Выбрать главу

Il n’y avait pas songé. Il fixa un point derrière elle et réfléchit. « Tu en crois vraiment certains commandants capables ? Ceux qui conspirent contre moi, Casia et ses pareils, ne m’ont pas l’air prêts à risquer leur vie dans une charge héroïque à laquelle ils n’auraient aucune chance de survivre.

— Ce n’est pas d’eux qu’il faut t’inquiéter ! Quelle sorte de cervelle t’ont donc donnée les vivantes étoiles, John Geary ? » Rione se rapprocha et lui agrippa les bras. « Les plus dangereux sont ceux qui croient assez en toi pour te proposer une dictature mais pas suffisamment pour accepter de renoncer à leurs raisonnements spécieux ! Demande à l’officier auquel tu te fies le plus ! Demande à Roberto Duellos. Il te dira la même chose. Tanya Desjani elle-même te le dira. Pose-leur la question si tu ne me crois pas ! »

Ça tombait sous le sens. « Te voir raisonner en politicienne a parfois des avantages.

— Merci. Enfin, je crois », lui lança Rione en s’écartant brusquement. Elle montra de nouveau l’hologramme. « S’ils te savaient absolument incapable de choisir Kopara…

— Non ! Si nous nous retrouvions piégés à Kopara, il n’y aurait pas d’échappatoire ! Lakota nous offre plusieurs choix. » Il fixa de nouveau sombrement l’hologramme puis reporta le regard sur Rione. « Pourquoi t’en abstiens-tu ? »

Elle lui rendit son regard. « De quoi ?

— De me menacer d’ordonner aux vaisseaux de la République de Callas et de la Fédération du Rift de refuser dorénavant de m’obéir. Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?

— Parce que je ne profère aucune menace que je ne peux pas tenir, répliqua-t-elle avec colère. La loyauté de mes propres commandants est désormais partagée. S’il te plaît, ne fais pas semblant de croire que tu l’ignores encore. Quoi que je dise, nombre d’entre eux te suivraient.

— Vraiment ? » Sa surprise avait dû transparaître. « Je n’ai nullement essayé de détourner de toi leur…

— Ahiiii ! glapit Rione, ivre de fureur, en se rapprochant de nouveau de lui pour lui marteler la poitrine du poing. Cesse de jouer les imbéciles, John Geary ! Ils croient en toi. Parce que tu as conduit la flotte jusque-là et remporté de remarquables victoires en chemin ! Ils pensent que tu n’es pas un politicien et ils ont certainement raison. Mais tu as gagné leur confiance. » Elle désigna l’écran d’un index furieux. « Ne va pas les en remercier en les conduisant à Lakota !

— Enfer ! » Geary se laissa tomber sur le fauteuil le plus proche, brusquement pris de lassitude. « Crois-tu réellement que je ne m’efforce pas chaque minute d’agir de mon mieux pour ceux qui ont placé en moi leur confiance ? »

La fureur de Rione la quitta, la laissant pantoise ; elle fixait Geary avec une visible impuissance. « Que comptes-tu faire ?

— Convoquer une conférence stratégique. Pour voir comment ils réagiront à ma décision de gagner Lakota.

— Ils vont adorer. Exactement le genre de témérité dont serait capable Black Jack. » Rione s’effondra à son tour dans un fauteuil.

« Madame la coprésidente, auriez-vous déjà entendu parler d’un “complexe de Geary” ? » s’enquit-il au bout d’une minute de silence.

Rione releva la tête. « Oui. Voilà des années. Un collègue sénateur y a fait allusion la première fois devant moi à propos du capitaine Falco. Ça t’est finalement revenu aux oreilles ?

— Je me demande pourquoi tu ne m’as jamais accusé d’en être victime.

— On pouvait tout juste t’accuser de te prendre pour le capitaine John Geary.

— Il existe au moins un médecin de la flotte pour m’en soupçonner, répliqua-t-il sèchement. Je ne comprends pas. Tu es différente.

— Eh bien, je te remercie, râla-t-elle. Qu’est-ce que c’est censé signifier ?

— Entre autres que tu ne m’as pas mis une seule fois en garde contre le danger que représente Black Jack et ce qu’il adviendrait si je me prenais pour lui. »

Rione haussa les épaules. « Je l’ai déjà fait maintes et maintes fois et tu en sembles désormais conscient. Le répéter friserait probablement l’acharnement.

— Ça ne t’en a jamais empêchée jusque-là.

— Peut-être serait-il plutôt temps de te prévenir contre ton sens de l’humour mal placé, déclara-t-elle d’une voix mortellement froide. Essaies-tu de me dire quelque chose ?

— Oui. » Il la scruta avant de répondre. « Tu t’opposes fermement à mon idée de conduire la flotte à Lakota. Tu penses que je me fourvoie, que je m’efforce peut-être de me hisser à la hauteur de la réputation de Black Jack. Mais tu n’as pas explosé. Tu n’es pas sortie en trombe de la cabine et tu n’as pas non plus proféré de menaces à peine voilées sur ce qui risquait de m’arriver personnellement si je me mettais réellement à jouer les Black Jack. Pourquoi n’en as-tu rien fait ? »

Elle haussa les épaules et détourna les yeux. « Je m’efforce peut-être de me montrer imprévisible. Tu prévois que je vais réagir de telle ou telle manière et je le sais, de sorte que je prends le contre-pied. Encore qu’en l’occurrence ce soit loin d’être idiot.

— Tu ne manques pas d’humour non plus. » Geary lissa sa voix, en gommant soigneusement tout sarcasme. « Sérieusement ? Qu’est-ce qui a changé ? »

Rione ne répondit pas sur-le-champ. Elle finit par reporter le regard sur lui. « Pour parler carrément, j’ai déjà formulé de sinistres avertissements sur les décisions que tu songeais à prendre. J’étais chaque fois persuadée d’avoir raison et il s’est trouvé chaque fois que j’avais tort et que tu étais dans le vrai. Rien ne nous permet de dire où en serait cette flotte si tu m’avais écoutée, mais je vois mal comment elle pourrait être en meilleur état, ni comment l’ennemi aurait pu essuyer davantage de pertes.

— Tu me fais confiance ? » Sa stupeur n’était sans doute pas passée inaperçue.

Rione eut un sourire désabusé. « J’en ai peur. Je crois sincèrement qu’aller à Lakota serait une erreur. Je te l’ai déjà dit et je t’ai exposé mes raisons. Tu m’as écoutée. Oui. Je m’en suis aperçue. Maintenant, compte tenu de nos résultats passés à tous les deux, je ne pense pas avoir le droit de contrarier ton instinct. Il t’a trop souvent bien inspiré. » Elle s’interrompit pour chercher ses yeux. « Oui, je sais, tu te demandes s’il ne t’abuse pas sur mon compte. Tu ne sais pas exactement pourquoi je te suis revenue, ni même pourquoi j’ai choisi de partager ton lit la première fois. »

Il opina. « En effet.

— Et tu ne me poseras pas la question parce que tu ne crois pas pouvoir te fier à mes réponses. Ne le nie pas. Je te sens vaciller. Et je le mérite.

— Je n’ai jamais dit…

— Tu n’en as pas besoin. » Rione montra ses paumes. « Tu espères m’entendre dire que je t’aime ? Ça n’arrivera pas. Tu sais déjà à qui va mon cœur.

— Pourquoi, en ce cas ? Pourquoi couches-tu avec moi ?

— Les femmes te trouvent irrésistible. Tu l’ignorais ? » Elle éclata de rire. « Tu aurais dû voir la tête que tu as tirée. »

Il lui rendit son sourire, conscient qu’elle ne répondrait jamais à la question et qu’elle se contenterait de se payer de mots dont il ignorerait toujours s’ils étaient sincères. « Je vais encore y réfléchir.

— À Lakota ? Vraiment ? » L’hilarité de Rione se dissipa et elle hocha la tête. « Peut-être est-ce pour cela que je suis venue vers toi, John Geary. Et pourquoi je serai avec toi cette nuit.

— Que se passera-t-il quand nous aurons retrouvé l’espace de l’Alliance ? Du moins si nous y parvenons. Sortiras-tu de ce vaisseau à mon bras ? Passeras-tu encore tes nuits avec moi ? »