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« Les spectres », suggéra Desjani en détachant les syllabes.

Elle avait raison. Il pouvait au moins prendre une mesure. Les systèmes de combat lui confirmèrent que son arrière-garde était à portée maximale des derniers spectres de la flotte. « À tous les vaisseaux. Tirez toutes vos réserves de spectres sur les bâtiments syndics qui frôlent l’Audacieux, l’Infatigable et le Rebelle. Je répète : tous vos spectres restants. »

Les missiles filèrent à travers l’espace, choisissant leur cible avant d’accélérer vers les cuirassés de l’Alliance débordés et les Syndics qui les pilonnaient. Trop peu, certes, mais bien assez nombreux pour détourner un peu des cuirassés l’attention et le tir des chasseurs. Assez en tout cas pour atteindre un croiseur lourd et le mettre hors d’état de nuire, plus quelques croiseurs de combat aux boucliers déjà affaiblis par les lances de l’enfer des cuirassés. Mais d’autres survenaient déjà, innombrables, et les cuirassés ennemis menaçaient à leur tour d’entrer dans la mêlée.

Le Rebelle essuyait le plus gros du feu ennemi. Il scintillait sous les impacts répétés. L’Audacieux élimina un autre croiseur lourd puis retourna ses lances de l’enfer contre un croiseur de combat. L’Infatigable vacilla sous le feu croisé d’une entière division de croiseurs de combat mais réussit à riposter et frapper de plein fouet, de son champ de nullité, un de ces vaisseaux qui passait un peu trop près.

Le pilonnage de ces trois bâtiments par des unités ennemies sans cesse plus nombreuses était un spectacle douloureux, certes, mais ils remplissaient leur mission. Les éléments de tête syndics étaient ralentis ou blessés quand ils ne fuyaient pas, et la flotte de l’Alliance arrivait à portée du point de saut. La perte de trois cuirassés et de leur équipage lui avait accordé le répit nécessaire.

Elle se présentait de biais, en léger surplomb, et s’apprêtait à contourner le champ de mines. « À toutes les unités. Réduisez la vélocité à 0,04 c et épousez les manœuvres de l’Indomptable », ordonna Geary. Chaque seconde était cruciale et il ne tenait pas à ordonner des trajectoires précises dans l’immédiat, ni à s’inquiéter que chaque unité conservât sa position exacte au sein de la formation.

L’Indomptable se retourna, présentant désormais sa proue à l’ennemi, et ses principales unités de propulsion s’allumèrent pour réduire sa vélocité. Tout autour, les autres vaisseaux de la flotte l’imitèrent à des degrés divers de promptitude selon l’état de leurs propulseurs.

Et, à mesure qu’affluaient les Syndics et qu’ils dépassaient les cuirassés chancelants de la septième division pour se rapprocher, de plus en plus vite maintenant, des vaisseaux de la flotte contraints de ralentir, les écrans affichaient de nouvelles données.

Desjani fixait le sien avec intensité : l’Indomptable allait franchir le sommet estimé du champ de mines pour gagner latéralement le point de saut. « Altérez la trajectoire de cent quatre-vingts degrés vers le bas et de cinq sur bâbord », ordonna-t-elle.

L’Indomptable se retourna et, suivi par une vague d’autres vaisseaux de l’Alliance, piqua vers le bas comme pour plonger vers le point de saut.

Forte de quatre cuirassés, de quatre croiseurs de combat et de leurs escorteurs, la force syndic qu’ils avaient croisée à Ixion choisit cet instant pour en émerger et négocier automatiquement un virage serré vers le haut, alors que celle de l’Alliance et la flottille qui la poursuivait arrivaient l’une derrière l’autre, séparées par quelques secondes seulement.

La catastrophe ne fut évitée que parce que ces Syndics ne s’attendaient pas à tomber (littéralement) sur une force ennemie en émergeant à Lakota. Au cours des quelques secondes nécessaires aux nouveaux venus pour comprendre, activer leurs armes et leur donner le feu vert, les vaisseaux de l’Alliance qui les croisaient frénétiquement déchaînèrent sur eux un déluge de lances de l’enfer, balayant leurs unités légères et éventrant trois des quatre croiseurs de combat.

Mais les quatre cuirassés, eux, s’éloignèrent lourdement, leurs boucliers lacérés par les tirs de l’Alliance ; ils ripostaient néanmoins désespérément et piquaient droit vers les quatre auxiliaires. À quelques secondes du contact, Titan, Sorcière, Djinn et Gobelin n’avaient plus le temps de les esquiver.

Toutefois, le Guerrier, l’Orion et le Majestic se tenaient toujours aussi près d’eux que possible. L’Orion donna un instant l’impression de reculer devant le contact et le Majestic se trouvait un peu à l’écart, mais le Guerrier s’interposait entre les auxiliaires et les cuirassés syndics. Il campa sur ses positions et pilonna l’ennemi de ses batteries de lances de l’enfer encore fonctionnelles, tandis que les Syndics rendaient copieusement la monnaie de sa pièce au cuirassé isolé.

Sans doute aurait-il été condamné si le combat avait duré quelques secondes de plus, mais les cuirassés syndics paniquèrent et s’enfuirent ; criblés de tirs, deux restaient tout juste opérationnels. De nouveau sous le feu ennemi, le Guerrier résista avec acharnement, permettant aux auxiliaires de s’échapper vers le point de saut avec le reste de la flotte.

En quelques secondes, celle-ci avait croisé la force syndic émergente, l’avait décimée et dépassée, non sans essuyer de nouveaux dommages mais en laissant dans son sillage des ennemis en état de choc.

Il ne restait plus grand-chose de la septième division de cuirassés. Leurs homologues syndics l’avaient rattrapée et arrosaient méthodiquement l’Audacieux, le Rebelle et l’Infatigable d’un feu nourri. Ce dernier vaisseau ne tirait plus que d’une unique batterie de lances de l’enfer. L’Audacieux était réduit au silence, épave à la dérive. Le flanc du Rebelle essuya simultanément plusieurs frappes et il sauta, touché par deux explosions massives, l’une à mi-coque et l’autre près de sa proue.

« Capitaine Geary ? Capitaine Geary ! La flotte arrive sur le point de saut ! »

Geary s’arracha au spectacle des derniers moments du Rebelle ; il s’efforça d’ignorer les vestiges du combat jonchant désormais tout l’espace alentour, les missiles ennemis filant vers l’arrière-garde de sa flotte, les bâtiments blessés de l’Alliance s’escrimant poussivement à rattraper leurs camarades et les épaves des appareils ennemis surgis au point de saut culbutant dans le vide. « À toutes les unités. Sautez ! »

Les étoiles disparurent. La noirceur de l’espace interstellaire s’estompa. Les ultimes râles du Rebelle, de l’Infatigable et de l’Audacieux n’étaient plus audibles. Aussi absents que l’épave abandonnée du Paladin et la constellation non moins lointaine des fragments du Renommé. Le portail de l’hypernet avait disparu et avec lui toutes les flottilles syndics. Là où une bataille désespérée faisait rage quelques instants plus tôt, et où des débris de bâtiments jonchaient le vide, ne restait plus que la grisaille infinie du néant, le silence et les lueurs vagabondes de l’espace du saut.

Jamais encore Geary n’avait sauté au beau milieu d’un combat, il n’avait même pas imaginé qu’on pût en livrer un au seuil (littéralement) d’un point de saut. Dans le soudain silence feutré qui régnait sur la passerelle de l’Indomptable, il entendait son cœur cogner et, assourdissant, son souffle court ; cette transition brutale de la bataille à la quiétude les laissait tous abasourdis. Il ferma les yeux en s’efforçant de redescendre sur terre : trois autres cuirassés détruits ; quatre et un croiseur de combat, en fin de compte. Deux croiseurs lourds. Des croiseurs légers et des destroyers. Des dizaines d’autres bâtiments gravement endommagés. La majorité de la flotte syndic toujours sur leurs talons, alors que sa supériorité numérique restait accablante. L’ennemi mettrait sans doute du temps à se réorganiser, à achever le Rebelle, l’Audacieux et l’Infatigable avant d’emprunter à son tour le point de saut. Sans doute ne pourrait-il pas atteindre la flotte de l’Alliance durant le transit ; il ne pourrait même pas y repérer ses vaisseaux, puisque chaque groupe de bâtiments donnait l’impression d’être isolé dans une réalité spécifique.