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(Ils sortent.)

SCÈNE II

Les avant-postes du camp des Volsques devant Rome.

SENTINELLES montant la garde. Ménénius s’approche d’elles.

PREMIER SOLDAT. – Halte-là: d’où es-tu?

SECOND SOLDAT. – Arrière, retourne sur tes pas.

MÉNÉNIUS. – Vous faites votre devoir en braves soldats; c’est bien: mais permettez; je suis un fonctionnaire de l’État, et je viens pour parler à Coriolan.

PREMIER SOLDAT. – De quel lieu venez-vous?

MÉNÉNIUS. – De Rome.

PREMIER SOLDAT. – Vous ne pouvez pas avancer: il faut retourner sur vos pas. Notre général ne veut plus écouter personne venant de Rome.

SECOND SOLDAT. – Vous verrez votre Rome environnée de flammes avant que vous parliez à Coriolan.

MÉNÉNIUS. – Mes braves amis, si vous avez entendu votre général parler de Rome et des amis qu’il y conserve, il y a mille à parier contre un que, dans ses récits, mon nom aura frappé votre oreille. Mon nom est Ménénius.

PREMIER SOLDAT. – Soit: rebroussez chemin; la vertu de votre nom n’est pas un passe-port ici.

MÉNÉNIUS. – Je te dis, camarade, que ton général est mon intime ami: j’ai été le livre qui a publié toutes ses belles actions, et qui a déployé aux yeux des hommes toute l’étendue de sa renommée sans rivale. J’ai toujours appuyé mes amis de mon témoignage (et il est le premier de mes amis), portant mon zèle jusqu’aux dernières limites de la vérité. Quelquefois même, semblable à la boule roulant sur une pente trompeuse, j’ai été tomber au delà du but, et j’ai presque imprimé le sceau du mensonge sur la louange; tu vois, camarade, que tu dois me laisser passer.

PREMIER SOLDAT. – En vérité, seigneur, quand vous auriez débité en sa faveur autant de mensonges que vous avez déjà dit de paroles, vous ne passeriez pas. Non, quand il y aurait autant de vertu à mentir qu’à vivre chastement. Ainsi, retournez sur vos pas.

MÉNÉNIUS. – Je te prie, mon ami, souviens-toi bien que mon nom est Ménénius, le partisan déclaré de ton général.

SECOND SOLDAT. – Quelque déterminé menteur que vous ayez pu être à sa louange, comme vous vous vantez de l’avoir été, je suis un homme, moi, qui vous dirai la vérité sous ses ordres; en conséquence, vous ne passerez pas. Reprenez votre chemin.

MÉNÉNIUS. – A-t-il dîné? Pouvez-vous me le dire? Car je ne veux lui parler qu’après dîner.

PREMIER SOLDAT. – Vous êtes un Romain, dites-vous?

MÉNÉNIUS. – Je le suis, comme l’est ton général.

PREMIER SOLDAT. – Vous devriez donc haïr Rome comme il la hait. – Pouvez-vous bien, après avoir chassé de vos portes votre défenseur, et, cédant à une ignorante populace, envoyé votre bouclier à vos ennemis; pouvez-vous espérer d’arrêter ses vengeances avec les vains gémissements de vos vieilles femmes, les mains suppliantes de vos jeunes filles, ou l’intercession impuissante d’un radoteur décrépit comme vous? Pensez-vous que votre faible souffle éteindra les flammes qui sont prêtes à embraser votre ville? Non, vous êtes dans l’erreur. Ainsi, retournez à Rome, et préparez-vous à subir votre arrêt: vous êtes tous condamnés; notre général a juré qu’il n’y avait plus ni pardon ni répit.

MÉNÉNIUS. – Coquin! sais-tu bien que si ton capitaine me savait ici, il me traiterait avec distinction?

SECOND SOLDAT. – Allons, mon capitaine ne vous connaît pas.

MÉNÉNIUS. – C’est ton général que je veux dire.

PREMIER SOLDAT. – Mon général ne s’embarrasse guère de vous. Retirez-vous, vous dis-je, si vous ne voulez pas voir répandre le peu de sang qui coule dans vos veines. Retirez-vous!

MÉNÉNIUS. – Comment donc, camarade! camarade!

(Entre Coriolan avec Aufidius.)

CORIOLAN. – De quoi s’agit-il?

MÉNÉNIUS, à la sentinelle. – Maintenant, mon camarade, je vais te faire avoir ce que tu mérites: tu verras que l’on me considère ici, tu verras qu’une imbécile de sentinelle comme toi ne peut pas m’empêcher d’approcher de mon fils Coriolan; devine, à la manière dont il va me traiter, si tu n’es pas à deux doigts de la potence, ou de quelque autre mort plus lente et plus cruelle: regarde bien, et tremble sur le sort qui t’attend. – (À Coriolan.) Que les dieux assemblés à toutes les heures s’occupent sans cesse de ton bonheur et qu’ils t’aiment seulement autant que t’aime ton vieux père Ménénius! Ô mon fils, mon fils! tu prépares des flammes pour nous! Regarde, voici de l’eau pour les éteindre. J’ai eu de la peine à me résoudre à venir vers toi; mais chacun m’assurant que je pouvais seul te fléchir, j’ai été poussé hors de nos portes par des soupirs. Je te conjure de pardonner à Rome et à tes concitoyens suppliants. Que les dieux propices apaisent ta fureur, et en fassent tomber le dernier ressentiment sur ce misérable qui, comme un bloc insensible, m’a refusé tout accès auprès de toi!

CORIOLAN. – Loin de moi!

MÉNÉNIUS. – Comment, loin de moi!

CORIOLAN. – Je ne connais plus; ni femme, ni mère, ni enfant. Ma volonté ne m’appartient plus; elle est engagée au service d’autrui: et quoique je me doive à moi ma vengeance personnelle, le pardon de Rome est dans le cœur des Volsques. Nous avons été unis par l’amitié; un ingrat oubli en empoisonnera le souvenir plutôt que de permettre à ma pitié de me rappeler combien nous fûmes intimes. Ainsi, laisse-moi: mon oreille oppose à tes demandes une dureté plus inflexible que le fer que vos portes opposent à ma force. Pourtant, car je t’ai tendrement aimé, prends avec toi cet écrit; je l’ai tracé pour toi, et je te I’aurais envoyé. (Il lui remet un papier.) Pas un mot de plus, Ménénius, je ne l’écouterai pas de toi. (Il lui tourne le dos et le quitte.) – (À Aufidius.) Ce vieillard, Aufidius, était pour moi un père dans Rome; et tu vois…

AUFIDIUS. – Tu sais soutenir ton caractère.

(Ils sortent ensemble.)

PREMIER SOLDAT. – Eh bien! votre nom est donc Ménénius?

SECOND SOLDAT. – C’est un nom, comme vous voyez, dont le charme est bien puissant! – Vous savez par quel chemin on retourne à Rome?

PREMIER SOLDAT. – Avez-vous vu comme nous avons été réprimandés pour avoir barré le passage à Votre Grandeur?

SECOND SOLDAT. – Croyez-vous que j’aie sujet de m’évanouir de peur?

MÉNÉNIUS. – Je ne m’embarrasse plus ni du monde ni de votre général. Pour des être tels que vous, je puis à peine penser qu’ils existent, tant vous êtes petits à mes yeux! Celui qui est décidé à se donner la mort lui-même ne la craint point d’un autre. Que votre général suive à son gré ses fureurs. Demeurez longtemps ce que vous êtes, et puisse votre misère s’accroître avec vos années! Je vous dis ce qu’on m’a dit: Loin de moi!