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Peut-être. Ce mot s’attarda un moment en suspension. « J’aimerais en avoir la certitude. Mais je ne suis même pas sûr que ces extraterrestres existent. Que veulent-ils ? Quels sont leurs projets ? Puis-je ramener cette flotte chez elle sans déclencher un véritable conflit génocidaire entre l’Alliance et les Mondes syndiqués ? »

Il resta coi un bon moment, en s’efforçant de vider son esprit, de le laisser vagabonder librement, réceptif à tout message. Mais aucune fulgurance ne vint l’éclairer. Il soupira, s’apprêta à se lever puis prit une dernière fois la parole. « J’ignore ce qui tracasse Victoria Rione, mais il y a forcément quelque chose qu’elle refuse de partager avec moi ou un autre. Je sais qu’elle ne fait pas partie de la famille, mais, si je peux faire quelque chose pour elle et si c’est permis, montrez-moi comment je dois m’y prendre. Honnêtement, je ne sais pas ce que je ressens à l’égard de cette femme, mais elle a beaucoup fait pour autrui.

» Accordez-moi la paix, l’inspiration et la sagesse », acheva-t-il en tendant la main pour moucher la bougie tout en psalmodiant l’antique formule.

Il se sentait déjà beaucoup mieux en sortant.

« On a trouvé du matériel intéressant dans les archives récupérées par les fusiliers spatiaux à l’installation minière de Baldur. »

Le message du lieutenant des renseignements Iger était sans doute succinct, mais ces gens se complaisent dans le mystère et les cachotteries, comme s’ils en savaient toujours un peu plus que ce qu’ils daignent vous révéler. En l’occurrence, il suffit à attirer Geary dans la section du renseignement. « Qu’est-ce que vous avez appris ? »

Le lieutenant Iger et l’un de ses sous-officiers lui présentèrent un lecteur portable. « C’est là-dedans, capitaine. »

Geary lut le premier document. « Chère Asira… ceci est une missive personnelle. » Il entreprit de la parcourir puis ralentit le débit. « Nous ne pouvons pas nous procurer les pièces détachées nécessaires au bon fonctionnement de tout l’équipement et nous avons dû phagocyter certaines pièces de matériel pour permettre aux autres de tourner… Les rations ont recommencé à s’épuiser la semaine dernière… Le bruit court d’une nouvelle mobilisation, alors, s’il te plaît, écris-moi qu’il est infondé… Quand donc cette guerre finira-t-elle ? »

Geary releva les yeux. « Est-ce extrait des archives de la sécurité de cette installation ? Celui qui a écrit cette lettre était aux arrêts, j’imagine. »

Iger secoua la tête. « Elle était encore en souffrance, capitaine. Les contrôleurs de la sécurité l’avaient déjà filtrée.

— Vous voulez rire ? » Il regarda de nouveau la lettre en fronçant les sourcils. « J’espère que vous ne m’avez pas fait descendre ici au seul motif de m’apprendre que les Mondes syndiqués sont bien plus libres que je ne l’avais cru. »

Iger et ses sous-offs sourirent. « Non, capitaine, répliqua Iger. Il y a toujours une police politique. Mais il ne s’agit pas que d’une seule lettre. Il y en a encore tout un tas là-dedans, extraites du transmetteur syndic, et la plupart expriment à peu près les mêmes sentiments. Nous avons passé les patronymes au filtre des banques de données réquisitionnées par les fusiliers dans les bureaux de la sécurité et, mis à part des informations de routine, on n’a rien sur eux.

— Pourquoi ? » Geary brandit le lecteur. « N’est-ce pas précisément ce qui provoque l’envoi de dissidents dans les camps de travail des Mondes syndiqués ?

— Effectivement, capitaine. » Iger avait recouvré son sérieux. « Ou qui l’aurait dû, tout du moins. Mais, apparemment, cette installation tolérait, à un niveau sans précédent, les doléances ouvertement exprimées. Soit la force de sécurité était extrêmement laxiste, soit la situation actuelle soulève un tel mécontentement que l’expression du ressentiment devient trop banale pour qu’on la réprime. » Il montra le lecteur. « Les dossiers de l’installation contenaient aussi du courrier en provenance de la planète habitée ; il n’avait pas encore été distribué aux mineurs et autres employés de l’installation. Beaucoup de ces lettres disent à peu près pareil : on manque de tout et on s’inquiète de la quantité croissante de gens et de ressources qui sont investis dans l’effort de guerre.

— Certaines critiquent-elles ouvertement le gouvernement ? » Les quelques Syndics croisés par Geary depuis qu’il assumait le commandement de la flotte mouraient de peur à l’idée de dauber sur leur système social ou sur leurs dirigeants.

« Une seule, capitaine. Les autres marchent sur des œufs et ne critiquent leurs dirigeants que du bout des lèvres. » Iger tendit la main pour frapper deux touches. « Voici l’exception. »

Geary la lut attentivement : « “À quoi pensent donc nos chefs ? Quelqu’un doit commettre de graves erreurs. Mais personne ne paie pour elles à part toi et moi. Ça ne peut pas continuer.” Cette lettre a-t-elle été visée par la sécurité de l’installation ? Certainement.

— Non, capitaine. » Iger eut le plus grand mal à réprimer un nouveau sourire. « Son auteur est le chef de la sécurité.

— Vous plaisantez ? » Geary l’examina à nouveau. « Il ne s’agirait pas d’un faux ? D’une ruse destinée à nous fourvoyer ?

— Autant qu’on le sache, elle est authentique, capitaine.

— J’ai parlé aux Syndics que nous avons capturés. Vous les avez interrogés. Aucun ne disait cela.

— Pas à nous, capitaine, convint Iger. Ils se sentent sans doute libres d’en discuter entre eux, mais s’en ouvrir à nous serait suicidaire pour tout Syndic qui serait soumis à un débriefing à son retour. “Vous avez livré des informations à l’Alliance ? Qu’avez-vous déclaré exactement à son personnel ?” Ce genre de questions. Les détecteurs les prendraient aussitôt en flagrant délit de mensonge, ils seraient soumis à des méthodes d’interrogatoire plus… euh… virulentes et se retrouveraient inculpés de divulgation d’informations à l’ennemi et de haute trahison. »

Ça semblait logique. « Que signifie le fait que les civils en discutent entre eux, à votre avis, lieutenant ? »

Iger s’accorda un instant de réflexion, de nouveau solennel. « Nous avons posé la question à nos systèmes experts d’analyse sociale. Ils ont répondu que, si ces messages étaient authentiques, reflétaient expressément le sentiment général régnant dans le système de Baldur et n’étaient pas suivis de mesures punitives ni d’arrestations, alors la direction politique syndic devait être sérieusement ébranlée. Les tensions engendrées par la guerre rendent de plus en plus difficile le maintien du secret sur la dissension et le mécontentement à l’égard des dirigeants. Quelques lettres mettent aussi en doute les annonces officielles de victoires sur l’Alliance, quoique presque toujours de façon allusive. Bon, bien évidemment, il s’agit encore d’un système ignoré par l’hypernet, et, dans d’autres systèmes syndics, ce sentiment varie sûrement en intensité et en véhémence, mais rien ne porte à croire que Baldur est unique en son genre.