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Il a peut-être une certaine emprise sur elle, fit la voix de Howie dans sa tête.

Brenda faillit éclater de rire. C’était ridicule. L’important, en ce qui concernait Andrea, était qu’elle s’était appelée Twitchell avant d’épouser Tommy Grinnell et que les Twitchell étaient réputés coriaces, même les plus timides. Brenda se dit qu’elle pouvait laisser l’enveloppe contenant le dossier VADOR chez Andrea… si du moins la maison n’était pas fermée et vide. Elle ne le pensait pas : il lui semblait avoir entendu dire qu’Andrea était couchée chez elle avec la grippe.

Brenda traversa Main Street, répétant ce qu’elle allait lui dire : Pouvez-vous garder ces documents pour moi ? Je reviens d’ici une demi-heure. Si jamais je ne reviens pas, confiez-les à Julia Shumway, au journal. Et veillez bien à ce que Dale Barbara soit au courant.

Et si Andrea lui demandait ce que c’était que ce mystère, Brenda serait franche avec elle. Apprendre que Brenda Perkins avait la ferme intention d’arracher sa démission à Jim Rennie lui ferait plus de bien qu’une double de dose de Theraflu.

En dépit de son désir d’en terminer au plus vite avec cette désagréable corvée, elle s’arrêta un moment devant la maison des McCain. Elle paraissait inoccupée, ce qui n’avait en soi rien d’étonnant, car de nombreuses familles n’étaient pas sur le territoire du Dôme quand celui-ci s’était mis en place. Il y avait autre chose. Une faible odeur, pour commencer, comme s’il s’y trouvait de la nourriture avariée. Tout d’un coup, la journée lui parut plus chaude, l’air plus étouffant, et les bruits de ce qui se passait au Food City plus lointains. Puis elle comprit à quoi cela tenait : elle avait l’impression d’être épiée. Elle resta là, se disant que ces fenêtres aux stores baissés ressemblaient à des yeux fermés. Mais pas complètement. Des yeux qui épiaient.

Arrête un peu, ma grande. Tu as autre chose à faire.

Elle poussa jusqu’à la maison d’Andrea, s’arrêtant toutefois pour regarder par-dessus son épaule. Elle ne vit qu’une maison aux stores baissés qui macérait, morose, au milieu de la puanteur douceâtre d’aliments en décomposition. Seule la viande sentait aussi rapidement mauvais. Le congélateur de Henry et LaDonna avait dû être bien plein, pensa-t-elle.

17

C’était Junior qui observait Brenda, Junior à genoux, Junior en sous-vêtements, tandis que ça cognait et frappait dans sa tête. Il la regardait depuis le séjour, derrière l’un des stores baissés. Quand elle fut partie, il retourna dans l’arrière-cuisine. Il devrait bientôt renoncer à ses petites copines, il le savait, mais pour le moment il voulait les garder. Et rester plongé dans l’obscurité. Il désirait même sentir la puanteur que dégageaient leurs chairs en train de noircir.

N’importe quoi, n’importe quoi qui puisse le soulager de son féroce mal de tête.

18

Après avoir donné trois tours stridents à la sonnette démodée en forme de timbre d’hôtel, Brenda se résigna finalement à rentrer chez elle. Elle se détournait déjà lorsqu’elle entendit des pas traînants, lents, approcher de la porte, et elle commença à afficher un petit sourire Bonjour voisine sur son visage. Sourire qui se pétrifia lorsqu’elle vit Andrea — les joues pâles, des cercles noirs autour des yeux, les cheveux en désordre, resserrant la ceinture de sa robe de chambre sur son pyjama. Et la maison sentait, elle aussi — non pas la viande en décomposition, mais le vomi.

Le sourire d’Andrea était aussi pâlot que l’étaient son front et ses joues. « Je sais de quoi j’ai l’air, dit-elle d’une voix complètement éraillée. Il vaut mieux que je ne t’invite pas à entrer. Je suis sur la bonne pente, mais il se peut que je sois encore contagieuse.

— As-tu vu le Dr Has… » Non, évidemment. Le Dr Haskell était mort. « As-tu vu Rusty Everett ?

— Oui, bien sûr. Je vais me remettre rapidement, paraît-il.

— Tu transpires.

— J’ai encore un peu de fièvre, mais c’est presque fini. En quoi puis-je te rendre service, Brenda ? »

Brenda faillit dire en rien, ne voulant pas charger d’une telle responsabilité une femme aussi manifestement souffrante, mais Andrea dit alors quelque chose qui changea le cours des choses. Les grands évènements avancent souvent à coups de petits détails.

« Je suis tellement désolée pour Howie. Je l’aimais vraiment beaucoup.

— Merci, Andrea. » Et pas seulement pour la sympathie que tu exprimes, mais pour l’avoir appelé Howie et non pas Duke.

Pour Brenda, il avait toujours été Howie, son cher Howie, et le dossier VADOR était son dernier travail. Probablement son travail le plus important. Brenda décida soudain qu’il était temps de passer à l’action, sans plus tarder. Elle plongea la main dans son sac à commissions et en retira l’enveloppe de papier kraft qui portait dessus le nom de Julia en gros caractères. « Peux-tu conserver ces documents pour moi, Andrea ? Juste pour un petit moment ? J’ai une course à faire et je ne veux pas les garder avec moi. »

Brenda aurait répondu à toutes les questions qu’aurait pu lui poser Andrea, mais apparemment aucune ne lui vint à l’esprit. Elle se contenta de prendre la volumineuse enveloppe avec une sorte de courtoisie distraite. Et c’était très bien. Autant de temps de gagné. De plus, Andrea ne se trouverait pas impliquée dans l’affaire, et cela pourrait lui épargner des conséquences politiques, par la suite.

« Bien volontiers, dit-elle. Et maintenant, si tu veux m’excuser… Je crois que je ferais mieux de m’allonger… mais pas pour dormir ! ajouta-t-elle comme si Brenda avait soulevé une objection. Je t’entendrai quand tu reviendras.

— Merci. As-tu pensé à prendre des jus de fruits ?

— J’en bois des litres. Prends tout ton temps, ma chère — je vais garder ton enveloppe. »

Brenda s’apprêtait à la remercier de nouveau, mais le troisième conseiller refermait déjà la porte.

19

L’estomac d’Andrea avait commencé à se soulever vers la fin de son entretien avec Brenda. Elle avait lutté contre la nausée, mais c’était un combat qu’elle savait perdu d’avance. Elle avait répondu n’importe quoi à propos des jus de fruits, dit à Brenda de prendre son temps puis avait refermé la porte au nez de la pauvre femme pour courir jusqu’à sa salle de bains puante, tandis que des bruits gutturaux remontaient du fond de sa gorge.

Il y avait, à côté du canapé du séjour, une table d’angle sur laquelle elle jeta l’enveloppe de papier kraft plus ou moins à l’aveuglette, lorsqu’elle passa au pas de course à côté. L’enveloppe glissa sur la surface polie de la table et tomba de l’autre côté, dans l’espace sombre de l’angle du mur.

Andrea réussit à atteindre la salle de bains, mais pas les toilettes… ce qui n’était pas plus mal ; elles étaient pratiquement pleines du magma stagnant et puant qu’avait rejeté son corps au cours de l’interminable nuit qu’elle avait passée. Elle se pencha sur le lavabo, vomissant et crachant avec des spasmes qui lui donnèrent l’impression que bientôt son œsophage allait se détacher et atterrir, encore chaud et agité de pulsations, sur la porcelaine maculée de dégueulis.