieux nous en préservent! Mon noble ami, je t’en conjure, retire-toi dans ta maison; laisse-nous apaiser cette affaire.

MÉNÉNIUS. – C’est une plaie que vous ne pouvez guérir vous-même. Partez, je vous en conjure.