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— Bien sûr que non », fit Geary en réprimant un sourire. Les files de fusiliers entraient dans l’installation minière en se déplaçant par sections, d’un couvert à l’autre, afin de se protéger mutuellement.

La précaution semblait néanmoins superflue. Geary scrutait l’écran, de plus en plus mal à l’aise à mesure que les groupes de symboles ennemis se repliaient plus vite que n’avançaient ses fusiliers. Les éléments de tête ennemis disparaissaient déjà dans certains des puits qui parsemaient la surface du satellite. « Que diable se passe-t-il ? »

Un instant plus tard, le colonel Carabali l’appelait : « Les défenseurs n’ont pas l’air d’opposer de résistance, capitaine Geary. Ils s’enfoncent très vite dans les galeries.

— Je viens de le constater. Pourquoi ne combattent-ils pas ? Vous en avez une idée ?

— Ils veulent évacuer l’installation avant qu’il n’arrive quelque chose, j’imagine, capitaine. Nous avons déjà émis l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’un piège. »

Les défenseurs évacueraient-ils une zone d’explosion ? « Que recommandez-vous, colonel ?

— Capitaine, autant ça me déplaît, autant je préférerais battre en retraite jusqu’à ce que nous ayons scanné chaque atome de ce caillou et découvert ce qu’y ont planqué les Syndics. »

Geary hésita. L’entreprise exigerait un temps fou. Pouvaient-ils attendre si longtemps ? D’autant qu’il faudrait encore ralentir la flotte et épuiser ses réserves de carburant. Mais il ne pouvait pas non plus ordonner aux fusiliers de s’aventurer plus avant dans ce qui ressemblait chaque seconde un peu plus à un piège mortel. « Colonel… »

Une voix acérée résonna derrière lui. « C’est un bluff. » Il se retourna et vit la coprésidente Rione, l’air péremptoire, se pencher dans le siège de l’observateur. « Aucun de vous ne joue-t-il jamais aux cartes ? Les Syndics ont créé une situation qui ressemble à un piège. Pourtant, ils n’ont pas vraiment démontré qu’ils étaient en mesure de faire sauter toute l’installation et, d’ailleurs, ils l’ont laissée intacte. Si nous fuyions, ils auraient sauvé leur mine et nous n’aurions pas obtenu ce que nous y sommes venus chercher. Si nous ralentissions et prenions notre temps, nous nous attarderions dans ce système stellaire. Ils en sortent gagnants dans les deux cas. »

Le colonel Carabali semblait perplexe. « L’argument de la coprésidente Rione me paraît logique, mais…

— Colonel, la coupa Rione, les Syndics font-ils d’ordinaire très grand cas de la santé de leur petit personnel ? Comme ces mineurs, par exemple.

— Non, madame la coprésidente. Jamais.

— Alors pourquoi ne leur ont-ils pas ordonné de retarder encore plus votre occupation effective de l’installation en attirant davantage de fusiliers dans ce prétendu piège ? Pourquoi se sont-ils retirés dans des galeries de mines d’où ils ne peuvent pas riposter et où ils feraient désormais, si nous décidions de tirer dans ces puits, des cibles faciles ?

— Avec tout le respect qui vous est dû, madame la coprésidente, vous n’êtes pas là-bas avec mes fusiliers », déclara le colonel Carabali en contrôlant soigneusement sa voix.

Rione la dévisagea en plissant les yeux. « Si vous vous imaginez que je fais ce choix à la légère, je vous rappelle que certains des fusiliers qui participent à cet assaut viennent de la République de Callas. Si je croyais à un plus grand danger, je me garderais bien de les mettre dans cette situation. »

Carabali se rembrunit, imitée par Desjani. Toutes deux fixèrent Geary. Ouais, d’accord. Rione croit à ce qu’elle dit, mais puis-je la suivre sur ce terrain ? Après tout, ce n’est pas une militaire. Elle n’est pas non plus aux commandes, et c’est d’ailleurs pour ça que tout le monde me regarde. La responsabilité m’en incombe donc. J’ai envie de prendre Rione au mot, car, si elle ne s’abuse pas, tout se passera comme je l’ai souhaité. Ne serais-je pas trop pressé de me ranger à son avis précisément pour cette raison ? Et si elle se trompait ? S’il ne s’agissait pas d’un bluff ?

Nous perdrions un tas de fusiliers et tout ce que nous sommes venus chercher dans cette installation.

Mais pourquoi les Syndics auraient-ils soudain fait montre d’une telle sollicitude pour la santé de leur petit personnel, avant de lui ordonner de se fourrer dans une aussi mauvaise passe ?

Il faut que je me décide. Si je me trompe, nombre de fusiliers vont mourir. D’un autre côté, si je prends l’autre décision, cette flotte risque de s’attarder ici encore plus longtemps et inutilement, tandis que les Syndics en profiteront pour amasser des forces dans les systèmes stellaires environnants.

Veuillez me montrer un signe, ô mes ancêtres.

S’ils le firent, Geary n’en vit ni n’en sentit rien. Il regarda Desjani et lut en elle la confiance la plus absolue : il prendrait nécessairement la bonne décision. Quelle qu’elle fût. Rione le scrutait, le visage sévère, comme si elle le mettait au défi de la croire. Le colonel Carabali se bornait à patienter ; impossible de deviner ce qu’elle ressentait derrière son masque d’impassible professionnalisme. Plus Geary tergiversait, plus la décision risquait de lui échapper en raison d’un développement imprévu de la situation. Il avait une responsabilité envers ces fusiliers, celle de faire un choix, de clairement déterminer qui devrait rendre des comptes si le pire se produisait. Étrange ! D’ordinaire, c’était Rione qui jouait les Cassandre…

C’était le plus souvent le cas. Rione, la femme politique, préférait toujours ne prendre aucune part dans les décisions qui pouvaient compromettre la sécurité de la flotte. Aujourd’hui, pourtant, elle prônait la témérité alors que le commandant des fusiliers de Geary et l’un de ses plus fougueux officiers recommandaient la prudence. Soit elle avait perdu les pédales, soit les ancêtres de Geary lui envoyaient effectivement un signe. Par son truchement.

Il marmotta une brève prière. « Il me semble que la coprésidente Rione a raison. Maintenez vos fusiliers à l’intérieur et ordonnez-leur d’occuper toute l’installation. »

Carabali salua, le visage rigide. « Oui, capitaine. » Son écran s’éteignit alors qu’elle transmettait les ordres.

Geary fixa le sol en espérant qu’il n’avait pas permis à son sentiment d’urgence de prendre le pas sur le sens commun. Lorsqu’il releva les yeux, l’écran tactique montrait les fusiliers en train de s’enfoncer en masse dans l’installation, tandis que la représentation de cette dernière passait graduellement au vert, une section après l’autre, pour indiquer qu’elle était nettoyée et sécurisée.

Rien n’avait encore explosé.

Il céda à la tentation d’afficher la vue qui s’offrait à l’un de ses sous-officiers. Une fenêtre s’ouvrit devant lui, montrant ce que filmait l’objectif fixé sur son casque. Cette section de l’installation rejoignait la surface, de sorte que les fusiliers s’y déplaçaient dans une zone privée d’atmosphère. De loin en loin, une lampe illuminait le matériel devant lequel ils passaient, et ses rayons à la nette définition n’éclairaient que ce qui devait l’être impérativement, puisque l’absence d’air interdisait la diffusion de la lumière. Les ombres étaient aussi noires et tranchées que brillantes les zones éclairées.

Il émane toujours d’un lieu abandonné une impression sinistre, la sensation que ses occupants précédents ne l’ont pas réellement quitté et sont toujours là, cachés quelque part, à guetter les intrus qui envahissent leur espace. Dans la mesure où les installations désaffectées des mondes privés d’atmosphère ne changent guère, un bâtiment déserté à peine quelques instants plus tôt donne autant l’impression d’être hanté que s’il était resté inoccupé pendant des siècles. Quelqu’un avait-il arpenté ce sol il y avait une heure, la veille, un siècle auparavant ? Bien que Geary eût vu de ses yeux les défenseurs traverser cette zone précise un peu plus tôt, et que les équipements enfouis fussent encore en activité à l’intérieur, cette mine n’en semblait pas moins déserte et silencieuse de l’extérieur.