On entra rapidement dans la confusion, dans une longue bataille juridique qui traduisait assez bien la crise de régime, le flottement des dirigeants, l’incertitude de la politique étrangère et, a posteriori, le manque de lucidité de la majorité des élus de la République. À la haute trahison, on finit par préférer la notion d’intelligence avec l’ennemi, estimée plus prudente. Joubert, en 1936, écopa de sept années de prison, bénéficia d’une remise de peine et sortit libre en 1941 pour mourir l’année suivante d’un cancer foudroyant, « bien plus rapide que ses avions », écrivit un journaliste venimeux.
Reste Charles Péricourt. Le scandale qui avait provoqué sa mise à l’écart fut promptement étouffé. Les quatre-vingt-huit juges désignés ne furent assistés que par… quatre experts-comptables, méthode très efficace pour ralentir l’instruction et laisser retomber le soufflé.
Devant les hurlements de la presse de droite, les autorités cessèrent de divulguer l’identité des contrevenants, privant ainsi le grand public de noms lui permettant d’incarner son indignation. Une partie de la presse préféra le silence et ne traita le scandale que dans quelques entrefilets d’une remarquable discrétion. D’autres optèrent pour la contre-attaque et reprirent leur antienne contre le fisc, dont l’appétit gargantuesque avait provoqué les contribuables. Bref, le scandale se délita progressivement, quelques mois plus tard il n’était plus question de rien, les banques anglaises et suisses poursuivirent leurs activités qui n’avaient pas même ralenti, les contribuables plus modestes continuèrent de payer proportionnellement davantage que les plus privilégiés.
Charles Péricourt cessa d’être inquiété, mais il était un homme laminé par son échec. Il ne se remit jamais de la mort d’Hortense. Ses « deux fleurs » ne se marièrent jamais, comme il l’avait pressenti, et suivirent un itinéraire chaotique qui les conduisit notamment dans les ordres, mais elles ne s’y plurent pas. Elles partirent pour Pondichéry en 1946, insistèrent pour que leur père vienne les rejoindre, ce qu’il accepta enfin de faire en mars 1951. C’est là, entouré de son « bouquet virginal », qu’il mourut l’année suivante.
Le talent précoce de Paul pour la publicité permit à son baume de faire une belle carrière, puissamment aidée par une astucieuse campagne de spots radiophoniques. Le slogan « Mince ! » devint une expression populaire, on l’employa à tout bout de champ. Les femmes l’adoraient, cela leur permettait de proférer une grossièreté vénielle sous le couvert de la plaisanterie. L’entreprise Péricourt déclina ses produits. Un reportage consacré à Paul Péricourt dans Le Petit Journal illustré le fit passer brusquement de la notoriété à la célébrité. On adora ce jeune homme en fauteuil roulant, brillant, entreprenant et modeste, qui passait l’essentiel de ses moments avec la presse à expliquer (à condition d’avoir le temps de l’écouter) que la grande Solange Gallinato était allée, juste avant de mourir, défier à Berlin la puissance du Reich, de quelle manière elle avait fait de son dernier récital un manifeste antinazi et comment les autorités allemandes avaient fabriqué une légende qu’il était grand temps de mettre en pièces parce qu’elle faisait tort à l’esprit de la diva, etc. Quand il était parti sur cette histoire, il était impossible de l’arrêter. Toutes les encyclopédies reprennent cette version que Paul a réussi à imposer.
Il entra dans la Résistance en 1941. Arrêté en 1943 par la Gestapo, on ne le sortit pas de son fauteuil pour le passer à la question.
Il était à Paris pendant les journées d’août 1944, il ne quitta pas son fauteuil, sa fenêtre et son fusil pendant près de soixante-douze heures.
Médaille de la Résistance, croix de la Libération, Légion d’honneur… Paul accepta les lauriers, mais ne parla jamais de sa guerre et ne s’inscrivit dans aucune association d’anciens combattants. Il ne voulut jamais revoir son père qui chercha, par ce biais, un point de contact avec son fils. Les deux hommes n’avaient pas vraiment choisi le même camp.
Son penchant pour la pharmacie ne survécut pas à la réussite du baume Calypso. Ce qui le passionnait, c’était moins les produits que la façon de les vendre. Il se consacra à la publicité, créa l’agence Péricourt, épousa Gloria Fenwick, héritière d’une agence américaine concurrente, alla s’installer à New York, revint à Paris, fit des enfants, des profits et des slogans, il était très fort dans ce domaine.
Alors qu’elle disposait de pas mal de solutions, Léonce Picard choisit de partir pour Casablanca. Elle voulait revenir à son point de départ, à la manière d’une petite fille qui, partie du mauvais pied dans une marelle, recommencerait la partie du début. D’ailleurs, elle n’emmena pas Robert Ferrand qui en fut bien surpris, mais qui se consola rapidement.
Elle ne chercha jamais à éclaircir la raison pour laquelle elle choisit le nom de Madeleine Janvier. Elle reprit sa prospection comme à Paris quelques années plus tôt. Au lieu de trouver une riche bourgeoise à qui servir de dame de compagnie, elle rencontra un industriel normand qui l’épousa et lui fit cinq enfants, un par an, Léonce prit beaucoup de poids après sa dernière grossesse, vous ne l’auriez pas reconnue.
Ah oui, Vladi, n’oublions pas Vladi.
Elle épousa son contrôleur des chemins de fer de l’Est, devint Mme Kessler, s’installa à Alençon, mais n’apprit jamais un seul mot de français. Son fils aîné, Adrien, comme chacun sait, fut Prix Nobel de médecine.
Quant à Madeleine et à Dupré, ils continuèrent de se voussoyer, ils le firent toute leur vie.
Il disait « Madeleine ». Elle disait « monsieur Dupré », comme une femme de commerçant en présence de la clientèle.
Reconnaissance de dette
Le titre de cet hommage à mon maître Dumas est extrait d’un vers d’Aragon (« Les lilas et les roses », Le Crève-cœur, 1941) et s’inspire librement d’un certain nombre de faits réels.
La Renaissance française de Gustave Joubert emprunte évidemment au Redressement français (1925–1935) d’Ernest Mercier, les pratiques de l’Union bancaire de Winterthour aux fraudes fiscales de la Banque commerciale de Bâle (1932), les agissements du Soir de Paris à « L’abominable vénalité de la presse française » (série d’articles de Boris Souvarine publiés dans L’Humanité, 1923). Le personnage de Jules Guilloteaux est inspiré de Maurice Bunau-Varilla, patron du Matin.
Tous ceux que je souhaite remercier ici n’ont aucune responsabilité dans mes infidélités à « l’histoire vraie », dont je suis seul comptable.
Tout au long de l’écriture, Camille Cléret (que j’ai eu la chance de rencontrer grâce à Emmanuel L.) a bien voulu mettre son talent d’historienne, sa réactivité et ses connaissances au service de ce roman. Lorsque j’ai fait une entorse à la vérité historique, elle me l’a signalé. Quand j’ai décidé de passer outre, elle m’en a fait valoir les risques. Cette collaboration a été un enchantement.
J’ai une dette conséquente vis-à-vis des historiens de la période et tout particulièrement de Fabrice Abbad, Serge Berstein et Pierre Milza, Olivier Dard, Frédéric Monier, Jean-François Sirinelli, Eugen Weber, Michel Winock, Theodore Zeldin.
L’Argent caché de Jean-Noël Jeanneney, passionnant ouvrage sur les milieux d’affaires et la politique, m’a fourni d’irremplaçables éléments, tout comme Les Batailles de l’impôt de Nicolas Delalande, d’où proviennent la majorité des idées de Charles sur la répression fiscale. Je les ai complétées grâce au travail de Christophe Farquet (« Lutte contre l’évasion fiscale : l’échec de la SDN »). Je dois à Sébastien Guex l’idée des fraudes fiscales, puisée dans son excellent article « 1932 : l’affaire des fraudes fiscales et le gouvernement Herriot ».