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Peut-être n’avait-elle pas à ce point progressé. Mais Desjani était l’enfant d’un siècle de guerre et d’atrocités mutuelles. Les Syndics ne lui étaient pas moins étrangers que ces intelligences extraterrestres que Geary soupçonnait de rôder au-delà de leur espace. « Rectifions la formation de cette flotte. À toutes les unités. Beau travail. » Son regard se braqua sur un coin de l’écran où scintillaient en lettres rouges les noms des vaisseaux perdus de l’Alliance : deux destroyers et trois croiseurs légers. Nombre d’autres bâtiments avaient essuyé des dommages dans la tourmente. Ceux dont avaient souffert quelques destroyers survivants étaient peut-être irréparables, et sans doute faudrait-il les abandonner ; et un croiseur lourd au moins avait subi de graves dégâts. « Adoptez la formation Delta Un, sauf ceux qui s’emploient encore à récupérer nos capsules de survie. » Il aurait à déterminer lesquels, parmi tous les vaisseaux, étaient tellement amochés qu’il leur faudrait rejoindre les auxiliaires pour simplifier le travail des réparations et tenir compagnie à l’Orion, au Majestic et au Guerrier dans une formation ressemblant de plus en plus à une flottille de bâtiments estropiés.

Geary bascula sur un autre circuit et appela la section du renseignement. « Vérifiez si un des modules de survie syndic n’hébergerait pas des officiers de haut rang. » Il devait impérativement se tenir au courant de ce que mijotaient les Syndics, ainsi que du déroulement de la guerre à la frontière de l’Alliance. Compte tenu tant de leur goût obsessionnel du secret que du contrôle étroit qu’ils exerçaient sur leurs officiers, il y avait fort peu de chances, même si le commandant de cette force syndic avait survécu, qu’il ou elle eût des réponses à lui fournir. Mais plus il restait dans le noir, plus ces questions le rongeaient. Combien de temps pourrait-il encore esquiver l’ennemi alors que la plupart de ses manœuvres lui restaient inconnues ?

Si la flotte de l’Alliance était arrivée à Daïquon un jour plus tard, elle se serait engouffrée dans ce champ de mines et les vaisseaux de guet syndics se seraient échappés pour aller annoncer à leur haut commandement que les bâtiments de l’Alliance avaient emprunté cette route.

Dès que Geary entreprit de consulter les noms de ses vaisseaux détruits, l’inventaire des dommages et la liste des pertes en hommes, toute l’exaltation de la victoire se dissipa. Victoire modeste. Et chèrement acquise.

Cinq

Toutes choses égales, la traversée du système de Daïquon jusqu’au point de saut pour Ixion aurait dû prendre approximativement cinq jours et demi. Les cinq objets célestes d’importance gravitant autour de son étoile se composaient de quatre cailloux, tout juste assez gros pour mériter le titre de planète, et d’une énorme supergéante dont la seule masse aurait suffi à en faire une étoile. Les petites installations syndics qu’avait naguère hébergées un de ces cailloux étaient glacées et sans doute désaffectées depuis beau temps. Il n’y avait donc aucune raison de s’attarder à Daïquon, ni rien non plus qui pût y retarder la flotte.

Mais son croiseur lourd le Brillant avait été si sévèrement touché lors de leur bref engagement que Geary avait dû ralentir toute la formation pendant qu’on procédait à des réparations d’urgence sur ses principales unités de propulsion. La seule autre solution eût été d’abandonner ce vaisseau et il n’était pas prêt à s’y résoudre.

S’agissant des destroyers Brise-lame et Machette, en revanche, il n’avait pas eu le choix. Tous deux avaient été si gravement atteints que seul un chantier naval d’envergure aurait pu les remettre en état. Geary avait fait évacuer leur équipage et mettre leur réacteur en surcharge, transformant ainsi ces deux bâtiments en amas de débris en lente expansion et les ajoutant à tous ceux, fruits de la destruction des appareils syndics, qui parsemaient déjà le système de Daïquon. Sans doute ses autres vaisseaux auraient-ils l’emploi des officiers et des spatiaux de ces destroyers détruits, mais leur sabordage n’en sapait pas moins le moral.

Une vingtaine de destroyers, trois autres croiseurs légers et un croiseur lourd avaient rejoint les trois cuirassés dans la formation hétéroclite de bâtiments endommagés accompagnant la division des auxiliaires. Geary voulut épargner la fierté de leurs équipages en les bombardant officiellement « escorteurs de protection rapprochée des auxiliaires », mais il craignait que le mécontentement engendré par cette affectation si loin des premières lignes ne créât par la suite des problèmes. Ils seront sûrement ulcérés, même si ça reste la seule solution sensée. Cela dit, quel rapport y a-t-il entre la guerre et la logique ?

Il ferma les yeux en s’efforçant d’endiguer ces images de vaisseaux détruits avec leur équipage qui assaillaient son esprit. Sa cabine était silencieuse, et l’on ne percevait qu’un faible murmure de sons familiers et rassurants à travers les cloisons de l’Indomptable, témoins de la vie et de l’animation qui régnaient à bord : conduits d’aération bourdonnant de l’air frais qu’ils répartissaient, pompes aspirant divers fluides et les distribuant dans tout le vaisseau, voix à peine audibles des spatiaux passant à proximité, parfois accompagnées du grondement sourd d’un chariot de transport. Depuis combien de siècles les spatiaux entendaient-ils ces bruits omniprésents ? Avant cela, bien sûr, c’étaient les craquements du bois et les crissements des gréements sur les voiliers qui franchissaient les océans. Vivants et habités, les navires ne sont jamais vraiment silencieux.

« Capitaine Geary ? Ici le lieutenant Iger de la section du renseignement. »

Il frappa la touche des coms pour prendre l’appel. « Ici Geary. Qu’avez-vous appris ?

— Nous avons analysé les communications entre les capsules de survie évacuées par les vaisseaux syndics détruits et, autant que nous puissions le dire, tous les officiers supérieurs ont péri avec leurs bâtiments. Aucune n’a l’air d’abriter un individu qui tenterait d’exercer une autorité ou de coordonner des activités. »

Détourner un de ses vaisseaux pour aller récupérer des prisonniers qui ne lui apprendraient rien d’utile eût été stupide. « Se dirigent-elles toutes vers les installations désaffectées de ce système ?

— Oui, capitaine, confirma Iger. Elles n’ont pas le choix.

— Combien de temps peuvent-ils survivre sur les ressources de ces capsules et de cette base ? » Jusque-là, dans toutes les installations syndics qu’elle avait inspectées, la flotte n’avait trouvé que des rations d’urgence ou des vivres abandonnés sur place, et gelés sur les planètes dépourvues d’atmosphère.

« En partant du principe qu’elles sont pleines de rescapés, les capsules contiennent assez de provisions pour deux semaines. On peut allonger ce délai, bien entendu. Sans doute la plupart de ces bâtiments étaient-ils censés rester sur place pour guetter notre arrivée, mais la procédure syndic exige l’envoi d’un vaisseau estafette chargé de rendre compte de l’accomplissement de la mission, en l’occurrence la pose de champs de mines. Quand les dirigeants des systèmes syndics voisins constateront qu’ils ne reçoivent aucune nouvelle des vaisseaux de Daïquon, ils dépêcheront quelqu’un pour se renseigner. Peut-être un vaisseau est-il déjà en chemin.

— D’accord. Merci. » Inutile, donc, de détourner un bâtiment pour récupérer des modules abritant des spatiaux syndics. Il pourrait toujours faire transmettre par la flotte un message aux autorités syndics de la planète habitée du système d’Ixion à son arrivée sur place, afin de s’assurer qu’elles soient informées de la présence à Daïquon de leur personnel en souffrance.