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(Volumnie paraît.)

UN PATRICIEN. – Vous prenez le parti le plus noble.

CORIOLAN. – Je vois avec étonnement que ma mère commence à ne me plus approuver; elle, qui avait coutume de les appeler des bêtes à laine, des êtres créés pour être vendus et achetés à vil prix, pour venir montrer leurs têtes nues dans les assemblées, et rester, la bouche béante, dans le silence de l’admiration, lorsqu’un homme de mon rang se levait pour discuter la paix ou la guerre! – Je parle de vous, ma mère: pourquoi me souhaiteriez-vous plus de douceur? Voudriez-vous donc que je mentisse à ma nature. Mieux vaut que je me montre tel que je suis.

VOLUMNIE. – Ô Coriolan, Coriolan, j’aurais voulu vous voir consolider votre pouvoir avant de le perdre à jamais.

CORIOLAN. – Qu’il devienne ce qu’il pourra.

VOLUMNIE. – Vous auriez pu être assez vous-même, tout en faisant moins d’efforts pour paraître tel. Votre caractère aurait trouvé bien moins d’obstacles, si vous aviez dissimulé jusqu’à ce qu’ils fussent hors d’état de vous contrarier.

CORIOLAN. – Qu’ils aillent se faire pendre.

VOLUMNIE. – Et que le feu les dévore.

(Ménénius arrive, accompagné d’une troupe de sénateurs.)

MÉNÉNIUS. – Allons, allons, vous avez été trop brusque, un peu trop brusque. Il faut revenir devant le peuple, et réparer cela.

LES SÉNATEURS. – Il n’y a point d’autre remède, si vous ne voulez pas voir notre belle Rome se fendre par le milieu et s’écrouler.

VOLUMNIE. – Je vous prie, mon fils, acceptez ce conseiclass="underline" je porte un cœur qui n’est pas plus souple que le vôtre; mais j’ai une tête qui sait faire meilleur usage de la colère.

MÉNÉNIUS. – Bien parlé, noble dame. Moi, plutôt que de le voir s’abaisser à ce point devant la multitude, si la crise violente de ces temps ne l’exigeait pas, comme le seul remède qui puisse sauver l’État, on me verrait encore endosser mon armure, qu’à peine à présent je puis porter.

CORIOLAN. – Que faut-il faire?

MÉNÉNIUS. – Retourner vers les tribuns.

CORIOLAN. – Et ensuite?

MÉNÉNIUS. – Rétracter ce que vous avez dit.

CORIOLAN. – Pour eux? Je ne pourrais pas le faire pour les dieux mêmes; et il faut que je le fasse pour les tribuns?

VOLUMNIE. – Vous êtes trop absolu, quoique vous ne puissiez jamais avoir trop de cette noble fierté, sauf quand la nécessité parle…Je vous ai ouï dire que l’honneur et la politique, comme deux amis inséparables, marchaient de compagnie à la guerre. Eh bien! dites-moi quel tort l’un fait à l’autre dans la paix, pour qu’ils ne s’y trouvent pas également unis?

CORIOLAN. – Assez, assez.

MÉNÉNIUS. – La question est raisonnable.

VOLUMNIE. – Si l’honneur vous permet, à la guerre, de paraître ce que vous n’êtes pas (principe utile que vous adoptez pour règle de votre conduite), pourquoi serait-il moins raisonnable ou moins honnête que la politique fût, dans la paix, la compagne de l’honneur, puisque, à la guerre, ils sont également indispensables?

CORIOLAN. – Pourquoi me pressez-vous par vos raisonnements?

VOLUMNIE. – Parce qu’il s’agit de parler au peuple, non pas d’après votre opinion personnelle, ni en obéissant à la voix de votre cœur, mais avec des mots que votre langue seule assemblera, syllabes bâtardes que votre âme véridique désavouera. Non, il n’y a pas à cela plus de déshonneur pour vous qu’à prendre une ville avec de douces paroles, lorsque tout autre moyen mettrait votre fortune en péril et coûterait beaucoup de sang. Moi, je dissimulerais avec mon caractère naturel, lorsque mes intérêts et mes amis en danger exigeraient de mon honneur que je le fisse: et en cela, je pense comme pensent votre épouse, votre fils, ces sénateurs et toute cette noblesse. – Mais vous, vous aimerez mieux montrer à notre populace un front menaçant que de lui accorder une seule caresse pour gagner son amour, et prévenir des événements qui peuvent tout perdre.

MÉNÉNIUS. – Noble dame, joignez-vous à nous; continuez de parler avec cette sagesse; vous pourrez réussir non-seulement à prévenir les dangers présents, mais même à réparer les malheurs du passé.

VOLUMNIE. – Je t’en conjure, ô mon fils, va reparaître devant eux, ton bonnet à la main; et de loin salue ainsi la foule (suppose qu’elle est là devant toi); puis, mettant un genou sur les pierres (car en pareille circonstance l’action est pleine d’éloquence et les yeux des ignorants sont plus savants que leurs oreilles), fais à plusieurs reprises un geste repentant, qui corrige et démente ton cœur inflexible, devenu tout à coup humble et docile comme le fruit mûr qui cède à la main qui le touche; ou bien, dis-leur que tu es leur guerrier, et qu’ayant été élevé au milieu des combats, tu n’as pas l’usage de ces douces manières que tu devrais avoir et qu’ils pourraient exiger, lorsque tu viens demander leurs bonnes grâces; mais qu’à l’avenir tu seras leur ami autant qu’il dépendra de toi.

MÉNÉNIUS. – Faites ce qu’elle dit, et tous les cœurs sont à vous; car ils sont aussi prompts à pardonner, dès qu’on les implore, qu’ils le sont à proférer des injures sur le plus léger prétexte.

VOLUMNIE. – Je t’en conjure, va, et sois docile; quoique je sache bien que tu aimerais mieux descendre avec ton ennemi dans un gouffre enflammé que de le flatter dans un riant bosquet… (Cominius entre.) Voilà Cominius.

(Cominius entre.)

COMINIUS. – Je viens de la place publique; et il faut vous appuyer d’un parti puissant, ou chercher vous-même votre sûreté dans la plus grande modération ou dans l’absence. Tout le peuple est en fureur.

MÉNÉNIUS. – Seulement quelques paroles de conciliation…

COMINIUS. – Je crois qu’elles les apaiseraient, si Coriolan peut y plier sa fierté.

VOLUMNIE. – II le faut, et il le voudra. Je te prie, mon fils, dis que tu y consens, et va l’exécuter.

CORIOLAN. – Faut-il donc que j’aille leur montrer mes cheveux en désordre? Faut-il que ma langue donne bassement à mon noble cœur un démenti qu’il lui faudra endurer? Eh bien! soit; je le ferai. Cependant, s’il n’y avait rien de plus à sacrifier que ce corps de Marcius, j’aimerais mieux qu’ils le missent en poussière, et qu’ils la jetassent aux vents. – Au forum! Vous m’avez chargé là d’un rôle que je ne remplirai jamais au naturel.

COMINIUS. – Allons, allons; nous vous aiderons.

VOLUMNIE. – Je t’en conjure, mon cher fils. Tu as dit que mes louanges t’avaient fait guerrier: eh bien! pour obtenir encore de moi d’autres louanges, joue un rôle que tu n’as pas encore rempli.

CORIOLAN. – Eh bien, soit! – Sors de mon sein, mon inclination naturelle, et cède la place à l’esprit d’une courtisane. Que ma voix mâle et guerrière, qui faisait chœur avec les clairons, devienne grêle comme le fausset de l’eunuque, ou comme la voix d’une jeune fille qui endort un enfant au berceau; que le sourire des fourbes sillonne mes joues, et que les pleurs d’un jeune écolier obscurcissent mes yeux; que la langue suppliante d’un mendiant se meuve entre mes lèvres, et que mes genoux, couverts de fer, qui n’ont jamais fléchi que sur mon étrier, se prosternent aussi bas que ceux du misérable qui a reçu l’aumône. – Je ne le ferai point, ou bien j’abjurerais ma fidélité à l’honneur, et, par les mouvements Et les attitudes de mon corps, j’enseignerais à mon âme la plus infâme lâcheté.