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— Non, ce n’est pas difficile.

— Ne pourriez-vous pas introduire aussi dans le conte un petit ramoneur? J’ai une illustration toute faite, une gravure en couleurs, qui représente une jolie jeune fille faisant l’aumône à un petit ramoneur, sur les marches de la Madeleine. Ce serait une occasion de l’employer… Il fait froid, il neige; la jolie demoiselle fait la charité au petit ramoneur… Vous voyez cela?…

— Je vois cela.

— Vous broderez sur ce thème.

— Je broderai. Le petit ramoneur, transporté de reconnaissance, se jette au cou de la jolie demoiselle qui se trouve être la propre fille de M. le comte de Linotte. Il lui donne un baiser et imprime sur la joue de cette gracieuse enfant un petit O de suie, un joli petit O tout rond et tout noir. Il l’aime. Edmée (elle se nomme Edmée) n’est pas insensible à un sentiment si sincère et si ingénu… Il me semble que l’idée est assez touchante.

— Oui… vous pourrez en faire quelque chose.

— Vous m’encouragez à continuer… Rentrée dans son appartement somptueux du boulevard Malesherbes, Edmée éprouve pour la première fois de la répugnance à se débarbouiller; elle voudrait garder sur la joue l’empreinte des lèvres qui s’y sont posées. Cependant le petit ramoneur l’a suivie jusqu’à sa porte; il reste en extase sous les fenêtres de l’adorable jeune fille… Cela va-t-il?

— Mais, oui…

— Je poursuis. Le lendemain matin, Edmée, couchée dans son petit lit blanc, voit le petit ramoneur sortir de la cheminée de sa chambre. Il se jette ingénument sur la délicieuse enfant et la couvre de petits O de suie, tout ronds. J’ai oublié de vous dire qu’il est d’une beauté merveilleuse. La comtesse de Linotte le surprend dans ce doux travail. Elle crie, elle appelle. Il est si occupé qu’il ne la voit ni ne l’entend.

— Mon cher Marteau…

— Il est si occupé qu’il ne la voit ni ne l’entend. Le comte accourt. Il a l’âme d’un gentilhomme. Il prend le petit ramoneur par le fond de la culotte, qui précisément se présente à ses yeux, et le jette par la fenêtre.

— Mon cher Marteau…

— J’abrège… Neuf mois après, le petit ramoneur épousait la noble jeune fille. Et il n’était que temps. Voilà les suites d’une charité bien placée.

— Mon cher Marteau, vous vous êtes assez payé ma tête.

— N’en croyez rien. J’achève. Ayant épousé Mlle de Linotte, le petit ramoneur devint comte du Pape et se ruina aux courses. Il est aujourd’hui fumiste rue de la Gaîté, à Montparnasse. Sa femme tient la boutique et vend des salamandres, à 18 francs, payables en huit mois.

— Mon cher Marteau, ce n’est pas drôle.

— Prenez garde, mon cher Horteur. Ce que je viens de vous conter, c’est, au fond, la Chute d’un ange, de Lamartine, et l’Eloa, d’Alfred de Vigny. Et, à tout prendre, cela vaut mieux que vos petites histoires larmoyantes, qui font croire aux gens qu’ils sont très bons alors qu’ils ne sont pas bons du tout, qu’ils font du bien alors qu’ils ne font pas de bien, qu’il leur est facile d’être bienfaisants, alors que c’est la chose la plus difficile du monde. Mon conte est moral. De plus il est optimiste et finit bien. Car Edmée trouva dans la boutique de la rue de la Gaîté le bonheur qu’elle aurait cherché en vain dans les divertissements et les fêtes, si elle avait épousé un diplomate ou un officier… Mon cher directeur, répondez-moi: prenez-vous Edmée ou la Charité bien placée pour le Nouveau Siècle illustré?

— C’est que vous avez l’air de me le demander sérieusement?…

— Je vous le demande sérieusement. Si vous ne voulez pas de mon conte, je le publierai ailleurs.

— Où?

— Dans une feuille bourgeoise.

— Je vous en défie bien.

— Vous verrez[1].

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1

Le journal le Figaro, sous la direction de M. de Rodays, publia Edmée ou La charité bien placée. On peut dire même qu’il offrit ce petit ouvrage en étrennes à ses lecteurs.