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— Il y en a d’autres à bord des auxiliaires. Si tu…

— Pas assez ! » Il fit la moue. « Pardon. Je ne voulais pas te couper la parole. » Rione, dont le regard s’embrasait déjà, se détendit légèrement. « Si je faisais distribuer dans toute la flotte les cellules d’énergie que les auxiliaires ont réussi à fabriquer, le niveau des réserves de carburant de chaque vaisseau ne serait plus que de soixante pour cent au moment d’atteindre le point de saut pour Brandevin, à condition toutefois que nous ne procédions pas à d’autres manœuvres. Marge de sécurité déjà insuffisante pour des opérations militaires de routine. Et franchement effroyable pour une flotte piégée derrière les lignes ennemies.

— Je croyais t’avoir entendu dire que la flotte devrait ralentir pour traverser les champs de mines posés par Bravo à ce point de saut. Il te faudra donc consommer davantage de cellules d’énergie, n’est-ce pas ?

— Je l’ai effectivement dit et tu as raison. Tu peux donc constater dans quelle panade nous sommes. »

Elle le dévisagea un instant avant de sourire. « Je t’ai encore sous-estimé.

— Vraiment ?

— Oui, capitaine Geary. » Elle éclata de rire. « Une réserve de cellules d’énergie suffisamment restreinte pour t’interdire de louvoyer à tort et à travers dans ce système stellaire, et des subordonnés qui risqueraient de te causer des problèmes s’ils te sentaient prêt à fuir devant l’ennemi. Sachant que les Syndics vont vraisemblablement se replier pour te permettre de quitter ce système stellaire, tu feins donc d’aller au combat en empruntant la trajectoire la plus directe vers le point de saut voulu. Bien joué ! Tu ferais un excellent politicien. »

Il lui décocha un sourire torve. « Je crains de n’être pas moitié aussi intelligent que tu le crois. Je pense, moi, que les Syndics combattront au point de saut pour Brandevin. Ils nous savent contraints de l’emprunter. Ils refuseront de nous laisser quitter ce système sans une égratignure. »

Rione chercha les yeux de Geary, son sourire évanoui. « Que comptes-tu faire, en ce cas ?

— Comme je te l’ai dit, ça dépendra. La flottille Bravo cherchera-t-elle à engager un combat majeur en nous frappant de toutes ses forces ou bien tentera-t-elle de l’éviter en ne s’attaquant qu’à nos points faibles ? Auquel cas elle pourrait emprunter le point de saut derrière nous et arriver à Brandevin sur nos talons. »

Elle rumina la question, assise la tête baissée, puis la releva au bout de plusieurs minutes pour le regarder : « Tu tiens vraiment à aller à Brandevin ?

— Ai-je le choix ? Si encore T’negu était une option acceptable…

— Tu te fourres dans une situation qui t’oblige à combattre cette flottille syndic.

— Je sais. » Il se redressa légèrement et afficha sur l’écran qui flottait au-dessus de la table un système qu’il n’avait que rarement consulté. « Tu reconnais ? »

Rione fixa lugubrement l’hologramme. « Le système mère syndic. Je ne suis pas près de l’oublier.

— La flotte de l’Alliance a essuyé des pertes effroyables lors de l’embuscade qu’on lui a tendue là-bas. » Geary indiqua une longue liste de noms de vaisseaux en surbrillance rouge. « Les éléments de tête ont été annihilés et les autres laminés alors qu’ils tentaient de se frayer en combattant un chemin au travers de ce traquenard.

— Inutile de me le rappeler ! » Rione détourna la tête, le visage exsangue. « Les souvenirs sont déjà assez éprouvants. »

Geary hocha la tête. « Pardon. Mais, tu l’as toi-même souligné sur la passerelle, nous avons aussi remporté quelques victoires unilatérales. Aucune n’arrive sans doute à la cheville de celle des Syndics dans leur système mère, mais, additionnées, elles leur ont aussi infligé de très lourdes pertes. »

Rione étudia de nouveau l’hologramme, l’œil brillant. « Et, si tu détruisais de la même façon cette flottille ennemie, tu ne serais pas loin d’avoir rétabli l’équilibre, n’est-ce pas ? C’est donc de cela qu’il s’agit ? D’une revanche ? Je m’attendais à mieux de ta part, John Geary, même si je reconnais volontiers que la perspective de rendre aux Syndics la monnaie de leur pièce ne me déplaît pas.

— Pas seulement d’une revanche. Bon sang, ça n’en sera pas vraiment une. Nous avons dû cavaler comme des dératés parce que cette embuscade dans leur système mère leur octroyait un immense avantage numérique sur la flotte de l’Alliance. »

L’expression de Rione s’altéra encore. « Et tu vas le leur retirer.

— Exactement. D’ailleurs, nous n’en sommes plus très loin. C’est bien pourquoi les Syndics nous ont envoyé à Ixion des équipages novices et des vaisseaux flambant neufs. Si je liquidais cette flottille Bravo, l’aptitude des Syndics à nous opposer une force égale à la nôtre dans chaque système que nous traversons serait lourdement grevée. Il leur faudrait déployer sur de nombreux systèmes leurs effectifs survivants, de sorte que nous disposerions partout de la supériorité numérique, ce qui nous laisserait le temps de réapprovisionner nos auxiliaires et de charger un stock complet de cellules d’énergie, de spectres et de mitraille à bord de tous nos vaisseaux. »

Rione réfléchit encore longuement puis lui jeta un regard interrogateur. « Et si ta flotte souffrait autant que la force syndic ?

— Alors nous serions mal en point.

— C’est un gros risque.

— Certes. Mais nous sommes déjà dans la panade. Et cela depuis que cette flotte a été écrasée dans leur système mère et s’est retrouvée piégée au cœur du territoire ennemi. Ce gros risque pourrait déboucher sur un énorme avantage. Je peux très bien perdre la partie en jouant la sécurité, mais je ne la gagnerai qu’en jetant les dés. »

En apesanteur, les dés ne cessent jamais de culbuter et, pendant la journée qui suivit, Geary eut l’impression qu’il en voyait deux rouler sur la piste, interminablement, sans jamais s’arrêter sur une face. Puis un deuxième jour s’écoula, tout aussi paresseusement. Les nerfs à fleur de peau, il ne s’adressait à Rione qu’en aboyant et elle lui répondait sur le même ton. Ils passèrent ainsi une demi-heure à s’invectiver, si chaudement qu’il se demanda comment il se faisait que les cloisons de sa cabine n’eussent pas encore fondu. Il finit par en sortir pour arpenter les coursives de l’Indomptable en s’efforçant d’afficher un masque serein et confiant quand des spatiaux ou des sous-officiers le saluaient avec une fierté jalouse. Sans doute était-il le commandant de la flotte, mais ce vaisseau amiral était aussi celui de Black Jack Geary, et eux restaient persuadés de son statut hors du commun.

Il se retrouva de nouveau dans la salle de conférence et se repassa encore, avec morosité, des simulations de combat avec la flottille syndic Bravo au point de saut pour Brandevin. Mais il ignorait trop d’éléments pour qu’elles eussent un sens : comment réagiraient les Syndics, par exemple.

Il regagna finalement sa cabine, bien résolu à ne pas se laisser bannir de ses propres quartiers, fût-ce par une Victoria Rione. Elle l’y attendait et le culbuta sur le lit sans piper mot.

Bon, ç’aurait au moins l’avantage de tuer le temps, mais il n’en resta pas moins mystifié.

Troisième jour. Assis sur la passerelle de l’Indomptable, Geary fixait d’un œil noir l’hologramme. Les Syndics continuaient de se comporter comme si la flotte de l’Alliance n’avait jamais été là. « Une petite idée d’un moyen d’obliger les Syndics de ce système à réagir à notre présence ? » finit-il par demander à Desjani.