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– Mais coupable de vous avoir assassiné.

– C'est ce qu'on appelle un risque.

– Risquer sa vie, en l'occurrence.

– C'est un pléonasme. Le risque, c'est la vie même. On ne peut risquer que sa vie. Et si on ne la risque pas, on ne vit pas.

– Mais là, si je risque, je meurs!

– Tu meurs encore plus si tu ne risques pas.

– Vous n'avez pas l'air de comprendre. Si je vous tue et que vous n'êtes pas moi, je passe le restant de mes jours en prison!

– Si tu ne me tues pas, tu passes le restant de tes jours dans une prison mille fois plus abominable: ton cerveau, où tu ne cesseras de te demander, jusqu'à la torture, si tu es l'assassin de ta femme.

– Au moins, je serai libre.

Textor hurla de rire.

– Libre? Libre, toi? Tu te trouves libre? Ta vie brisée, ton travail, c'est ce que tu appelles être libre? Et tu n'as encore rien vu: tu crois que tu seras libre quand tu passeras des nuits entières à débusquer le criminel en toi? De quoi seras-tu libre, alors?

– C'est un cauchemar, dit Angust en secouant la tête.

– Oui, c'est un cauchemar, mais il a une issue. Il n'en a qu'une. Heureusement, elle est sûre.

– Qui que vous soyez, vous m'avez mis dans la situation la plus infernale de l'univers.

– Tu t'y es mis tout seul, mon vieux.

– Cessez de me parler avec cette insupportable familiarité!

– Monsieur Jérôme Angust est trop précieux pour qu'on le tutoie?

– Vous avez gâché ma vie. Ça ne vous suffit pas?

– C'est drôle, ce besoin qu'ont les gens d'accuser les autres d'avoir gâché leur existence. Alors qu'ils y parviennent si bien eux-mêmes, sans l'aide de quiconque!

– Taisez-vous.

– Tu n'aimes pas qu'on te dise la vérité, hein? Dans le fond, tu sais bien que j'ai raison. Tu sais que tu as tué ta femme. Tu le sens.

– Je ne sens rien!

– Si tu n'avais pas l'ombre d'un doute, tu ne serais pas dans cet état.

Texel rit.

– Ça vous fait rigoler?

– Tu devrais te voir. Ta souffrance est pitoyable.

Angust explosa de haine. Un geyser d'énergie enragée lui monta du bas du ventre jusqu'aux ongles et aux dents. Il se leva et attrapa son ennemi par le revers de sa veste.

– Vous riez toujours?

– Je jubile!

– Vous n'avez pas peur de mourir?

– Et toi, Jérôme?

– Je n'ai plus peur de rien!

– Il était temps.

Angust lança Texel jusqu'au mur le plus proche. Il se fichait des spectateurs comme d'une guigne. Il n'y avait plus place en lui que pour sa haine.

– Vous riez toujours?

– Tu me vouvoies toujours?

– Crève!

– Enfin! s'extasia Textor.

Angust s'empara de la tête de son ennemi et la fracassa à plusieurs reprises sur le mur. Chaque fois qu'il écrasait ce crâne sur la paroi, il criait: «Libre! Libre! Libre!»

Il recommença et recommença. Il exultait.

Quand la boîte noire de Texel éclata, Jérôme éprouva un soulagement profond.

Il lâcha le corps et s'en alla.

Le 24 mars 1999, les passagers qui attendaient le départ du vol pour Barcelone assistèrent à un spectacle sans nom. Comme l'avion en était à sa troisième heure de retard inexpliqué, l'un des voyageurs quitta son siège et vint se fracasser le crâne à plusieurs reprises sur l'un des murs du hall. Il était animé d'une violence si extraordinaire que personne n'osa s'interposer. Il continua jusqu'à ce que mort s'ensuivit.

Les témoins de ce suicide inqualifiable précisèrent un détail. Chaque fois que l'homme venait se taper la tête contre la paroi, il ponctuait son geste d'un hurlement. Et ce qu'il criait, c'était:

– Libre! Libre! Libre!