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Mais il n’avait pas le temps d’admirer le panorama ; son regard se verrouilla sur l’hologramme du système stellaire, en quête de signes de vaisseaux ou de mines syndics.

« M’a l’air complètement désert, fit remarquer Desjani. Pas même des bâtiments de faction. Vous aviez raison, capitaine. Les Syndics ne se doutaient absolument pas que nous visions Sendaï. » Elle lui décocha un sourire empreint d’admiration.

« Merci, marmonna Geary, mal à l’aise. On ne repère même pas un satellite chargé de surveiller le système ?

— Non, capitaine, répondit une vigie. Et pour cause », ajouta-t-elle en montrant l’écran avec fébrilité.

Une étoile, objet céleste d’une masse suffisante pour gauchir l’espace environnant et créer les conditions nécessaires à l’existence des points de saut, aurait dû normalement en occuper le centre. Sendaï était naguère un astre de cette espèce. Une très grosse étoile, certainement accompagnée à l’époque, des millions d’années plus tôt, d’un cortège de planètes.

Avant d’exploser en une supernova qui les avait carbonisées, et de s’effondrer elle-même, de se comprimer jusqu’à ce que la masse d’un énorme soleil soit réduite en une boule de matière de la taille d’une petite planète, si dense que sa gravité interdisait jusqu’à la lumière de s’en échapper.

Le capitaine Desjani opina puis déglutit, manifestement aussi nerveuse que sa vigie. « Un trou noir. »

Rien de ce qui subsistait de Sendaï n’était visible à l’œil nu. Mais, sur les écrans à large spectre, un flux de radiations jaillissait en deux faisceaux étroits des pôles nord et sud de l’étoile morte, cris d’agonie de la matière aspirée à une vélocité inconcevable par le trou noir.

Geary regarda autour de lui et constata que tous les hommes et femmes présents sur la passerelle fixaient leur écran avec la même appréhension. Vétérans d’innombrables batailles, ils n’en paraissaient pas moins atterrés par cette vision. « Des vaisseaux visitent-ils encore les trous noirs ? » s’enquit-il.

Desjani secoua la tête. « Pour quoi faire ? »

Bonne question. Quand les vaisseaux procédaient encore par sauts successifs, ils devaient impérativement traverser tous les systèmes stellaires placés entre leur point de départ et leur destination. Mais l’hypernet permettait de passer directement d’un portail à un autre. Les trous noirs, qui n’étaient plus vraiment des systèmes stellaires puisqu’ils aspiraient voracement toute la matière gravitant à proximité, n’avaient rien à offrir aux vaisseaux sinon le danger des radiations qu’ils rejetaient dans le vide. Les boucliers modernes eux-mêmes ne résisteraient pas indéfiniment à ce feu infernal.

Néanmoins, ce n’était qu’un trou noir. Ils n’allaient pas s’y attarder très longtemps puisqu’ils se contenteraient de gagner promptement le point de saut suivant, en esquivant les jets de radiations émis par les deux pôles. Geary se pencha vers Desjani. « Où est le problème ? »

Elle baissa les yeux. « Ce n’est pas… naturel, répondit-elle avec réticence.

— Mais si. Les trous noirs sont parfaitement naturels.

— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. » Desjani inspira profondément. « Il paraît que quand on en fixe un trop longuement… il vous prend une envie irrésistible d’y plonger, d’amener votre appareil sous l’horizon des événements pour voir ce qu’on trouve de l’autre côté. Ce qui était autrefois une étoile vous appelle et cherche à consumer les vaisseaux humains comme tout le reste. »

Il ne l’avait jamais entendu dire, pourtant les spatiaux avec qui il servait, encore jeune aspirant, s’étaient complu à le régaler de récits horrifiques : fantômes ou menaces mystérieuses qui, aux confins gelés de l’espace, dévoraient bâtiments et équipages. Mais un siècle suffisait amplement à en inventer de nouveaux. « Je ne me suis approché que de quelques-uns, sans jamais rien éprouver de tel.

— Je parie que vous êtes la seule personne de cette flotte à l’avoir fait », répondit Desjani.

L’inconnu. Encore et toujours le plus fertile terreau pour les peurs humaines. Et maintenant qu’informé des croyances de ceux qui l’entouraient Geary jetait un nouveau regard sur l’écran, il lui semblait ressentir l’attraction de la masse invisible présente au cœur de Sendaï. Plus forte que celle de la simple gravité, puisqu’elle prenait même la lumière en otage.

« Voilà pourquoi les Syndics brillent par leur absence, claironna brusquement Desjani. Ils savaient que s’ils ordonnaient à des vaisseaux de se poster en faction près d’un trou noir, leur équipage préférerait se mutiner que de s’y attarder longtemps.

— Excellente explication. » Geary haussa le ton mais s’exprima avec calme. « Je me suis déjà approché d’un trou noir. » Il était conscient que tout le monde l’écoutait. « Il n’y a aucun risque tant qu’on ne le frôle pas de trop près. Et nous nous en abstiendrons. Conduisons cette flotte au prochain point de saut. »

Le seul ordre, sans doute, que ses pires ennemis dans la flotte approuveraient inconditionnellement.

« Malédiction ! » Trois autres croiseurs de combat de l’Alliance venaient d’exploser.

Geary coupa la simulation d’un coup de poing rageur sur les commandes. La tactique qu’il avait tenté d’appliquer lui avait paru un tantinet timbrée, et sans doute l’était-elle effectivement. Toujours était-il qu’elle n’avait pas le moins du monde opéré. Au lieu de réduire les risques encourus par ses croiseurs de combat, elle les conduisait sous le feu croisé de deux forces syndics supérieures, qui les anéantissaient. Certes, elle mettait en scène des commandants syndics nettement plus pointus que ceux que rencontrerait jamais la flotte de l’Alliance, mais des officiers qu’il avait connus et respectés un siècle plus tôt l’avaient mis en garde contre la propension à baser des plans sur la prétendue sottise de l’ennemi. Un piège habile fonctionne beaucoup mieux qu’un traquenard partant du principe que l’ennemi est trop bête pour en voir les ficelles. Ne me manque plus maintenant qu’un piège habile.

L’écoutille de sa cabine carillonna, annonçant un visiteur. Le capitaine Desjani entra et salua en affichant une expression purement professionnelle. « Nous sommes à deux heures du point de saut pour Daïquon. Vous avez demandé à être tenu au courant.

— Oui, mais vous n’aviez pas besoin de descendre ici en personne pour m’en aviser. »

Desjani haussa les épaules, laissant transparaître sa gêne. « Votre présence est… réconfortante, capitaine. Vous avez certainement remarqué à quel point l’équipage a apprécié votre flegme à proximité de ce trou noir. Je peux vous certifier que le bruit s’en est répandu à tous les vaisseaux et qu’il a rasséréné tout le monde.

— Euh… » Bizarre d’entendre chanter ses louanges parce qu’on n’a pas eu peur d’un trou noir. Mais, influencé par l’attitude superstitieuse de ses pairs, Geary s’était rendu compte qu’il répugnait un peu plus, chaque seconde, à fixer l’objet monstrueux. « Merci, mais je peux déjà vous affirmer, sans aucune hésitation, que je ne regretterai pas ce système.

— Ni vous ni personne de la flotte, répondit-elle avec un sourire fugace. Excusez le dérangement, capitaine.

— Ne vous inquiétez pas de ça. Je procédais seulement à une simulation, qui se passait d’ailleurs très mal. » Il se rejeta en arrière en soupirant. « Asseyez-vous. J’apprécierais de parler d’autre chose que de stratégie, de tactique, des Syndics et de la guerre. »

Desjani hésita un instant puis alla s’asseoir face à lui, quasiment au garde-à-vous, comme elle en avait l’habitude dans sa cabine. « Ces sujets ont dominé la vie de l’Alliance plus longtemps que je n’ai vécu, confessa-t-elle. Je vois mal de quoi nous parlerions s’ils n’existaient pas.