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(Il sort.)

PREMIER SOLDAT. – Un noble mortel, je le garantis.

SECOND SOLDAT. – Le noble mortel, c’est notre général. C’est un rocher, un chêne que le vent ne peut ébranler.

(Les soldats s’éloignent.)

SCÈNE III

La tente de Coriolan.

Entrent CORIOLAN, AUFIDIUS et autres.

CORIOLAN. – Demain, nous rangeons notre armée devant les murs de Rome. Toi, mon collègue, dans cette expédition, tu dois rendre compte au sénat volsque de la franchise que j’ai mise dans ma conduite.

AUFIDIUS. – Oui, tu n’as considéré que les intérêts des Volsques; tu as fermé l’oreille à la prière universelle de Rome; tu ne t’es permis aucune conférence secrète, pas même avec tes plus intimes amis, qui se croyaient sûrs de te gagner.

CORIOLAN. – Le dernier, ce vieillard que j’ai renvoyé à Rome, le cœur brisé, m’aimait plus tendrement que n’aime un père: oui, il m’aimait comme son dieu. Leur dernière ressource était de me renvoyer. C’est pour l’amour de lui, malgré la dureté que je lui ai montrée, que j’ai offert encore une fois les premières conditions: tu sais qu’ils les ont refusées; maintenant ils ne peuvent plus les accepter. C’était uniquement pour ne pas refuser tout à ce vieillard, qui se flattait d’obtenir bien davantage; et c’est lui avoir accordé bien peu. À présent, de nouvelles députations, de nouvelles requêtes, ni de la part de l’État, ni de celle de mes amis particuliers, je n’en veux plus écouter désormais. – Ah! quelles sont ces clameurs? (On entend des cris.) Vient-on tenter de me faire enfreindre mon serment, au moment même où je viens de le prononcer? Je ne l’enfreindrai pas.

(Entrent Virgilie, Volumnie, Valérie, le jeune Marcius, avec un cortége de dames romaines, toutes en robe de deuil.)

CORIOLAN, de loin, les voyant avancer. – Ah! c’est ma femme qui marche à leur tête; puis la vénérable mère dont le sein m’a porté, tenant par la main l’enfant de son fils. – Mais, loin de moi, tendresse! Que tous les liens, tous les droits de la nature s’anéantissent! Que ma seule vertu soit d’être inflexible! Que m’importent cette humble attitude, ou ces yeux de colombe qui rendraient les dieux parjures? Je m’attendris, et je ne suis pas formé d’une argile plus dure que les autres hommes. Ma mère fléchissant le genou devant moi! C’est comme si le mont Olympe s’humiliait devant une taupinière. Et mon jeune enfant, dont le visage semble me supplier; et la nature qui me crie: «Ne refuse pas!» Que les Volsques promènent la charrue et la herse sur les ruines de Rome et de l’Italie entière, je ne serai point assez stupide pour obéir à un aveugle instinct. Je veux rester insensible, comme si l’homme était le seul auteur de son existence, et qu’il ne connût point de parents.

VIRGILIE. – Mon maître et mon époux!

CORIOLAN. – Je ne vous vois plus avec les mêmes yeux qu’à Rome.

VIRGILIE. – La douleur, qui nous offre à vous si changées, vous le fait croire.

CORIOLAN. – Comme un acteur imbécile, j’ai déjà oublié mon rôle; je reste court, et suis tout prêt d’essuyer un affront complet. – Ô toi, la plus chère partie de moi-même, pardonne à ma tyrannie; mais ne me dis jamais: Pardonne aux Romains. – Oh! donne-moi un baiser qui dure autant que mon exil, qui soit aussi doux que me l’est la vengeance. – Par la reine jalouse des cieux, le baiser, ma bien-aimée, que tu me donnas en partant de Rome, mes lèvres fidèles l’ont toujours depuis conservé pur et vierge. – Ô dieux! je me répands en vaines paroles, et je laisse la plus respectable mère de l’univers, sans l’avoir encore saluée. – Tombe à genoux, Coriolan, et montre ici un sentiment de respect plus profond que les enfants vulgaires. (Il se met à genoux.)

VOLUMNIE. – Ô lève-toi, mon fils, et sois béni des dieux! c’est moi qui tombe à genoux devant toi sans autre coussin que ces cailloux, et qui te montre un respect déplacé entre une mère et son enfant. (Elle s’agenouille.)

CORIOLAN. – Que faites-vous? Vous, à genoux devant moi! devant le fils dont vous avez châtié l’enfance! Alors que les cailloux du rivage stérile attaquent les étoiles; que les vents mutinés arrachent les cèdres orgueilleux et les lancent contre l’orbe de feu du soleiclass="underline" c’est supprimer l’impossible que de faire naturellement ce qui ne peut pas être.

VOLUMNIE. – Tu es mon guerrier; j’ai contribué à te former à la guerre. – Connais-tu cette femme?

CORIOLAN. – Oui, la noble sœur de Publicola; l’astre le plus doux de Rome, chaste comme la neige la plus pure que l’hiver suspende au temple de Diane: chère Valérie.

VOLUMNIE. – Voici un imparfait abrégé de vous deux (montrant le jeune Marcius), qui, développé et agrandi par les années, pourra ressembler en tout à son père.

CORIOLAN. – Que le dieu des guerriers, de l’aveu du souverain Jupiter, remplisse ton âme de noblesse! Deviens invulnérable à la honte, et parais un jour sur les champs de bataille, comme le phare brillant sur le bord des mers, qui brave tous les coups de l’orage et sauve ceux qui le voient!

VOLUMNIE. – Enfant, mettez-vous à genoux.

CORIOLAN. – Voilà mon brave enfant.

VOLUMNIE. – Eh bien! cet enfant, cette femme, ta femme et moi, nous t’adressons notre prière.

CORIOLAN. – Je vous conjure, arrêtez: ou si vous voulez me faire une demande, avant tout, souvenez-vous bien de ceci, de ne pas vous offenser si je vous refuse ce que j’ai juré de n’accorder jamais. Ne me demandez pas de renvoyer mes soldats, ou de capituler encore avec les artisans de Rome. Ne me dites pas que je suis dénaturé. Ne cherchez pas à calmer mes fureurs et ma vengeance par vos raisons de sang-froid…

VOLUMNIE. – C’est assez! N’en dis pas davantage: tu viens de nous dire que tu ne nous accorderais rien; car nous n’avons rien autre chose à te demander, que ce que tu nous refuses déjà. Mais alors nous demanderons que, si nous succombons dans notre requête, le blâme en retombe sur ta dureté. Écoute-nous.

CORIOLAN. – Aufidius, et vous, Volsques, prêtez l’oreille; car nous n’écouterons aucune demande de Rome en secret. Votre requête?

VOLUMNIE. – Quand nous resterions muettes et sans parler, ces tristes vêtements et le dépérissement de nos visages te diraient assez quelle vie nous avons menée depuis ton exil. Réfléchis en toi-même, et juge si tu ne vois pas en nous les plus malheureuses femmes de la terre. Ta vue, qui devrait nous faire verser des larmes de joie, faire tressaillir nos cœurs de plaisir, nous fait verser des larmes de désespoir, et trembler de crainte et de douleur, en montrant aux yeux d’une mère, d’une femme, d’un enfant, un fils, un époux et un père, qui déchire les entrailles de sa patrie. Et c’est à nous, infortunées, que ta haine est surtout fatale. Tu nous enlèves jusqu’au pouvoir de prier les dieux, douceur qui reste à tous les malheureux, excepté à nous. Car, comment pouvons-nous, hélas! comment pouvons-nous prier les dieux pour notre patrie, comme c’est notre devoir, et les prier pour ta victoire, comme c’est aussi notre devoir? Hélas! il nous faut perdre, ou notre chère patrie qui nous a nourries, ou toi, qui faisais notre consolation dans notre patrie. De quelque côté que nos vœux s’accomplissent, nous trouvons partout le plus grand des malheurs; car il faudra te voir ou traîné comme un esclave rebelle, chargé de fers, le long de nos rues, ou foulant en triomphe sous tes pieds les ruines de ton pays, et portant la palme de la victoire pour prix d’avoir bravement versé le sang de ta femme et de tes enfants. Pour moi, mon fils, je ne me propose pas d’attendre l’événement de la fortune, ni le dénoûment de cette guerre. Si je ne puis te déterminer à montrer une noble clémence aux deux partis, plutôt que de chercher la ruine de l’un des deux pour envahir ta patrie, il te faudra marcher (sois-en sûr, tu ne le feras pas) sur le sein de ta mère, qui t’a conçu et mis au monde.