Выбрать главу

— Elle est nulle, ton histoire, dit-il.

— Elle te plaît pas ?

— Non. Elle n’est pas complète.

— J’ai rien d’autre.

— Je ne te crois pas, Vasco, mais ce n’est pas grave. Quand tu auras vraiment compris ce qui t’arrive, quand tu auras vraiment peur, le reste viendra. Combien de temps dois-tu encore « travailler » sur ce banc ?

— On doit me faire savoir quand ce sera fini. Maintenant, j’y vais, faut que je sois à l’heure.

Vasco se leva, vérifia machinalement s’il n’avait pas laissé un objet sur la table.

— A tout à l’heure, dit Adamsberg.

Adamsberg faisait partie de ces hommes qui redoutent de se lever tard. Passé huit heures, il avait l’impression de courir quelque danger obscur, de tenter le diable. Et ce matin, contre toute attente, il s’était rendormi après le passage de Vasco. Il fit le chemin en courant pour compenser le péril où il s’était mis en s’attardant au lit et arriva mal à l’aise au commissariat vers dix heures et demie. Il arrêta sa course près du banc de Vasco. Le vieux n’était pas là. Troublé, il alla retrouver Danglard.

— Vasco ? Vous l’avez vu ce matin ?

— Pas vu. Il disparaît le jour même où vous vouliez l’interroger. Ce n’est pas de chance.

Adamsberg observa Danglard qui tournait les pages de son rapport.

— Vous ne lui auriez pas dit de foutre le camp, par hasard ? Vous ne l’aimiez pas, ce vieux.

Danglard haussa les épaules.

— Je l’aimais bien. Mais je n’aime pas qu’on me surveille.

— Il ne surveille personne. Il attend qu’on le « contacte ».

Danglard leva la tête.

— Je l’ai questionné à l’aube, dit Adamsberg. C’est tout ce qu’il consent à lâcher : qu’il est payé pour être là, et il ne sait pas par qui.

— Il ment.

— Évidemment.

Danglard abandonna son dossier et réfléchit en faisant rouler son crayon sur sa lèvre supérieure.

— Vous pensez qu’il s’est barré pour ne pas être interrogé à nouveau ?

— Peut-être. À moins que son « employeur » ne l’ait vu avec moi et ne lui fasse des ennuis.

— Possible.

— À moins qu’il n’ait écrit les lettres lui-même. À moins qu’il n’ait peur.

Danglard fronça les sourcils et fit cette fois rouler son crayon depuis la base de son nez jusqu’au menton. Adamsberg le regardait faire. Il avait essayé, mais le crayon était sans cesse tombé.

— Je continue à penser, dit Danglard, que les lettres et lui, ça fait deux. Il n’y aurait qu’un dingue pour venir assister sur place à l’effet produit par son courrier.

— C’est vous qui disiez qu’il déraillait.

Danglard se leva pesamment en trois mouvements successifs, le torse, les fesses, les jambes.

— C’est vrai, dit-il. Mais un auteur de lettres anonymes, c’est toujours un type qui se dissimule, qui fait ses coups de loin, qui progresse en s’abritant. Vasco, lui, s’expose comme un objet de musée depuis des semaines. Comment peut-on concilier cela ? Comment pourrait-il être les deux à la fois ? Etre à la fois derrière et devant ?

Adamsberg hocha la tête, puis regagna son bureau. Debout, il tria son courrier d’un geste lent et s’interrompit brusquement. Il avait en main la sixième lettre. « C’est bien », marmonna-t-il, comme dans un murmure d’encouragement. Le type ne parvenait pas à s’arrêter. Alors, il était foutu. Parce que lui, Adamsberg, serait patient jusqu’à la fin du monde, et pas le type.

31 juillet

Monsieur le Commissaire,

Et la femme de la gare de l’Est ? Vous calez ? Dans le fond, c’est vrai que vous êtes con. Je dois m’absenter pour mes affaires. C’est dommage, je ne vous écrirai pas de sitôt.

Salut et liberté

X

— Tu parles, murmura Adamsberg.

Il rejoignit Danglard d’un pas relativement rapide et posa le document sur sa table.

— « La femme de la gare de l’Est. » Cherchez-moi ça, Danglard, aussi vite que possible. Je ne savais pas qu’il y avait eu un meurtre à la gare.

Danglard obtint l’information dans la demi-heure. Sept semaines plus tôt, on avait trouvé une femme écrasée sur les rails. Un accident. Elle était ivre, elle était sans doute tombée du pont et s’était tuée dans sa chute. On avait envisagé une bagarre, sans preuve. Le suicide aussi, sans preuve. L’affaire était en cours de classement.

— Allez voir le collègue du 10e arrondissement et rassemblez tout ce que vous pouvez sur cette femme. Comment s’appelait-elle ?

— Colette Verny. Elle vivait seule, sans…

— Vous me raconterez ça tout à l’heure. Je file chercher Vasco.

— Vous savez où il est ?

— Oui, je le sais. Vous croyez que j’ai laissé ce type en embuscade sans me renseigner sur lui ? Sans le suivre pour savoir où il crèche ? Qui il connaît ? Ce qu’il fait ?

Danglard regardait le commissaire sans rien dire, stupéfait et vaguement trahi.

— Danglard, vous croyez toujours que je ne fous rien sous prétexte que je ne fous rien. La réalité n’est jamais si simple et vous le savez mieux que quiconque.

Adamsberg lui sourit et lui adressa un signe de la main avant de sortir.

La chambre où vivait Vasco était au septième étage sans ascenseur. Adamsberg et ses deux adjoints longèrent un premier couloir, qui sentait la graisse et la sueur, puis un second tout à fait sombre où pendaient des ampoules grillées.

— Ouvre, Vasco, dit-il doucement en frappant à une porte, devant laquelle on dérapait sur un paillasson gris en forme d’autruche.

— Ouvre, répéta Adamsberg. J’ai reçu du courrier pour toi.

La porte s’entrebâilla et Vasco jeta un œil vif aux deux adjoints qui encadraient Jean-Baptiste Adamsberg.

— T’es pas tout seul ?

— Laisse-moi entrer, ils restent dehors.

La chambre de Vasco était bien pire que la photo ne le laissait présager. Ce n’était pas un creux dans lequel loger, mais un plein, un amoncellement, une saturation d’objets entre lesquels il fallait se glisser pour demander la permission d’habiter. Adamsberg resta debout, mesurant l’ampleur de la tâche en tournant lentement le regard d’un côté à un autre.

— Qu’est-ce que tu cherches ? Qu’est-ce que tu as ?

— T’es pas venu au banc, ce matin ?

— Non. Tu m’as barbouillé avec tes histoires.

— Et l’employeur ? Tu l’as prévenu ?

— Je le connais pas, je te dis. Et puis je vais lâcher le truc. Ce n’est plus marrant comme avant, avec tes menaces, tes lettres. Je ne cherche pas spécialement les emmerdes.

— Tu les as. On sait de qui parle le tueur à présent. Il s’agit d’une femme qui s’est écrasée sur les rails de la gare de l’Est, il y a deux mois, juste avant ton arrivée. Complètement ivre. Elle s’appelait Colette Verny.

Vasco s’était assis sur une pile de magazines instable et regardait Adamsberg, l’air craintif, pour la première fois.

— Tu la connais ? demanda doucement Adamsberg.

— Non, souffla Vasco. Tu sais que je n’y suis pour rien.

— Je ne sais rien, Vasco, que toi, que les lettres et que cette femme. Parle-moi du gars qui t’a commandé le travail.

— Je ne le connais pas, je te l’ai dit.