« Approuvé par la Faculté », destiné à rassurer par sa caution scientifique, était acceptable puisqu’il ne s’agissait finalement que d’un produit répertorié, validé et simplement parfumé.
Le charme du pot en grès qui contenait le baume tenait surtout par l’exclamation « Mince ! » écrite sur le couvercle, comme s’il s’agissait d’un parfum.
— Je connais cette odeur ! hurla Robert en l’ouvrant pour le renifler.
— Forcément, poussin, dit Léonce en rougissant.
On déboucha une bouteille de champagne. M. Brodsky parlait en allemand avec Vladi. Léonce félicitait Paul, les femmes vont adorer, Paul entendit : les femmes vont t’adorer.
Ils ne se croisaient jamais, ils n’étaient plus du même monde. Aussi, lorsque Guilloteaux fut informé que Madeleine Péricourt voulait le voir, comprit-il que c’était une visite intéressée, il fit dire qu’il était occupé.
— Ça ne fait rien, je vais attendre.
Elle s’était installée dans le hall d’accueil, calme et patiente. Vers onze heures et demie, la situation menaçant de devenir risible, Guilloteaux se reprit. Si elle lui demandait quelque chose d’excessif, il saurait refuser, ce serait comme face à une demande d’augmentation de salaire, il avait l’habitude.
Madeleine avait bien changé. Depuis combien de temps ne l’avait-il pas vue ? Il chercha.
— Plus de quatre ans, mon cher Jules.
Il pensait se trouver devant une mendigote, il avait devant lui une petite-bourgeoise proprette, souriante, cela le tranquillisa, il passa un revers de manche sur la dette qu’il craignait d’avoir contractée vis-à-vis d’elle.
— Comment allez-vous, chère enfant ? Et Louis, comment va-t-il ?
— C’est Paul. Et il va bien.
De tout temps, Jules Guilloteaux s’était interdit les excuses et les remerciements. Il se contenta de hocher la tête comme s’il se souvenait maintenant parfaitement, Paul, oui, bien sûr, évidemment.
— Et vous, mon cher Jules, comment allez-vous ?
— Oh, les affaires sont plus difficiles que jamais. Vous connaissez la situation de la presse…
— Je connais surtout la vôtre. Elles n’ont rien à voir l’une avec l’autre.
— Pardon ?
— Je ne veux pas vous faire perdre votre temps, mon cher Jules, je le sais précieux.
Elle ouvrit son sac, fouilla à l’intérieur d’un air soucieux, comme si elle craignait d’avoir oublié ce qu’elle lui apportait. Puis elle poussa un petit gémissement de soulagement, ah, le voilà, c’était un morceau de papier avec des chiffres.
Guilloteaux chaussa ses lunettes et lut. Ce n’était pas une date ni un numéro de téléphone, il leva les yeux vers elle, interrogatif.
— C’est le numéro de votre compte en banque.
— Plaît-il ?
— Celui que vous avez ouvert à l’Union bancaire de Winterthour pour y déposer ce que vous dissimulez au fisc depuis des années. Une belle somme, dites-moi. Il y a là de quoi augmenter tout le personnel ou acheter la moitié de la concurrence.
Jules avait de bons réflexes, mais la situation était inédite, troublante et visiblement dangereuse.
— Comment savez-vous…?
— L’important n’est pas comment je l’ai appris, mais ce que je sais. À peu près tout. Les dates des dépôts, des retraits, le montant des bénéfices, tout.
Madeleine parlait d’une voix calme et déterminée, mais elle marchait sur des œufs, car elle ne savait qu’une chose : le nom de Jules Guilloteaux figurait dans le carnet de M. Renaud.
Cela, lui ne le savait pas.
Quelqu’un qui a le nom de votre banque et le numéro de votre compte très privé n’a aucune raison de ne pas connaître tout le reste.
— Je vais vous laisser, mon cher Jules…
Madeleine était déjà à la porte, la main sur la poignée. Elle désigna le papier.
— Vous avez un autre chiffre… Si, si, retournez la feuille.
— Diable ! Vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère !
— Vous non plus, si j’en crois vos comptes…
— Mais qu’est-ce qui me garantit que vous vous en tiendrez là ?
— Ma parole, Jules ! Celle d’une Péricourt… si vous trouvez que cela vaut encore quelque chose.
Guilloteaux paraissait rassuré.
— Vous ne m’en voudrez pas d’insister sur l’urgence. Laissez-moi une enveloppe à l’accueil, disons demain matin ? Allez, je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps, j’ai déjà abusé.
— Je pense que vous pouvez nous laisser, Robert…
Il était surpris.
— Bah, comment ça ?
Madeleine l’aimait bien, ce garçon. Il n’avait pas deux sous de jugeote et il réagissait en tout avec la spontanéité d’un enfant de sept ans, c’était rafraîchissant. Le pénible, c’est qu’il fallait tout lui expliquer. Cette fois, elle n’en avait pas envie.
— Robert, allez jouer au billard, faites ce que vous voulez, mais laissez-nous parler tranquillement, je vous prie.
Robert avait toujours été impressionné par Madeleine. Elle lui en imposait. Il se leva, serra la main de René Delgas et quitta la salle en traînant les pieds.
— Alors, c’est ici votre QG ? demanda Madeleine en souriant.
— Si on veut…
Un beau garçon, vous verrez, avait dit Léonce, il est fainéant comme tout, il dort toute la journée, je ne sais pas ce qu’il fait de ses nuits, mais il passe pour un des meilleurs faussaires de Paris. Madeleine s’était inquiétée : vous tenez cela de Robert ? Non, rassurez-vous !
— J’ai besoin de faire refaire des manuscrits.
— Tout est possible.
La métamorphose de ce garçon est étonnante. Il est entré d’une démarche souple, le visage ouvert, avec ce côté superficiel et charmant qu’adoptent parfois les hommes qui se savent séduisants. Le voici sérieux et concentré. On parle affaires, ce n’est plus le même, pas l’ombre d’un sourire, des mots pesés au trébuchet. Il a compris quel genre de femme il avait en face de lui. Si Madeleine a congédié Robert, c’est pour qu’il ne connaisse pas les termes de leur contrat et ne puisse ainsi demander sa commission. C’est habile, ça le rend méfiant.
Madeleine, qui a besoin de vérifier qu’il est aussi adroit qu’on le prétend, lui tend une lettre manuscrite d’André, reçue à son retour de Berlin :
Chère Madeleine,
L’information que vous m’avez si aimablement transmise est parfaitement juste, je vous en remercie. J’ai hâte de connaître le dessous des cartes.
J’espère que cette cure aura été bénéfique pour notre cher petit Paul.
Bien à vous,
Delgas ne la regarde pas, volontairement.
— Cent vingt francs la page.
C’est bien cher, pense Madeleine, et cela se voit sur son visage. René soupire. En temps normal, il sortirait, mais un joli contrat avec des Marseillais vient de lui passer sous le nez, sur lequel il comptait. Il doit composer. Il se baisse, ouvre sa petite sacoche de cuir, en extrait une page blanche, un stylo-plume à réservoir, pose la lettre d’André devant lui et recopie :