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COMINIUS. – Marcius, nous avons combattu avec désavantage; et nous nous sommes repliés, pour assurer l’exécution de nos desseins.

MARCIUS. – Quel est leur ordre de bataille? Savez-vous de quel côté sont placées leurs troupes d’élite?

COMINIUS. – Suivant mes conjectures, leur avant-garde est formée des Antiates, qui sont leurs meilleurs soldats: à leur tête est Aufidius, le centre de toutes leurs espérances.

MARCIUS. – Je vous conjure, au nom de toutes les batailles où nous avons combattu et de tout le sang que nous avons versé ensemble, au nom des serments que nous avons faits de rester toujours amis, envoyez-moi sur-le-champ contre Aufidius et ses Antiates, et ne perdons pas l’occasion. Remplissons l’air de traits et d’épées nues: tentons la fortune à cette heure même…

COMINIUS. – J’aimerais mieux vous voir conduire à un bain salutaire, et panser vos blessures: mais jamais je n’ose vous refuser ce que vous demandez. Choisissez vous-même parmi ces soldats ceux qui peuvent le mieux seconder votre entreprise.

MARCIUS. – Je choisis ceux qui voudront me suivre. S’il y a parmi vous quelqu’un (et ce serait un crime d’en douter) qui aime sur son visage le fard dont il voit le mien coloré, qui craigne moins pour ses jours que pour son honneur, qui pense qu’une belle mort est préférable à une vie honteuse, et qui chérisse plus sa patrie que lui-même; qu’il vienne, seul ou suivi de ceux qui pensent de même: qu’il étende comme moi la main (il lève la main) en témoignage de ses dispositions, et qu’il suive Marcius. -

(Tous ensemble poussent un cri, agitent leurs épées, élèvent Marcius sur leurs bras, et font voler leurs bonnets en l’air.)

– Oh! laissez-moi! Voulez-vous faire de moi un glaive? Si ces démonstrations ne sont pas une vaine apparence, qui de vous ne vaut pas quatre Volsques? Pas un de vous qui ne puisse opposer au vaillant Aufidius un bouclier aussi ferme que le sien. Je vous rends grâces à tous; mais je n’en dois choisir qu’un certain nombre. Les autres réserveront leur courage pour quelque autre combat que l’occasion amènera. Allons marchons. Quatre des plus braves recevront immédiatement mes ordres.

COMINIUS. – Marchez, mes amis: tenez ce que promet cette démonstration; et vous partagerez avec nous tous les fruits de la guerre.

(Ils sortent et suivent Coriolan.)

SCÈNE VII

Les portes de Corioles.

TITUS LARTIUS, ayant laissé une garnison dans Corioles, marche, avec un tambour et un trompette, vers COMINIUS ET MARCIUS. UN LIEUTENANT, DES SOLDATS, UN ESPION.

LARTIUS. – Veillez à la garde des portes: suivez les ordres que je vous ai donnés. À mon premier avis, envoyez ces centuries à notre secours: le reste pourra tenir quelque temps; si nous perdons la bataille, nous ne pouvons pas garder la ville.

LE LIEUTENANT. – Reposez-vous sur nos soins, seigneur.

LARTIUS. – Rentrez et fermez vos portes sur nous. Guide, marche; conduis-nous au camp des Romains.

(Ils sortent.)

SCÈNE VIII

L’autre camp des Romains.

On entend des cris de bataille MARCIUS ET AUFIDIUS entrent par différentes portes et se rencontrent.

MARCIUS. – Je ne veux combattre que toi: je te hais plus que l’homme qui viole sa parole…

AUFIDIUS. – Ma haine égale la tienne, et l’Afrique n’a point de serpent que j’abhorre plus que ta gloire, objet de ma jalousie. Affermis ton pied.

MARCIUS. – Que le premier qui reculera meure l’esclave de l’autre, et que les dieux le punissent encore dans l’autre vie!

AUFIDIUS. – Si tu me vois fuir, Marcius, poursuis-moi de tes clameurs comme un lièvre.

MARCIUS. – Tullus, pendant trois heures entières, je viens de combattre seul dans les murs de Corioles, et j’y ai fait tout ce que j’ai voulu. Ce sang dont tu vois mon visage masqué, n’est pas le mien; pour te venger, appelle et déploie toutes tes forces.

AUFIDIUS. – Fusses-tu cet Hector, ce foudre de vos fanfarons d’ancêtres, tu ne m’échapperais pas ici.

(Ils combattent sur place: quelques Volsques viennent au secours d’Aufidius: Marcius combat contre eux, jusqu’à ce qu’ils se retirent hors d’haleine.)

AUFIDIUS, en se retirant aux Volsques. – Plus officieux que braves, vous m’avez déshonoré par votre sotte assistance.

(Ils fuient poussés par Marcius.)

SCÈNE IX

Acclamations, cris de guerre. On donne le signal de la retraite. Cominius entre par une porte avec les Romains; Marcius entre par l’autre, un bras en écharpe.

COMINIUS. – Si je te racontais en détail tout ce que tu as fait aujourd’hui, tu ne croirais pas toi-même à tes propres actions. Mais je garde ce récit pour un autre lieu: c’est là que les sénateurs mêleront des larmes à leurs sourires; que nos illustres patriciens écouteront, hausseront les épaules, et finiront par admirer; que nos dames romaines trembleront d’effroi et de plaisir; que ces tribuns imbéciles, qui, ligués avec les vils plébéiens, détestent ta gloire, seront forcés de s’écrier, en dépit de leurs cœurs: «Nous remercions les dieux d’avoir accordé à Rome un tel guerrier.» Et pourtant, avant le banquet de cette journée dont tu es venu encore prendre ta part, tu étais déjà rassasié.

(Titus Lartius ramène ses troupes victorieuses, et lasses de poursuivre l’ennemi.)

LARTIUS. – Ô mon général! (Montrant Marcius.) Voilà le coursier, nous n’en sommes que le caparaçon. – Avez-vous vu?…

MARCIUS. – De grâce, épargnez-moi: ma mère, qui a le privilège de vanter son sang, m’afflige quand elle me donne des louanges. J’ai fait comme vous tout ce que j’ai pu, par le même motif qui vous anime, l’amour de ma patrie. Quiconque a pu accomplir ce qu’il souhaitait a fait plus que moi.

COMINIUS. – Vous ne serez point le tombeau de votre mérite: il faut que Rome connaisse tout le prix d’un de ses enfants. Dérober à sa connaissance vos actions, ce serait un crime plus grand qu’un vol, ce serait une trahison. On peut les célébrer, les élever au comble de la louange, sans passer les bornes de la modération. Ainsi, je vous en conjure, écoutez-moi en présence de toute l’armée, je veux dire ce que vous êtes, et non récompenser ce que vous avez fait.

MARCIUS. – J’ai sur mon corps quelques blessures, qui deviennent plus cuisantes quand j’en entends parler.

COMINIUS. – N’en pas parler serait une ingratitude qui pourrait les envenimer et les rendre mortelles. – De tous les chevaux dont nous avons pris un bon nombre, de tous les trésors que nous avons amassés dans Corioles et sur le champ de bataille, nous vous offrons la dîme: levez à votre choix ce tribut sur tout le butin, avant le partage général.

MARCIUS. – Je vous remercie, général; mais je ne puis amener mon cœur à accepter aucun salaire pour ce qu’a fait mon épée; je refuse votre offre, et ne veux qu’une part égale à ceux qui ont assisté à l’action. -