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— Que s’est-il passé lors de cet engagement ? » demanda Yael. Elle le regarda droit dans les yeux, le visage éclairé par la lumière oblique du soleil qui entrait par la porte donnant sur le patio.

« Ça n’a plus guère d’importance.

— En êtes-vous sûr ? interrogea Chaim. Le récit de votre expérience nous suggérera peut-être un indice à creuser. Et puis, isolés comme nous le sommes ici et maintenant, nous avons soif de nouvelles.

— Et de récits d’aventures comme les vôtres », renchérit Yael. Everard eut un sourire ironique. « Pour citer un autre auteur : “ L’aventure, c’est quand un autre que vous a des ennuis à mille lieues d’ici[7]. ” Et quand on doit régler une crise grave, comme celle qui nous occupe, l’aventurisme est vivement déconseillé. » Un temps. « Enfin, je ne vois pas pourquoi je vous priverais de ce récit, mais vous m’excuserez si je passe sur certains détails – l’affaire était vraiment des plus complexes. Euh... si vos domestiques ne doivent pas nous déranger, j’aimerais bien fumer une pipe. Et vous reste-t-il un peu de cet excellent café clandestin ?...»

Il se carra dans son siège, fit couler la fumée sur sa langue, sentit la chaleur du jour naissant chasser la froidure de la nuit. « J’étais en mission en Amérique du Sud, dans la région de la Colombie, à la fin de l’année 1826. Sous le commandement de Simon Bolivar, les patriotes s’étaient libérés du joug des Espagnols, mais ils n’avaient pas réglé tous leurs problèmes pour autant. Certains de ceux-ci émanaient du Libertador en personne. Il avait doté la Grande-Colombie d’une constitution qui faisait de lui un président à vie investi de pouvoirs extraordinaires ; ne risquait-il pas de devenir un nouveau Napoléon qui imposerait sa loi à toutes les républiques nouveau-nées ? José Pâez, alors commandant militaire du Venezuela, qui était rattaché à la Grande-Colombie, est entré en dissidence. Ce Pâez n’avait rien d’un altruiste ; c’était en fait un fieffé salaud.

» Enfin, peu importent les détails. De toute façon, je ne m’en souviens plus très bien. Toujours est-il que Bolivar, lui-même natif du Venezuela, s’est rendu à marche forcée de Lima à Bogota. Il ne lui a fallu que deux mois, ce qui représentait un exploit vu l’époque et le terrain. Une fois qu’il eut regagné sa capitale, il proclama la loi martiale, se donna les pleins pouvoirs et gagna le Venezuela pour y affronter Pâez. Le sang coulait déjà à flots dans cette région.

» Pendant ce temps, les agents de la Patrouille surveillant le cours des événements ont découvert des indices montrant que tout ça n’était pas très casher... euh... excusez-moi. Bolivar ne se conduisait pas comme le leader humanitaire décrit par la plupart de ses biographes. Il avait un nouvel ami... sorti de nulle part... un conseiller en qui il avait toute confiance. Le plus souvent à raison, car ses idées étaient brillantes. Mais il semblait faire ressortir le côté maléfique du Libertador. Et il ne figurait dans aucune des biographies de celui-ci.

» Je faisais partie des agents non-attachés envoyés sur place. Notamment parce que j’avais bourlingué dans la région avant d’être recruté par la Patrouille. Ça me donnait un petit avantage sur mes camarades. Je ne pouvais pas me faire passer pour un latino-américain, mais je pouvais me déguiser en soldat de fortune yankee, mi-révolutionnaire exalté, mi-mercenaire en quête d’un gros coup – et, quoique suffisamment macho, pas assez arrogant pour hérisser ce peuple susceptible.

» Tout ça constitue une histoire aussi ennuyeuse qu’interminable. Croyez-moi, mes amis, quatre-vingt-dix-neuf pour cent du travail d’agent de terrain consiste en une patiente collecte de faits sans grand intérêt ni grande utilité, entrecoupée de longues périodes d’attente. Pour me résumer, j’ai réussi à m’infiltrer là où je le souhaitais, à prendre les contacts nécessaires et à arroser les informateurs idoines pour rassembler les éléments voulus. Plus aucun doute n’était permis. Le dénommé Blasco Lôpez ne sortait pas de nulle part mais bel et bien de l’avenir.

» J’ai appelé des renforts et nous avons pris d’assaut sa résidence à Bogota. Nos prisonniers étaient en majorité d’inoffensifs indigènes embauchés comme domestiques, dont les témoignages étaient néanmoins riches d’enseignements. Mais la maîtresse de Lôpez était en fait sa complice. Elle nous a raconté beaucoup de choses, en échange d’une cellule dorée sur la planète-prison. Quant au chef de la bande, il nous avait malheureusement filé entre les doigts.

» Un homme à cheval, galopant vers la cordillère Orientale qui domine la ville – un homme ressemblant comme deux gouttes d’eau à des milliers de Créoles – impossible de le poursuivre avec nos sauteurs. Le risque de se faire remarquer était trop grand. Qui peut prévoir les conséquences d’une telle bévue ? Les conspirateurs avaient déjà déstabilisé le flot du temps...

» Je me suis trouvé un cheval, plus deux montures de rechange, de la viande boucanée et des pilules vitaminées, et en avant ! »

8

Le vent cognait sourdement le flanc de la montagne. L’herbe et les broussailles tremblaient sous ses assauts. Un peu plus haut, on ne trouvait plus que la roche nue. De toutes parts, des pics escarpés perçaient l’azur glacial. Un condor tournait, gigantesque, aux aguets de la mort. Sur les sommets, les neiges éternelles luisaient aux feux du soleil déclinant.

Un mousquet crépita. Vu la distance, le bruit était ténu, mais les échos rebondissaient de toutes parts. Everard sentit passer la balle. D’un cheveu ! Il se tassa sur sa selle et talonna son cheval.

Varagan n’espère quand même pas m’atteindre avec une arme d’aussi faible portée, se dit-il. Qu’est-ce qu’il mijote ? Cherche-t-il à me ralentir ? S’il parvient ainsi à gagner quelque répit, en quoi cela l’avantage-t-il ? Quel peut être son but ?

Son adversaire le précédait de huit cents mètres environ, mais sa monture commençait à donner des signes de fatigue. Everard avait mis du temps à retrouver la piste de Varagan, passant d’un péon à un berger pour répéter sans se lasser la description du fugitif. Mais Varagan ne disposait que d’un seul cheval, qu’il avait été obligé de ménager. Une fois qu’Everard avait retrouvé sa trace, son œil exercé n’avait eu aucune peine à le suivre, et la traque s’était alors accélérée.

Il savait en outre que Varagan n’était armé que d’un mousquet. Il n’avait pas mégoté sur les munitions depuis que le Patrouilleur était apparu derrière lui. Comme il rechargeait vite et visait bien, il était parvenu à retarder son poursuivant. Mais quel refuge espérait-il trouver dans cette nature sauvage ? Varagan semblait se diriger vers un pic qui se voyait de loin. Non seulement il était fort élevé, mais en outre sa forme suggérait celle d’un donjon. Cela dit, il n’avait rien d’une forteresse. Si Varagan tentait de s’abriter derrière lui, un coup de désintégrateur suffirait à le noyer sous une avalanche de roche en fusion.

Peut-être Varagan ignorait-il que l’agent possédait une telle arme. Non, impossible. C’était un monstre, pas un crétin.

Everard rabaissa son chapeau et referma son poncho autour de lui pour se protéger du vent. Il ne chercha pas à saisir son désintégrateur, ce n’était pas utile pour le moment, mais, comme par instinct, sa main gauche se posa sur le pistolet à silex et sur le sabre passés à sa ceinture. L’un comme l’autre étaient avant tout des accessoires vestimentaires, conçus pour impressionner les indigènes, mais leur masse lui semblait étrangement rassurante.

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7

Attribué à L. Sprague de Camp. (N.d.T.)