Tanaka ne lâcha pas la mitraillette et ne bougea pas d’une semelle. Il serra même la crosse plus fermement. Il cherchait dans son esprit s’il n’avait rien oublié.
— Je vais m’en aller maintenant, dit-il tranquillement. Je regrette que tout n’ait pas marché comme nous le souhaitions.
Lester vit son doigt appuyer sur la détente. Il hurla :
— Hé ! vous êtes fou. Vous n’allez pas… Je ne vous ai pas vendu, j’ai été correct, moi.
Le colonel Tanaka hocha tristement la tête. Il y avait des choses difficiles à expliquer à un garçon fruste comme Lester. La fatigue le prenait. Il avait hâte d’en avoir fini.
— Vous avez été correct, concéda-t-il, mais j’ai des devoirs envers mon pays.
Jada poussa un petit cri.
Une lueur passa soudain dans l’oeil de Lester. Ce type était fou. Il fallait lui trouver un hobby : il se pencha et ramassa une grosse boîte métallique par terre, la tendant à Tanaka.
— Regardez, il y a de quoi nous venger là-dedans. On me l’a apporté hier. Vous savez ce que c’est ?
La boîte ressemblait à une boîte de conserve d’un kilo qui aurait eu un couvercle en plastique transparent. On apercevait une matière granulée mauve, un peu comme des bonbons. Il n’y avait aucune inscription sur la boîte. Lester cracha :
— Vous avez entendu parler du cyclon B ? Le truc qui servait dans les camps de concentration de vos copains allemands pendant la guerre pour liquider les juifs. Ce truc-là, c’est pareil. Du chlore. Dès que vous le mettez à l’air, ça se combine pour donner un gaz mortel. Tout le monde y passe en cinq minutes. Vous toussez, vous devenez tout bleu et vous crevez la gueule ouverte, en pissant le sang par le nez et la bouche.
Lester était tellement excité par sa description qu’il en avait oublié la mitraillette. Soudain, sa voix baissa et il ajouta sur le ton de la confidence :
— Supposez qu’on balance ça dans les conduits de ventilation de l’ONU. Tous ces foutus Pigs vont crever et il n’y aura pas de vote.
Une lueur d’intérêt passa dans les yeux de Tanaka, vite éteinte. Il savait que Lester était prêt à n’importe quoi pour sauver sa peau, qu’à la première occasion il lui fausserait compagnie ou tout simplement le tuerait.
— C’est très intéressant, dit-il.
Et il appuya sur la détente.
Le choc des balles renvoya Lester contre le mur. L’une d’elles le frappa en pleine gorge et un jet de sang jaillit, éclaboussant la table et les cartes. Déjà, le colonel Tanaka tirait une courte rafale sur le second Noir monté sur le lit en un futile espoir pour échapper aux balles. Touché aux reins et dans le dos, il poussa un jappement affreux avant de rouler par terre. Une des balles atteignit Jada en plein front. Elle resta assise sur le lit, le visage figé en une expression de surprise, le sang coulant le long de son nez, les yeux ouverts.
Le colonel Tanaka n’eut même pas à remettre un chargeur dans son arme, Lester était déjà mort et l’autre n’en valait guère mieux. Soigneusement, le Japonais posa la mitraillette sur la table et examina la boîte de Cyclon B avec curiosité. Cela semblait totalement inoffensif.
Soudain, il se dit que l’idée de Lester n’était pas si mauvaise. À condition de l’exécuter lui-même. C’était la touche parfaite pour qu’on le prenne pour un fou et qu’on ne songe nullement à un complot préparé par un gouvernement. Les gouvernements n’empoisonnent pas l’ONU.
Il regarda sa montre. La séance durait encore deux bonnes heures. Une seconde, la pensée de la délégation japonaise l’effleura, mais il se dit avec une grande logique qu’ils seraient heureux de participer à la sauvegarde de leur pays, même à leur corps défendant. Et cela serait une assurance supplémentaire. Personne n’irait penser qu’ils étaient compromis.
Un peu ragaillardi, le colonel Tanaka prit la boîte, qu’il enroula dans un morceau de papier, et sortit sans un regard pour les trois cadavres. Il en avait vu tellement en 1945. Cela commençait à sentir très mauvais. Avec la mort, les sphincters s’étaient relâchés et les Noirs gisaient dans leurs excréments. Dans l’armurerie, il s’arrêta et choisit un colt automatique tout neuf, fabriqué au Brésil. Il bourra ses poches de chargeurs et remonta l’échelle.
Une Buick blanche était garée dans la cour. Tanaka savait que Lester l’utilisait parfois. Il pencha la tête à l’intérieur et vit que les clés étaient sur le tableau de bord. C’était plus sûr qu’un taxi, si la police avait déjà diffusé son signalement. Il monta et mit en marche.
Il irait directement au garage de l’ONU. Il savait que le centre de l’air conditionné se trouvait au même niveau.
Il conduisit avec soin dans la petite rue encombrée de hippies et de touristes, puis tourna dans la Sixième Avenue. Il était à une trentaine de blocs de l’ONU. Au croisement il s’arrêta pour laisser passer une petite vieille chargée de paniers.
Sur le siège de la voiture, la boîte de Cyclon B avait l’air de sortir d’un supermarché, innocente et brillante. Tanaka avait glissé le colt sous sa banquette. Il accéléra et parvint à attraper plusieurs feux.
Chapitre XXI
Malko suivait anxieusement la progression des votes, sur le tableau lumineux. Depuis un moment, la barre verte ne cessait de s’allumer. Il poussa un soupir de soulagement avec les votes du Japon et de la Jordanie. Maintenant, la majorité des deux tiers ne pourrait plus être atteinte.
Discrètement, il quitta la salle de l’Assemblée générale et gagna le bureau du colonel MacCarthy. Celui-ci avait perdu une grosse part de son flegme britannique. Le dernier coup venait de lui être porté lorsqu’on l’avait prévenu qu’un membre respectable de la délégation japonaise était recherché pour la bagatelle de deux meurtres. Sans compter les autres broutilles.
Dieu soit loué, c’était un Asiatique… Mais cela choquait profondément le colonel MacCarthy. Du temps de l’Armée des Indes, les diplomates ne se servaient d’armes que par personnes interposées.
— Vous n’avez pas retrouvé le colonel Tanaka ? demanda Malko.
MacCarthy essaya de retrouver une partie de son flegme, en jetant un regard noir à Malko. Il lui était profondément désagréable de penser que ce garçon qui avait l’air d’un gentleman, qui s’habillait bien, parlait avec distinction et ressemblait à un vrai diplomate, soit en réalité un de ces agents secrets sans foi ni loi.
— S’il met les pieds aux Nations Unies, nous le retrouverons, affirma-t-il sèchement. Il n’y a rien à craindre.
Ce n’était pas absolument l’avis de Malko mais il s’inclina. Heureusement, Chris Jones et quelques agents du FBI patrouillaient dans le building. La seule idée d’arrêter un diplomate dans l’enceinte des Nations Unies rendait le colonel MacCarthy malade. Il priait de toutes ses forces pour que le colonel Tanaka ait l’élégance d’aller se faire prendre ailleurs.
Malko le laissa lisser ses belles moustaches et regagna la salle de l’Assemblée générale.
Le colonel Tanaka pénétra sans encombre dans le parking des Nations Unies, après avoir montré sa carte de diplomate au garde en faction qui n’y jeta qu’un coup d’œil distrait. Il gara la Buick blanche et descendit, la boîte de Cyclon B à la main. Son colt était glissé dans sa ceinture, invisible. Avant de quitter la voiture, il avait fait monter une balle dans le canon.
Il s’orienta. Mentalement, il revit le plan du troisième sous-sol où il se trouvait.
C’est là que se trouvait la machinerie centrale de l’air conditionné, les énormes machines vertes dans une salle digne du Titanic qu’on lui avait fait visiter à son arrivée à l’ONU.