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Fabuleux. Absolument fabuleux. Si habitué qu’il fût à la perversité de l’univers, comprendre qu’il n’affrontait ce problème que parce qu’il s’était trop bien comporté pendant les combats restait une révélation sidérante. Il coula un regard vers Desjani. « Nous avons des problèmes parce que la flotte n’a pas perdu suffisamment de vaisseaux dans les batailles. »

À sa grande surprise, Desjani ne mit que quelques secondes à comprendre. « On va devoir adapter les systèmes à vos tactiques, capitaine. J’aurais dû en prendre conscience, moi aussi. »

Geary lui décocha un sourire lugubre. Ça ressemblait bien à Desjani d’endosser une part de la responsabilité alors qu’elle n’y était pour rien. Contrairement, par exemple, au capitaine Tyrosian qui, dans l’expectative, semblait ne plus savoir que faire et attendait les ordres de Geary sans rien proposer. « Tanya, que recommandez-vous ? demanda-t-il en se servant du prénom de Desjani pour mieux la mettre en confiance.

— Tous les auxiliaires sont-ils victimes de cette pénurie en minerais bruts ? » Elle vérifia à nouveau les relevés et leva les yeux au ciel. Quant au fait qu’on laissait à des ingénieurs le soin de gérer des vaisseaux, sa religion était faite. D’un autre côté, il fallait dire aussi que presque tous les commandants de vaisseau de Geary étaient du même avis. « Les réserves du Djinn sont légèrement moins atteintes que celles du Sorcière, fit-elle remarquer à haute voix. Celles du Gobelin légèrement plus basses et celles du Titan à peu près dans le même état que celles du Sorcière. » Geary s’efforçait de ne pas songer à tout ce qu’ils avaient pillé à Sancerre et à la facilité avec laquelle ils auraient pu embarquer des quantités beaucoup plus importantes de ces minerais essentiels. « Il nous en faut davantage, conclut-elle.

— C’est ce qu’il m’a semblé, répondit Geary en se contraignant à ne pas exploser en l’entendant proférer ce truisme. Mais où le trouver ? »

Desjani indiqua d’un geste l’hologramme du système stellaire. « Les Syndics possèdent des mines dans ce système, bien sûr. Nous y trouverons ce qu’il nous faut. »

Geary sourit, brusquement soulagé. J’étais encore à Sancerre en esprit. Loués en soient nos ancêtres, Desjani, elle, est à Baldur. « Madame la coprésidente… » commença-t-il.

Rione interrompit sa question d’un froncement de sourcils. « Nous avons déjà été victimes d’un sabotage de la part des Syndics, capitaine Geary. Leur demander ce dont nous avons besoin, voire le leur faire seulement savoir, pourrait être une grave erreur. Je vois mal comment nous pourrions compter sur la diplomatie dans cette affaire. »

Desjani acquiesça d’un hochement de tête, à contrecœur. « C’est pratiquement une certitude, capitaine. »

Geary y réfléchit puis se tourna vers l’écran où patientait toujours l’image de Tyrosian. Le capitaine du génie était manifestement fébrile, mais elle se ceignait déjà les reins en prévision de la volée de bois vert, verbale ou pire encore, à laquelle elle s’attendait probablement. Peut-être n’était-elle pas l’officier le plus intelligent ou compétent de la flotte, mais elle connaissait son boulot d’ingénieur et l’avait toujours impeccablement exécuté. Certes, elle n’avait pas su prévoir le problème, mais les systèmes automatisés engendrent une dépendance chez leurs utilisateurs. Tout le monde le sait. Geary pouvait déjà s’estimer heureux qu’elle eût identifié le problème au lieu d’aveuglément se cramponner à une erreur de calcul des systèmes.

Il se força donc à afficher une mine confiante, comme s’il n’avait jamais douté de sa capacité à régler ce problème. « Très bien. En résumé, nos quatre auxiliaires doivent affronter une grave pénurie en matières premières. Si nous n’en embarquons pas le plus vite possible, la production de composants vitaux devra s’interrompre. Ces matières premières sont-elles disponibles dans ce système ? » Se souvenant brusquement du délai, de plus en plus irritant, qui affectait les communications il ajouta une dernière question : « Et le sont-elles sur un site précis, entre toutes les installations minières que nous avons repérées ? »

Trente secondes plus tard, il voyait s’illuminer le visage de Tyrosian. « Oui, capitaine. L’activité minière sur les astéroïdes et à proximité des géantes gazeuses a d’ores et déjà été détectée et analysée par les senseurs de la flotte. Le site le plus vraisemblable correspondant à nos besoins se trouve… hum… là, sur la quatrième lune de la seconde géante gazeuse. » Une deuxième fenêtre s’ouvrit, montrant le site indiqué.

« Pensez-vous que nous devrions exiger des Syndics qu’ils nous fournissent ces minerais ? »

Tyrosian afficha une mine visiblement alarmée. « Ce ne serait guère avisé, capitaine. Ils sauraient alors que nous manquons de ces matériaux spécifiques. Ce sont tous des éléments trace, qu’on ne trouve et emploie qu’en quantités infimes. Les Syndics pourraient aisément contaminer ou détruire leurs réserves existantes, qui ne sont certainement pas très importantes. »

De mieux en mieux. Le regard de Geary se posa de nouveau sur l’écran. Il allait devoir surprendre les Syndics par un raid sur leurs installations minières, sans doute beaucoup plus aisé s’ils ne voyaient pas arriver tous ses vaisseaux plusieurs jours avant qu’ils n’atteignissent leur objectif. « Y a-t-il autre chose dont je devrais être informé, capitaine Tyrosian ? D’un autre besoin des auxiliaires ? D’une autre lacune qui risquerait d’amoindrir leur capacité à fournir à cette flotte des cellules d’énergie et des munitions ? » Non qu’il tînt, d’ailleurs, à apprendre d’autres mauvaises nouvelles, mais celles-ci ne s’améliorent pas parce qu’on refuse de les entendre. Elles empirent, bien au contraire.

Tyrosian secoua de nouveau la tête. « Non, capitaine. Rien à ma connaissance. Je demanderai à tous les services de chacun des auxiliaires de procéder à une évaluation du pire scénario envisageable, juste pour m’en assurer.

— Parfait. » Que décider, à présent, pour Tyrosian ? Elle avait foiré dans les grandes largeurs et, au lieu de le lui dire, elle l’avait laissé s’en rendre compte par lui-même. Cette bévue avait fait courir à la flotte un danger encore plus grave, et accroître ce danger alors qu’elle traversait déjà l’espace du Syndic, menacée d’anéantissement, exigeait de gros efforts.

Mais, jusque-là, elle avait bien travaillé, ou, tout du moins, convenablement. Et par qui d’autre la remplacer s’il la relevait de ses fonctions ? Le commandant du Titan était certes plein de fougue, mais jeune et inexpérimenté. Dans une flotte puissamment entichée d’honneur et d’ancienneté, le bombarder commandant de la division des auxiliaires risquait d’engendrer un grave ressentiment, et rien ne prouvait qu’il pût assumer cette responsabilité si jeune. Les états de service du commandant du Gobelin restaient remarquables, compte tenu de sa médiocrité flagrante. Celui du Djinn n’avait remplacé que très récemment son prédécesseur relevé par Geary. Et le capitaine Gundel (ledit prédécesseur) se désintéressait de manière si patente des besoins des vaisseaux de guerre qu’il aurait aussi bien pu servir la soupe à l’ennemi. Pour l’heure, Gundel était claquemuré dans un petit bureau, quelque part à bord du Titan, où il avait reçu l’ordre de pondre une étude exhaustive (la flotte dût-elle mettre plusieurs années à rentrer) sur ses besoins, occupation dont le seul but était de l’empêcher de se fourrer dans les pattes de Geary.