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Le téléphone le réveilla en sursaut, beaucoup plus tard.

La voix de Lester n’avait plus les intonations gouailleuses qui l’agaçaient tant, mais était tendue et inquiète.

— Les Pigs sont plus malins qu’on ne le croyait, fit-il.

— Vous voulez dire que…

Le colonel Tanaka ne voulait pas croire à la catastrophe. Tout s’était si bien passé jusqu’ici.

— Cool, dit le Noir. Il faut que je vous parle. Maintenant. Vous me rappelez.

Il avait raccroché. Tanaka savait ce que cela voulait dire. Lester se méfiait du standard de l’hôtel. Il fallait que le Japonais descende l’appeler d’une cabine publique.

À un numéro qu’il savait par cœur.

Le Japonais se leva, le cœur dans la gorge. Qu’est-ce qui pouvait bien se passer à quatre heures du matin ? La veille au soir, Lester devait avoir la discussion finale avec le remplaçant de John Sokati. Pour traiter aux mêmes conditions. Tout semblait en bonne voie…

Lorsque le colonel Tanaka passa devant le veilleur de nuit, celui-ci se dit que ces Jaunes avaient vraiment de drôles d’habitudes.

Chapitre V

Le colonel Tanaka trépignait de rage dans sa cabine téléphonique. Heureusement qu’à quatre heures du matin il n’y avait pas beaucoup de passants sur la Sixième Avenue.

— Ne lui faites rien ! glapit-il. Rien ! Si c’est un agent fédéral, c’est le meilleur moyen de déclencher une catastrophe. Vous vous êtes encore conduits comme des enfants.

Lester, à l’autre bout du fil protesta.

— Si on laisse courir, Victor Kurfor se dégonfle. Et c’est lui qui risque d’aller tout raconter aux flics.

Le Japonais se tut, le temps de réfléchir. D’après ce que lui avait dit Lester, l’homme blond ne pouvait rien faire. Par contre le remplaçant de John Sokati présentait beaucoup de danger. Entre deux maux, il faut choisir le moindre…

— S’il y a quelque chose à faire, dit-il précautionneusement, c’est du côté de ce Victor Kurfor. Il faudrait s’y prendre très vite et que ça ait l’air d’un accident. À la rigueur, nous nous passerons du Lesotho.

À l’autre bout du fil, Lester claqua de la langue selon sa détestable habitude, pas d’accord.

— Vous voulez dire qu’on va raccompagner chez lui gentiment ce type.

— Absolument, ordonna le colonel Tanaka. Et pour le reste, faites ce que je vous dis. Vous avez commis une erreur très grave.

Il raccrocha, furieux. Si seulement, il avait eu une douzaine de Japonais ! En sortant de la cabine, il manqua se faire écraser par un taxi en maraude, qui, en plus, l’injuria. Il ne restait plus qu’à regagner l’hôtel et à essayer de dormir. C’était évidemment fâcheux si un second membre de la délégation du Lesotho passait de vie à trépas. Mais, après tout, il y a des séries noires partout. Et le colonel Tanaka n’avait pas le choix. Peu importe que le FBI découvre le complot, après le vote. Jusque-là, il fallait couper férocement toutes les pistes.

* * *

Malko ouvrit les yeux avec l’impression qu’un camion de trente tonnes s’était arrêté sur sa tête. Le visage attentif de Krisantem était penché sur lui, assez flou. Il ferma les yeux et les rouvrit : les traits du Turc étaient un peu plus nets. Malko était dans sa chambre, étendu tout habillé sur son lit. Dès qu’il voulut redresser la tête, il fut pris d’une migraine horrible. Il fit signe à Krisantem de l’aider, et, aidé du Turc, alla vomir dans le lavabo, malade comme un chien. Peu à peu, le souvenir de la soirée lui revint. Il se revit, s’effondrant en arrachant la robe de l’inconnue.

Cela s’arrêtait là. Comment était-il vivant ? Il eut envie de le demander à Krisantem, mais celui-ci était dans la cuisine, en train de préparer du café.

Malko se traîna jusqu’au téléphone et appela Al Katz. Celui-ci était d’une humeur de chien.

— Où étiez-vous ? J’ai attendu des nouvelles toute la journée.

— Toute la journée ! fit Malko, horrifié. Mais quelle heure est-il ?

Il crut que l’écouteur allait lui sauter des mains.

— On ne vous paie pas pour faire la bringue, remarqua caustiquement Al Katz. Il est sept heures du soir. Sept heures.

Malko réalisa d’un coup que si la police l’avait sauvé, l’Américain le saurait. Quelque chose d’autre l’avait sauvé. Une chose incompréhensible. Pourquoi Jada et ses amis s’étaient-ils donné tellement de mal pour le tuer, pour le relâcher ensuite ? Il se demanda si toute la soirée n’avait pas été un énorme bluff. Mais pourquoi ? Rapidement, il raconta à Al Katz ce qui s’était passé. Lui demanda d’identifier Victor Kurfor et Jada. Tout ce qu’il savait d’elle, c’est qu’elle possédait une Cadillac rouge décapotable.

Il raccrocha au moment où Krisantem, merveilleusement stylé pour un ancien tueur à gages, entrait avec le café. Il dit avec un bon sourire :

— Ah ! je suis content de voir que Son Altesse va mieux. Son Altesse n’était pas brillante cette nuit, quand ses amis l’ont ramenée.

— Mes amis ?

Krisantem rit.

— La jolie dame noire et ses deux amis. Ils vous portaient… C’est moi qui leur ai ouvert.

Malko n’y comprenait plus rien. Ainsi, c’était Jada qui l’avait ramené, après avoir voulu le tuer.

— À quoi ressemblaient les deux hommes ?

— Votre Altesse me pardonnera, dit Krisantem, mais ils avaient de très sales têtes.

Et il s’y connaissait, Krisantem.

* * *

Victor Kurfor pénétra avec un petit serrement de cœur dans l’immeuble où Jada lui avait donné rendez-vous. C’était au quinzième étage d’un immeuble imposant et vieillot de la 93e Rue ouest. Depuis 1939, le hall était orné du même tapis oriental usé jusqu’à la corde. Le plancher de marbre était sale et fendillé. La moitié des ampoules étaient grillées. Seul, le portier était en bon état. En uniforme bleu, avec un 45 à la ceinture. Quinze mille drogués vivaient entre la 76e et la 96e Rue ouest. Prêts à tout pour mettre la main sur dix dollars.

Le diplomate faillit faire demi-tour. Mais, en dehors de l’argent, il y avait l’attrait de la belle Noire. Depuis qu’il était à New York il n’avait eu que deux Blanches stupides et assez laides. Les Noires américaines le traitaient avec mépris. Sauf Jada. Depuis la soirée de la veille, il avait peur. Il espérait obtenir ce qu’il désirait avant d’avoir à lui dire qu’il laissait tomber.

Il sonna après être sorti de l’ascenseur, et la porte s’ouvrit tout de suite. Jada était éblouissante, moulée dans un pantalon de lastex doré et une blouse sans soutien-gorge. Elle s’était arrosée de Miss Dior comme si sa vie en avait dépendu.

Les narines de Victor Kurfor palpitèrent, et il en resta muet. Gentiment Jada l’attira à l’intérieur.

— Je suis contente que vous soyez venu.

Sa voix était chaude et caressante, avec des inflexions si sexuelles que le diplomate oublia toutes ses bonnes résolutions.

Deux verres étaient préparés sur une table basse. Un électrophone jouait un disque de Dionne Warwick. L’Africain loucha sur la poitrine de Jada. Celle-ci s’assit sur le canapé, à côté de lui, et lui tendit un J and B.

Le diplomate le but d’un trait. La douce chaleur descendit dans son gosier et il eut l’impression que son hôtesse le contemplait avec encore plus de laisser-aller. Hardiment, il posa une main sur la cuisse moulée de lastex. Les battements de son cœur firent trembler sa chemise. La chair était souple et ferme, chaude. Jada se laissa aller en arrière, ce qui fit saillir ses seins.

— Je vous plais ?

Avec un soupçon d’ironie, elle regardait le diplomate tendu vers elle de toutes ses cellules.