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Elle venait de baisser les yeux, signe de consentement, il la dominait d’une tête, bon, le début avait été un peu improvisé, mais il était retombé sur ses marques.

Elle le fixa de nouveau.

— Nous sommes des amis, n’est-ce pas, Madeleine ?

Euh, oui, ils étaient amis… Madeleine affichait un demi-sourire, assez prudent, pour lui signifier qu’elle attendait la suite, qu’il pouvait s’exprimer.

Gustave avait répété ses phrases :

— Nous avons eu autrefois un projet, cela ne s’est pas fait, mais le temps a passé. Et tout nous rapproche aujourd’hui. Le décès de votre père, l’accident de Paul, la charge des affaires… Ne pensez-vous pas qu’il serait bon maintenant d’envisager les choses différemment ? Et de faire confiance à votre vieil ami ?

Sa main restait posée sur l’épaule de Madeleine.

Elle dévisagea Gustave, les mots qu’il venait de prononcer tournaient en rond dans son esprit sans trouver la porte de sortie. Une pensée soudain l’assaillit. Gustave n’était-il pas en train… de la demander en mariage ? Elle n’en était pas certaine.

— Que voulez-vous, Gustave ?

Nous sommes-nous bien compris ? s’interrogea-t-il. Forcé par les circonstances, il avait dû légèrement décaler le début de son intervention, mais, à part cela, il avait prononcé ses phrases sans erreur, dans le bon ordre, il ne voyait pas où était le blocage.

Madeleine fronça les sourcils pour appuyer sa question.

Joubert avait imaginé plusieurs situations, mais à aucun moment il n’avait envisagé de n’être pas compris. Or, pour dissiper ce trouble, il n’avait pas préparé de phrase et naviguait maintenant à vue. Si elle ne s’était pas reculée, c’est qu’elle attendait une confirmation, alors il remplaça les mots par le geste. Il lui prit la main et la porta à ses lèvres.

Ainsi le message était clair. Il embrassa ses doigts et, pour faire bonne mesure, il ajouta « Madeleine… ».

Voilà, ça devait être suffisant.

— Gustave…, répondit-elle.

Il n’en était pas certain, mais il avait cru percevoir un point d’interrogation à la fin de cette réponse. C’est ce qu’il y a d’agaçant avec les femmes, il faut toujours que tout soit dit, verbalisé, elles sont si peu sûres d’elles-mêmes que la moindre incertitude les jette dans le doute, les fait vaciller, avec elles il faut que tout soit droit, ferme, clair. Officiel. C’était pénible.

Il n’allait tout de même pas lui faire une déclaration, c’était ridicule. Il chercha les mots et se souvint alors des premiers moments avec son ex-femme. Le souvenir remonta comme une bulle d’air, il en fut surpris, elle avait levé le regard vers lui avec le même air hésitant et irrésolu que Madeleine, il se le rappelait tout à fait maintenant. Il s’était penché. Il l’avait embrassée. C’est ce qu’elle voulait. Il n’avait rien eu de plus à dire. Les femmes sont ainsi, soit vous parlez longuement parce qu’il leur faut des mots et encore des mots, soit vous remplacez tout ce fatras par un baiser ou quelque chose d’équivalent (quoique pour elles, rien ne soit jamais équivalent à un baiser), ça remplit la même fonction.

Joubert pesa le pour et le contre. Elle était là, tout près, un sourire encourageant sur les lèvres. Allons, il fallait prendre son courage à deux mains…

Madeleine observait Gustave et commençait à se rassurer. Elle avait eu une fâcheuse impression, mais c’était un malentendu. Avait-il des difficultés personnelles ? Cette idée lui fit peur. Si c’était le cas et que cela l’empêchait de tenir son rôle à la banque ? Pire, voulait-il aller travailler ailleurs…? Que ferait-elle, alors ? Il était grand temps de lui manifester un peu de sympathie. Elle se rapprocha encore un peu de lui.

— Gustave…

C’était la confirmation qu’il attendait. Il respira à fond, puis il se pencha et posa ses lèvres sur celles de Madeleine.

Ce fut immédiat, elle se recula et le gifla.

Joubert se redressa, prit la mesure de la situation.

Il comprit que Madeleine allait le licencier.

Elle pensa qu’il allait démissionner, la laisser seule.

Anxieuse, elle se frottait les mains l’une contre l’autre.

— Gustave…

Mais il était déjà sorti. Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ? se demanda Madeleine.

Gustave Joubert plongea dans un état de confusion. Comment avait-il pu se méprendre à ce point ? Trop ébranlé pour analyser la situation avec distance, il ne cessait de ruminer.

Dans le passé, il avait souvent été blessé dans son orgueil, M. Péricourt n’était pas un homme facile à vivre, mais ce que Joubert avait accepté mille fois de son patron, il n’était pas disposé à le supporter d’une femme, fût-elle Madeleine Péricourt.

Était-ce la fin de sa carrière à la banque ? Il y avait pléthore de jeunes banquiers de talent qui vendraient leur âme pour servir Madeleine, d’autant qu’elle avait montré qu’elle ne détestait pas les jeunes hommes.

Et il lui faudrait trouver un autre poste. Oh, je n’aurai qu’à ouvrir mon carnet d’adresses, se disait-il, et c’était vrai, mais au mariage annulé avec la fille de son patron, il lui semblait insurmontable d’ajouter aujourd’hui un licenciement pour des raisons dont il devrait rougir.

Aussi, quelques heures plus tard, se résolut-il à prendre l’initiative pour sauvegarder les apparences.

Il rédigea sa lettre de démission.

Il opta pour une formule simple annonçant son départ prochain et précisa qu’il se tenait à la disposition du conseil d’administration et de sa présidente.

En attendant la venue du coursier, il fit quelques pas dans le bureau. Lui qui mettait à distance toutes les émotions susceptibles d’influer sur la qualité de son jugement ressentait une immense peine. Comment pourrait-il travailler ailleurs qu’ici, où il avait passé toute sa vie ? Ça lui serrait le cœur.

Le coursier était un garçon d’environ vingt-cinq ans, l’âge qu’il avait lui-même lorsqu’il était entré dans la maison. Que de temps et d’énergie il avait consacrés à cet établissement…

Il donna sa lettre. Le coursier lui en tendit une autre qui portait le nom de Madeleine.

Elle avait été plus rapide que lui.

Cher Gustave,

Je suis désolée de ce qui s’est passé. Un malentendu. N’en parlons plus, voulez-vous ?

Vous avez toute ma confiance.

Votre amie,

Madeleine

Gustave reprit son travail à la banque, mais animé d’une sourde colère. Au lieu de se montrer pragmatique, réaliste, Madeleine s’était conduite de manière illogique, idéaliste et, pour tout dire, sentimentale.

Demeurer à son poste était, bien sûr, un aveu de faiblesse dont Madeleine avait été le témoin, l’artisan, et resterait la principale bénéficiaire…

Mais, paradoxalement, en touchant ainsi le fond Gustave Joubert se demanda si cette dernière humiliation n’ouvrait pas une nouvelle époque de sa vie.

9

Trois mois que l’enfant était rentré de l’hôpital, il regardait toujours par la fenêtre. Cherchant désespérément à l’intéresser à quelque chose, Madeleine se dit qu’une activité cérébrale lui ferait du bien. Et ça, c’était le rayon d’André.