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Son pouls battit plus fort. Damnation ! songea-t-il, irrité de sa réaction. Pourquoi est-ce que je me fais un tel cinéma ? j’ai pourtant connu des femmes dans ma vie.

Une bouffée de tristesse. Mais deux vierges seulement.

Il s’avança, s’interrogeant tout en évitant les regards qui répondaient au sien. Pum vint lui tirer la manche. « O maître radieux, murmura-t-il, ton serviteur a peut-être trouvé l’objet de tes recherches.

— Hein ? » Everard laissa le jeune homme le tirer vers le centre de la salle, où ils courraient moins de risques d’être entendus.

« Mon seigneur doit savoir que le pauvre enfant que je suis n’aurait jamais pu entrer en ce lieu par lui-même, bredouilla Pum. Mais, ainsi que je l’ai dit, je compte parmi mes connaissances des personnes vivant au palais royal. Notamment une dame qui, ces trois dernières années, a mis à profit les moments que lui laissaient son travail et la lune pour venir ici. Elle s’appelle Sarai, et elle vient des tribus de bergers qui peuplent les collines. Par l’entremise de son oncle affecté à la garde, elle a trouvé à s’employer dans la domesticité royale, comme simple fille de cuisine tout d’abord, avant de se hisser au rang d’aide cuisinière. Et elle est ici aujourd’hui. Étant donné que mon maître souhaite nouer des relations de ce genre...»

Un peu interloqué, Everard suivit son guide. Il déglutit lorsque celui-ci s’arrêta. La femme qui répondit à voix basse au salut de Pum avait un corps trapu, un visage ingrat – quelconque, se corrigea-t-il – et des allures de vieille fille. Mais les yeux qu’elle braqua sur le Patrouilleur étaient vifs et hardis. « Veux-tu me libérer ? demanda-t-elle d’une voix posée. Je prierai pour toi pendant le restant de mes jours. »

Avant de se donner le temps de changer d’avis, il lança le jeton d’ivoire sur son giron.

6

Pum s’était dégoté une beauté, une jeune fille arrivée ce même jour et promise au fils d’une riche famille. Elle se montra déconfite en découvrant le va-nu-pieds qui l’avait élue. Eh bien, chacun son problème. Encore que Pum risquât d’en avoir lui aussi, même si Everard en doutait.

Les chambres proposées par Hanno étaient minuscules et meublées en tout et pour tout d’une paillasse. Leurs fenêtres borgnes donnant sur la cour laissaient entrer un soupçon de lumière, mais aussi de la fumée, des odeurs de bouse et de graillon, des cris et la mélodie plaintive d’une flûte. Everard tira le rideau de bambou qui servait de porte et se tourna vers sa compagne.

Elle était agenouillée devant lui, comme caparaçonnée dans ses vêtements. « Je ne sais quel est ton nom ni quel est ton pays, sire, dit-elle d’une petite voix mal assurée. Peux-tu éclairer ta servante ?

— Bien sûr. » Il se présenta sous son identité d’emprunt. « Et tu es Sarai, de Rasil Ayin, c’est cela ?

— Est-ce le petit mendiant qui t’a envoyé à moi ? » Elle baissa la tête. « Non, pardonne-moi. Cette question est déplacée. Je ne souhaitais pas me montrer insolente. »

Il s’aventura à lui ôter son écharpe pour lui caresser les cheveux. Quoique un peu cassants, ils étaient splendides et faisaient sans doute sa fierté. « Je ne me sens point insulté. Écoute, pourquoi ne tenterions-nous pas de mieux nous connaître ? Que dirais-tu de boire une coupe de vin avant de... Eh bien, qu’en dis-tu ? »

Elle poussa un hoquet de stupeur. Il ressortit, trouva le logeur et passa commande.

Un peu plus tard, ils étaient assis côte à côte, à même le sol, il lui avait passé un bras autour des épaules et elle parlait librement. Les Phéniciens ignoraient peu ou prou le concept de vie privée. En outre, bien qu’ils accordassent à leurs femmes plus de respect et d’indépendance que bien des sociétés, un homme faisant preuve de considération était fort apprécié.

«... non, pas de mariage en vue pour moi, Eborix. Si je suis venue vivre dans la cité, c’est parce que mon père était pauvre, avec quantité de bouches à nourrir, et qu’aucun des membres de la tribu ne risquait de demander ma main au nom de son fils. Connaîtrais-tu un époux pour moi, par hasard ? » Comme il allait lui prendre sa virginité, il était d’office disqualifié pour ce rôle. En fait, elle bousculait les convenances en lui posant cette question, car la loi interdisait les mariages arrangés. « J’ai acquis au palais une position assez influente, dans les faits sinon dans les titres. Les domestiques, les fournisseurs et les saltimbanques reconnaissent mon autorité. J’ai économisé pour me constituer une dot, certes modeste, mais... mais peut-être que la déesse daignera enfin me sourire, une fois que j’aurai fait cette oblation...

— Je suis navré, lui dit-il avec compassion. Je ne connais personne ici. »

Il pensait comprendre la situation. Si elle souhaitait se marier, ce n’était pas tant pour échapper à son statut de femme célibataire, source de mépris et de soupçons à peine déguisés, que pour avoir des enfants. Dans ce peuple, il n’y avait pire sort que de périr sans descendance, c’était redoubler l’emprise de la mort... Perdant soudain toute contenance, elle se blottit contre le torse d’Everard et pleura à chaudes larmes.

Le jour tombait. Il décida de faire fi des craintes de Yael – sans parler de l’exaspération de Pum, songea-t-il en gloussant – et de prendre son temps, de traiter Sarai comme l’être humain qu’elle était en fait, d’attendre les ténèbres et de faire appel à son imagination. Ensuite, il la raccompagnerait à son domicile.

7

Les Zorach étaient fort inquiets lorsque leur invité daigna enfin regagner leurs pénates, bien après le coucher du soleil. Il ne leur dit pas un mot sur ce qu’il avait fait, et ils ne cherchèrent pas à le savoir. Après tout, c’étaient des agents de la Patrouille, des personnes compétentes dont la tâche était délicate et parfois pleine de surprises, mais ce n’étaient pas des détectives.

Everard tint à leur présenter des excuses pour avoir gâché le souper. Celui-ci s’annonçait comme une grande occasion. En temps normal, c’était durant l’après-midi que se tenait le principal repas de la journée, les Tyriens se contentant le soir d’un simple en-cas. Cela s’expliquait en partie par la médiocrité de l’éclairage, les lampes à huile rendant difficile le travail en cuisine.

Les capacités techniques des Phéniciens étaient néanmoins admirables. Pendant le petit déjeuner, un repas plutôt léger où l’on dégustait des lentilles accompagnées de poireaux et de galettes, Chaim évoqua le système d’adduction d’eau. La capacité des citernes recueillant l’eau de pluie était insuffisante. Hiram ne souhaitait pas que Tyr dépende des barges d’Usu, pas plus qu’il ne souhaitait faire construire un aqueduc qui aurait servi de pont à des assiégeants. Comme les Sidoniens avant lui, il projetait de capter de l’eau douce à des sources sous-marines.

Sans compter, bien entendu, le talent, le savoir-faire et l’ingéniosité caractérisant la verrerie et la teinturerie, et des navires plus solides qu’il n’y paraissait, des navires qui vogueraient un jour jusqu’à la Grande-Bretagne...

« L’Empire pourpre, pour citer un auteur de notre siècle dans son livre sur les Phéniciens, dit Everard d’une voix songeuse. Je me demande si Merau Varagan n’est pas obsédé par cette couleur. W.H. Hudson n’avait-il pas baptisé l’Uruguay le Pays pourpre ? » Il eut un rire métallique. « Non, je suis ridicule. Les teintures produites par le murex tirent plus vers le rouge que vers le bleu. Et puis, Varagan sévissait bien au nord de l’Uruguay lorsque nous avons “ naguère ” croisé le fer. Et, pour le moment, je n’ai aucune preuve de son implication dans cette histoire, juste une intuition.