Выбрать главу

— Tenteriez-vous de me persuader que je devrais prendre contre mes officiers des mesures fondées sur de simples soupçons ? demanda Geary. Vous me surprenez.

— Et je vous déçois ? » Duellos balaya l’argument d’un geste. « Je reste convaincu que, si cette flotte rentre un jour chez elle, ce sera parce que nous n’aurons pas oublié l’honneur de nos ancêtres. » Son regard se reporta sur le champ d’étoiles qu’affichait une des cloisons. « Ça tombe sous le sens, en vérité. Les pratiques déplorables adoptées au cours du dernier siècle ont été regardées comme nécessaires, bien que regrettables, à notre victoire. Bizarrement, cette victoire n’est toujours pas acquise. Depuis le temps, on pourrait croire que quelqu’un aurait dû se demander pourquoi ces mesures nécessaires mais regrettables n’ont pas donné les résultats escomptés. Pas avant que vous ne débarquiez, du moins, et que vous ne nous incitiez à y réfléchir au lieu de l’accepter passivement. » Duellos soupira. » Non, capitaine Geary, je me fais tout bonnement l’avocat du diable. Tout commandant a besoin d’un personnage de cette espèce, non ?

— D’un à tout le moins.

— Et, en dehors de moi, vous disposez d’un autre conseiller. » Il jeta à Geary un regard inquisiteur. « Comment est-ce que ça se passe de ce côté ? Si je puis me permettre de poser la question.

— Vous pouvez y répondre aussi bien que moi.

— C’est une femme forte et une femme dure, aussi respectée que peut l’être un politique au sein de cette flotte.

— J’ai fait amplement l’expérience de ces deux premières qualités, et je ne doute aucunement de la troisième. » Geary haussa les épaules. « Elle se montre très distante depuis Ilion. J’ignore pour quelle raison. Elle n’en dit rien.

— Les commandants de vaisseau de la Fédération du Rift et de la République de Callas m’ont laissé entendre que la coprésidente Rione faisait preuve depuis quelque temps d’un détachement qui ne lui ressemblait guère, fit remarquer Duellos. Elle n’est pas moins distante avec eux.

— Bizarre. » Je croyais être le seul fautif. Mais pourquoi, en ce cas, Rione observerait-elle le même comportement avec les officiers de sa propre nation ? À ce que j’ai pu en voir, elle portait à ces vaisseaux et leurs équipages une attention toute particulière. « Je tâcherai d’en avoir le cœur net. Une telle conduite de la part d’une personne comme Rione reste assez intrigante. »

Duellos opina.

« À propos de mystères, j’ai fait une constatation dont le sens m’échappe, reprit Geary. Cette dernière épine dans mon flanc… le capitaine Casia… commande bien à un cuirassé, n’est-ce pas ?

— En effet, convint Duellos, en se demandant visiblement où son interlocuteur voulait en venir.

— C’est ou c’était également vrai de gens comme Numos, Faresa et Kerestes. En même temps, d’excellents officiers comme Desjani, Tulev, Cresida et vous ne commandent qu’à un croiseur de combat. » Duellos écarta les mains en signe de feinte modestie, tout en hochant la tête. « Pourquoi ?

— Pourquoi ? répéta Duellos, à présent plongé dans la perplexité.

— Pourquoi mes commandants de cuirassé sont-ils moins qualifiés que mes commandants de croiseur de combat ? » demanda abruptement Geary.

Duellos afficha la même expression que si on venait de lui demander pourquoi l’espace était noir. « C’est ainsi que fonctionne la flotte. Les officiers les plus prometteurs sont destinés aux croiseurs de combat et ceux qu’on ne juge pas assez doués pour les commander sont affectés à un cuirassé. »

Geary attendit la suite, mais Duellos avait l’air de croire que ces dispositions n’exigeaient pas de plus amples explications. « D’accord. C’est comme ça que ça marche. Mais… pourquoi ? De mon temps, le commandement d’un cuirassé était le poste le plus prestigieux et le plus prisé. Les croiseurs de combat avaient eux aussi leur importance, mais ils n’arrivaient qu’au second plan. »

Sans doute était-ce la première fois que Geary prenait Duellos de court. « Vous parlez sérieusement ? Mais les cuirassés sont lents. Et lourds. Ils sont puissants, certes, mais ils ne conduisent pas la flotte au combat !

— Conduire la flotte ?

— Oui. » Duellos fendit l’air de la main. « Les croiseurs de combat sont rapides. Ils mènent les assauts, opèrent les premiers contacts avec l’ennemi…

—… et sont détruits plus vite et plus fréquemment parce qu’ils ne disposent pas de protections aussi puissantes que celles des cuirassés.

— Naturellement, admit Duellos, toujours aussi ébahi. Nous ne nous jetons pas dans la mêlée pour nous abriter derrière un bouclier. Mais pour nous battre. Et les croiseurs de combat sont en première ligne. »

Geary comprit brusquement : la culture de la flotte plaçait le combat au-dessus de tout, voyait dans l’affrontement rapide avec l’ennemi le plus grand des mérites et en était venue à privilégier les stratégies offensives au mépris de toutes les mesures considérées comme simplement défensives. Si bien que les meilleurs officiers briguaient naturellement le commandement des vaisseaux les mieux conçus pour l’attaque, tandis qu’on affectait les moins bien notés aux bâtiments dont les capacités défensives et l’armement massif étaient les plus développés.

Mais ce raisonnement présentait une faille sérieuse. Geary se demanda s’il n’avait pas enfin mis le doigt sur un des facteurs qui grevaient la chaîne de commandement de la flotte. « Réfléchissez à ce que la flotte est en train de faire, capitaine Duellos : elle affecte ses meilleurs officiers aux bâtiments les plus vulnérables et les pires aux vaisseaux les mieux protégés. À long terme, est-ce que ça ne vous paraît pas insensé ? »

Duellos plissa pensivement le front. « Je ne l’avais pas vu sous ce jour. Mais la flotte a besoin de ses meilleurs officiers sur les vaisseaux les plus rapides et les moins lourdement cuirassés. Un officier moins compétent pourra survivre à bord d’un cuirassé puisqu’il sera moins facile à détruire, vous comprenez ? »

Geary ne put réprimer un éclat de rire. « Le système serait donc destiné à protéger les moins compétents ? »

Les rides se creusèrent sur le front de Duellos. « Je n’avais encore jamais vu présenter le problème sous cet angle. Le raisonnement habituel, c’est que les défenses d’un cuirassé peuvent compenser les erreurs de jugement de son commandant. »

D’une certaine étrange façon, ça pouvait faire sens. « Les Syndics font-ils pareil ?

— Je n’en sais rien, avoua Duellos. J’imagine. »

Si tel était le cas, les deux bords se seraient à tout le moins échinés à décimer aussi vite que possible leurs meilleurs officiers. Geary se demanda de nouveau pourquoi une espèce extraterrestre se donnerait la peine d’attaquer l’humanité quand elle mettait tant de talent et de zèle à se nuire. « Je viens au moins de comprendre une chose capitale. De vous à moi, je trouve cette méthode parfaitement absurde, mais il me semble évident que je n’y peux rien changer pour l’instant. » S’il continuait de perdre des croiseurs de combat, il perdrait aussi ses meilleurs officiers supérieurs. Mais, en cas de nouveau heurt avec les Syndics, il ne voyait aucun moyen de leur interdire d’intervenir. Ce serait aller à l’encontre de leur entraînement, de leurs convictions et de leurs méthodes de combat traditionnelles. Mais je ferais bien de trouver une solution pour les protéger, sinon cette flotte est foutue. « Y a-t-il autre chose que je devrais savoir et que je n’ai pas encore deviné ? »

Duellos fronça les sourcils et parut hésiter. « Vous êtes conscient que vos opposants au sein de la flotte continuent de répandre des bruits pour tenter de saper votre autorité ?