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— La deuxième erreur que vous avez commise a été de penser que vous seriez en sécurité en étant visible de la rue. Une rue déserte. »

Il avait parlé d’une voix presque douce et, quand il lui toucha le bras, elle se retourna pour le regarder. Il la prit par la tête. Et tordit.

Brenda Perkins entendit un craquement sec, semblable à celui d’une branche qui casse sous le poids de la glace, et s’engouffra à la suite du bruit dans une profonde obscurité, essayant de crier le nom de son mari.

21

Big Jim entra dans la maison et prit l’une des casquettes publicitaires Jim Rennie’s Used Cars dans le placard de l’entrée. Et des gants. Puis il alla chercher une citrouille dans l’arrière-cuisine. Brenda était toujours dans son fauteuil Adirondack, le menton sur la poitrine. Il regarda autour de lui. Personne. Le monde lui appartenait. Il mit la casquette sur la tête de Brenda, très bas sur le front, lui passa les gants et posa la citrouille sur ses genoux. Voilà qui ira parfaitement bien, songea-t-il, jusqu’à ce que Junior revienne et l’ajoute à la liste de la boucherie de Dale Barbara. En attendant, elle ne sera qu’un mannequin de Halloween de plus.

Il vérifia ce qu’il y avait dans son sac à commissions. Il contenait son portefeuille, un peigne et un livre de poche. Parfait. Tout cela serait très bien au sous-sol, à côté de la chaudière éteinte.

Il la laissa, la casquette enfoncée sur la tête, la citrouille sur les genoux, et alla ranger le sac en attendant que son fils arrive.

Au trou

1

Le conseiller Rennie ne s’était pas trompé en estimant que personne n’avait vu Brenda Perkins venir chez lui ce matin-là. Cependant, elle avait été vue au cours de ses allées et venues matinales, non pas par une personne, mais par trois, y compris une habitante de Mill Street. Si Big Jim l’avait su, cela l’aurait-il retenu ? On pouvait en douter ; à ce moment-là, il était déjà lancé sur sa trajectoire et il était trop tard pour faire demi-tour. Et s’il avait réfléchi (car à sa manière, il était homme de réflexion), il aurait médité sur la similitude du meurtre avec les chips. C’est difficile de s’arrêter à une seule.

2

Big Jim n’avait pas vu ceux qui l’avaient vu quand il s’était rendu jusqu’au carrefour de Mill et Main Street. Pas plus que Brenda ne les avait vus pendant qu’elle remontait Town Common Hill. Car les voyeurs ne voulaient pas être vus. Ils s’étaient planqués à l’intérieur du Peace Bridge, le pont étant une structure condamnée. Mais ce n’était pas le pire. Si Claire McClatchey avait vu les cigarettes, elle en aurait chié une brique. Et peut-être même deux. Et en tout cas, elle n’aurait plus jamais laissé Joe copiner avec Norrie Calvert, pas même si le sort de la ville en avait dépendu, parce que c’était Norrie qui avait fourni les sèches — des Winston à moitié écrasées et tordues qu’elle avait trouvées sur une étagère du garage. Son père avait arrêté de fumer depuis un an, et une fine couche de poussière recouvrait le paquet, mais dedans les cigarettes avaient l’air très bien. Il y en avait juste trois, mais trois, c’était parfait : une chacun. « Voyez ça comme un rite porte-bonheur, leur avait-elle dit.

— On va les fumer comme les Indiens quand ils prient leurs dieux pour que la chasse réussisse. Après, on se mettra au boulot.

— Ça me va », dit Joe.

Cela faisait longtemps qu’il avait envie de savoir l’effet que ça faisait. Il ne voyait pas quel plaisir on y prenait, mais il devait y en avoir un, puisque des tas de gens fumaient encore.

« Quels dieux ? demanda Benny Drake.

— Ceux que tu veux », lui répondit Norrie en le regardant comme s’il était la créature la plus stupide de l’univers. « Le dieu Dieu, si ça te chante. » Avec son short en jean délavé, son débardeur rose, ses cheveux encadrant pour une fois son petit visage rusé au lieu d’être tirés en arrière, dans son habituelle queue-de-cheval, elle faisait beaucoup d’effet aux garçons. Elle était trop craquante, en fait. « Moi, je prie Wonder Woman.

— Wonder Woman n’est pas une déesse », fit remarquer Joe en prenant une des vieilles Winston qu’il essaya de redresser. « Wonder Woman est un super-héros. » Il réfléchit. « Non, une super-héroïne, plutôt.

— Pour moi, c’est une déesse », répliqua Norrie avec une sincérité et une gravité qui ne pouvaient être ni contredites, ni moquées.

Elle redressait aussi sa cigarette. Benny laissa la sienne telle qu’elle était, estimant qu’une cigarette torsadée avait un certain chic. « J’ai porté les bracelets de pouvoir Wonder Woman jusqu’à neuf ans, quand je les ai perdus. Je crois que c’est cette garce d’Yvonne Nedeau qui me les a piqués », poursuivit Norrie.

Elle fit craquer une allumette et donna du feu tout d’abord à Joe l’Épouvantail, puis à Benny. Lorsqu’elle voulut allumer sa cigarette, Benny souffla dessus.

« Pourquoi t’as fait ça ? demanda-t-elle.

— Une allumette pour trois cigarettes, ça porte malheur.

— Et tu crois un truc pareil ?

— Pas beaucoup, admit Benny, mais aujourd’hui, on va avoir besoin d’un maximum de chance. » Il jeta un coup d’œil au sac à commissions, dans le panier de sa bicyclette, puis tira sur sa cigarette. Il inhala un peu puis recracha la fumée en toussant, les larmes aux yeux. « Ça a un goût de merde de panthère, ce truc !

— Parce que t’en as déjà fumé beaucoup ? » demanda Joe, tirant lui aussi sur sa cigarette.

Il ne voulait pas avoir l’air de se dégonfler, mais il n’avait pas non plus envie de se mettre à tousser, ou pire, à dégobiller. La fumée le brûlait, mais d’une manière en quelque sorte agréable. C’était peut-être pas si mal, au fond. Sauf que la tête lui tournait un peu.

Vas-y mollo, n’avale pas trop de fumée, se dit-il. Tomber dans les pommes serait encore moins cool que dégobiller. Sauf que, rêvons toujours, s’il tombait dans les pommes sur les genoux de Norrie, ce qui serait vachement cool.

Norrie plongea la main dans l’une des poches de son short et en retira le bouchon d’une bouteille de jus de fruits. « Ça va nous servir de cendrier. Je veux bien qu’on fasse le rituel indien, mais j’ai pas envie de mettre le feu au Peace Bridge. » Sur quoi, elle ferma les yeux. Ses lèvres se mirent à bouger. Sa cigarette se consumait entre ses doigts.

Benny regarda Joe, haussa les épaules et ferma à son tour les yeux. « Tout-puissant GI Joe, dieu des soldats, écoute la prière de ton humble serviteur le deuxième classe Drake… »

Norrie lui donna une bourrade sans ouvrir les yeux.

Joe se leva (la tête lui tournait un peu, mais pas trop ; il prit le risque d’une deuxième bouffée quand il fut debout) et passa devant les bicyclettes pour aller au bout du pont couvert donnant sur la place principale.

« Où tu vas ? lui demanda Norrie sans ouvrir les yeux.

— Je prie mieux face à la nature », répondit Joe ; mais en réalité, il voulait juste respirer un peu d’air frais.

Ce n’était pas la fumée du tabac ; elle ne lui déplaisait pas. C’était les autres odeurs, à l’intérieur du pont, qui le gênaient : bois pourri, vieille gnôle, et des relents de produits chimiques qui paraissaient monter de la Prestile, en dessous (une odeur, aurait pu lui dire le Chef, qu’on pouvait finir par aimer).

Mais même l’air de l’extérieur n’était pas si merveilleux ; il avait quelque chose d’usé qui évoqua dans l’esprit de Joe le voyage qu’il avait fait à New York avec ses parents, l’année précédente. Le métro avait une odeur dans ce genre, en particulier en fin de journée, quand les rames étaient pleines des gens qui rentraient chez eux.