Выбрать главу

MÉNÉNIUS. – Quelle oreille a jamais rien entendu de plus noble! Allons, séchons nos pleurs. – Ah! si je pouvais secouer de ces bras et de ces jambes, affaiblis par l’âge, seulement sept années, j’atteste les dieux que je te suivrais pas à pas.

CORIOLAN. – Donne-moi ta main. Partons.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

Une rue près de la porte de Rome.

SICINIUS, BRUTUS ET UN ÉDILE.

SICINIUS, à l’édile. – Faites-les rentrer chez eux: il est sorti de Rome, et nous n’irons pas plus loin. Ce coup vexe les nobles, qui, nous le voyons, se sont rangés de son parti.

BRUTUS. – À présent que nous avons fait sentir notre pouvoir, songeons à paraître plus humbles après le succès.

SICINIUS, à l’édile. – Faites retirer le peuple: dites-lui qu’il a retrouvé sa force, et que son grand adversaire est parti.

BRUTUS. – Oui, congédiez-les. J’aperçois la mère de Coriolan qui vient à nous.

(Volumnie, Virgilie et Ménénius paraissent sur la place.)

SICINIUS. – Évitons-la.

BRUTUS. – Pourquoi?

SICINIUS. – On dit qu’elle est folle.

BRUTUS. – Ils nous ont aperçus: continue ton chemin.

VOLUMNIE. – Oh! je vous rencontre à propos; que tous les fléaux des dieux pleuvent sur vous, en récompense de votre amour!

MÉNÉNIUS. – Calmez-vous, calmez-vous: pas si haut.

VOLUMNIE. – Ah! si mes larmes me laissaient la force, vous m’entendriez…; mais je ne vous quitte pas sans vous avoir dit… (À Sicinius.) Vous voulez vous en aller!… (À Brutus.) Vous resterez aussi.

VIRGILIE. – Plût à Dieu que j’eusse pu dire la même chose, à mon époux!

SICINIUS. – Mais c’est un vrai homme!

VOLUMNIE. – Imbécile! est-ce là une honte? Mais l’entendez-vous? Mon père n’était-il donc pas homme? – Vieux renard, as-tu bien pu être assez rusé pour bannir un citoyen qui a frappé plus de coups pour Rome que tu n’as dit de mots.

SICINIUS. – Ô dieux protecteurs!

VOLUMNIE. – Oui, plus de coups glorieux que tu n’as dit en ta vie de paroles sages et utiles au bien de Rome. – Je te dirai ce que… – Mais va-t’en. – Non, tu resteras. – Je voudrais que mon fils fût dans les déserts de I’Arabie, armé de sa fidèle épée, et toute ta race devant lui.

SICINIUS. – Eh bien! qu’en arriverait-il?

VIRGILIE. – Ce qu’il en arriverait? Il aurait bientôt mis fin à ta postérité.

VOLUMNIE. – Oui, à tes bâtards et à toute ta race. Bon citoyen, toutes les blessures qu’il a reçues pour Rome…

MÉNÉNIUS. – Allons, cessez, cessez, contenez-vous.

SICINIUS. – Je souhaiterais qu’il eût continué de servir sa patrie comme il avait commencé, et qu’il n’eût pas lui-même rompu le nœud glorieux qui les attachait l’un à I’autre.

BRUTUS. – Oui, je le souhaiterais aussi.

VOLUMNIE. – Vous le souhaiteriez, dites-vous?… Et c’est vous qui avez animé la populace, vous chats miaulants, aussi en état d’apprécier son mérite que je le suis, moi, de pénétrer les mystères dont le ciel interdit la connaissance à la terre.

BRUTUS, à Sicinius. – Je vous en prie, allons-nous-en.

VOLUMNIE. – Oui, fort bien, allez-vous-en. Vous avez fait là une belle action; mais avant que vous me quittiez, vous entendrez encore cette vérité. Autant le Capitole surpasse en hauteur la plus humble maison de Rome, autant mon fils, oui, le mari de cette jeune femme qui m’accompagne, celui-là même, voyez-vous, que vous avez banni, vous surpasse en mérite, vous tous tant que vous êtes.

BRUTUS. – À merveille! parlez: nous vous laissons-là.

SICINIUS. – Aussi bien, pourquoi s’arrêter ici, pour se voir harceler par une femme qui a perdu la raison?

VOLUMNIE. – Emportez avec vous les prières que j’adresse au ciel pour vous. Je voudrais que les dieux ne fussent occupés qu’à accomplir mes malédictions! (Les tribuns sortent.) Oh! si je pouvais les rencontrer seulement une fois par jour!… cela soulagerait mon cœur du poids douloureux qui l’oppresse.

MÉNÉNIUS. – Vous leur avez dit là leur fait; et, j’en conviens, vous en avez bien sujet: voulez-vous venir souper avec moi?

VOLUMNIE. – La colère est mon aliment: je me nourris de moi-même, et je mourrai de faim en me nourrissant ainsi. – Allons, quittons cette place; mettons un terme à ces cris et à ces pleurs d’enfant: je veux être Junon dans ma colère. Venez, venez.

MÉNÉNIUS. – Fi donc! fi donc!

(Ils sortent.)

SCÈNE III

La scène change et représente un chemin entre Rome et Antium.

UN ROMAIN ET UN VOLSQUE se rencontrent.

LE ROMAIN. – Bien sûr, je vous connais, et je suis connu de vous: votre nom, ou je me trompe fort, est Adrien.

LE VOLSQUE. – Cela est vrai: d’honneur, je ne vous remets pas.

LE ROMAIN. – Je suis un Romain; mais je sers, comme vous, contre Rome. Me reconnaissez-vous à présent?

LE VOLSQUE. – N’êtes-vous pas Nicanor?

LE ROMAIN. – Lui-même.

LE VOLSQUE. – Vous aviez une barbe plus épaisse, ce me semble, la dernière fois que je vous ai vu: mais le son de votre voix me rappelle vos traits. Quelles nouvelles de Rome? J’étais chargé par le sénat volsque d’aller vous y chercher: vous m’avez fort heureusement épargné une journée de chemin.

LE ROMAIN. – Il y a eu à Rome d’étranges insurrections: le peuple soulevé contre les sénateurs, les patriciens et les nobles.

LE VOLSQUE. – Il y a eu, dites-vous? Elles sont donc à leur terme? Notre sénat ne le croit pas: on presse, les préparatifs de guerre, et l’on espère fondre sur les Romains au plus chaud de leurs divisions.

LE ROMAIN. – Le plus fort du feu est passé: mais il ne faut qu’une étincelle pour rallumer l’incendie; car les nobles prennent si à cœur le bannissement du brave Coriolan, qu’ils sont tous disposés à ôter au peuple son pouvoir; et à lui enlever ses tribuns pour jamais. Le feu couve sous la cendre, je puis vous I’assurer, et il est près d’éclater avec violence.

LE VOLSQUE. – Coriolan banni?

LE ROMAIN. – Oui, il est banni.

LE VOLSQUE. – Avec cette nouvelle, Nicanor, vous êtes sûr d’être bien reçu.

LE ROMAIN. – L’occasion est bonne pour les Volsques. J’ai entendu dire que le moment le plus favorable pour séduire une femme, c’est quand elle est en querelle avec son mari. Votre noble Tullus Aufidius va figurer avec avantage dans cette guerre, à présent que son grand adversaire Coriolan n’a plus ni crédit ni emploi dans sa patrie.

LE VOLSQUE. – Il ne peut manquer d’y briller. Je me félicite de cette rencontre inattendue: grâce à vous, ma commission est remplie, et je vais vous accompagner avec joie jusqu’à mon logis.

LE ROMAIN. – D’ici au souper, je vous apprendrai bien des nouvelles de Rome qui vous surprendront, et qui toutes tendent à I’avantage de ses ennemis. N’avez-vous pas, disiez-vous, une armée prête à marcher?