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— Personne.

— Elle non plus ?

— Comment voulez-vous que je le sache ?

— C’est votre épouse…

Gustave prit une longue respiration.

— Monsieur le commissaire, ma femme est une putain. Elle l’était avant que je l’épouse, j’ai fermé les yeux, mais elle l’est restée parce que c’est dans sa nature. J’ai récemment rencontré quelques… vicissitudes professionnelles, comme vous ne l’ignorez pas, et mon épouse, qui n’a d’intérêt que pour ma fortune, a trouvé qu’elle en avait fait suffisamment. Elle a cambriolé, très maladroitement, notre hôtel particulier et je ne la vois pas se rendre à Berlin avec des documents qu’elle serait même incapable de lire !

— Et pourtant, elle est allée au… Reichs-luft-fahrt-ministerium…, enfin, dans cette administration, le 9. Et elle y est retournée le 11.

La police est perplexe. D’abord, une faillite retentissante qui met la famille Joubert sur la paille. Ensuite, un cambriolage fort à propos au cours duquel disparaissent des plans d’aviation dont l’Allemagne ferait volontiers ses choux gras. Enfin, une épouse qui, à Berlin, est reçue au ministère de l’Air à deux reprises.

Disons le mot, terrible : tout cela sent la trahison. M. Joubert est-il allé vendre aux Allemands des secrets industriels français intéressant directement la sécurité du territoire ?

— Vous m’accusez… de traîtrise ?

La portée de l’accusation lui fit peur. On avait vu des gens condamnés à la peine de mort pour moins que cela.

— Nous n’en sommes pas là, monsieur Joubert, mais les faits sont troublants.

— C’est à vous de prouver que j’ai trahi mon pays, pas à moi de démontrer que je suis innocent !

— Le mieux, monsieur Joubert, serait que l’on puisse confronter votre défense à celle de madame votre épouse.

— Puisqu’elle est en fuite, je ne vois pas…

— Elle revient. Mme Joubert est dans le train pour Paris. Nos agents l’ont constaté au départ de Berlin. Passé la frontière, si elle descendait, elle serait immédiatement interpellée.

Gustave ne savait plus où donner de la tête. Si Léonce revenait, c’est qu’elle y était allée. Était-ce donc vrai ? Il s’affola.

— Sauf accident, poursuivit le policier, elle sera à Paris demain. Dès son arrivée, si cela ne vous dérange pas d’être confronté à elle…

— C’est tout ce que je souhaite !

Joubert avait hurlé.

Le ciel venait de se déchirer, les nuages s’écartaient, il serait le lendemain face à elle, il n’en ferait qu’une bouchée de cette salope, son innocence à lui serait démontrée.

— Oui, c’est très bien, confrontez-nous, je ne demande que cela…

La frontière.

Le train s’arrête, il fait nuit, on descend, les fonctionnaires grimpent, font ouvrir les bagages. Les autres, sur le quai, montent la garde, filtrent les voyageurs qui sortent.

Madeleine appelle un porteur, fait charger ses valises et s’avance vers le poste de contrôle, elle tend son passeport.

— Madame Péricourt, Madeleine.

On guette la sortie d’une femme, une certaine Léonce Joubert, une Française, mais ce n’est pas celle-ci.

Madeleine sourit, le douanier est satisfait, la photographie correspond à la personne, ça n’est pas toujours le cas, au suivant.

Il fait froid. Madeleine se retourne pour voir si le porteur la suit. Devant la gare, quelques taxis chargent les voyageurs, on se pousse pour gagner une voiture.

Une automobile fait un appel de phares, un homme descend, vient à sa rencontre.

— Bonsoir, monsieur Dupré…

— Bonsoir, Madeleine.

Il saisit les valises qu’il soulève avec une facilité qui émeut Madeleine. Il a ouvert la portière. Elle monte, s’assoit.

— Tout s’est bien passé ? demande-t-il en démarrant. Vous semblez épuisée…

— Je suis morte…

La voiture quitte la ville.

— Monsieur Dupré…

Elle a posé sa main sur sa cuisse, une main légère.

— Monsieur Dupré, il est peut-être un peu tard pour cela, mais j’ai un effroyable besoin de sommeil… N’y aurait-il pas, par ici, une auberge ou quelque chose pour… Je veux dire, une chambre…

— J’y ai pensé, Madeleine, nous y serons dans un quart d’heure, vous pouvez vous reposer.

La voiture s’est arrêtée, mais elle ne parvient pas à se réveiller.

— Madeleine…, insiste Dupré. Nous sommes arrivés.

Elle ouvre les yeux, elle ne sait plus où elle est, ah oui, merci, excusez-moi, monsieur Dupré, je dois avoir une tête de folle.

Elle sort, il fait froid, vite, la porte de l’auberge, Dupré a tout arrangé, voici la clé, c’est au premier. Il lui tient le coude, elle titube de fatigue, allez dormir.

Madeleine se penche vers lui, ne laissez pas les valises sans surveillance, il y a beaucoup d’argent…

Dupré fait aussitôt demi-tour, Madeleine entre dans la chambre. C’est charmant. Plus luxueux qu’elle n’imaginait. Elle se déshabille, fait sa toilette.

Il n’est pas remonté, elle jette un œil par la fenêtre, il est dans la cour, il fume une cigarette. Un chat noir se frotte contre ses mollets, il se baisse pour le caresser, le chat bombe le dos, il doit ronronner, Madeleine le comprend.

Elle se couche, elle attend. M. Dupré frappe légèrement à la porte, passe timidement la tête. Puis il entre.

— Vous ne dormez pas…

Il est soucieux, s’assoit sur le bord du lit.

— Madeleine, il faut que je vous dise…

Elle sent qu’il va la quitter, son cœur se serre.

— Je vous ai aidée… Tout ce que vous m’avez demandé, je l’ai fait. Mais ça…

Madeleine voudrait dire un mot, mais rien ne sort, gorge sèche.

— Ce n’est pas, de ma part, un élan patriotique, comprenez-moi bien, mais aider les nazis…

— Mais de quoi me parlez-vous ?

— Leur livrer les résultats d’une recherche qui pourrait les aider à…

Madeleine s’est redressée. Elle sourit.

— Mais, monsieur Dupré, jamais je n’aurais fait une chose pareille ! Pour qui me prenez-vous ?

La véhémence de Madeleine le surprend.

— C’est que… ces plans…

— J’ai donné au major Dietrich quatre pages lui permettant de vérifier la qualité de ce que je lui vendais, c’est vrai. Mais en partant, c’est le dossier « Hypothèse abandonnée » que je leur ai remis. Il leur faudra quelques jours avant de comprendre que c’est une recherche qui ne mène nulle part.

Dupré sourit à son tour. C’est, pense-t-elle, la première fois depuis que Madeleine le connaît.

— Maintenant, monsieur Dupré, vous ne voudriez pas venir vous coucher sur moi, s’il vous plaît ?

Dès son retour à Paris, Paul rédigea une lettre pour Solange. Tu m’écriras à Milan, Pinocchio, tu me promets ? Elle l’avait serré contre elle, à l’étouffer. Ce qu’il voulait lui dire était paradoxal. Le récital dont il garderait le plus immense souvenir était celui où Solange avait le moins chanté.

Il commença son courrier, mais n’eut pas le temps de l’achever.

Le 12 septembre, les journaux parisiens faisaient part de la mort de Solange Gallinato dans le train qui la conduisait à Amsterdam.

Vladi tenait le quotidien et le fixait, comme hypnotisée. Il n’était pas nécessaire de savoir lire pour deviner que sous la photo de la cantatrice, le titre annonçait son décès.