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« Houlà ! s’exclama Benny. Ça décolle sec ! »

Norrie quitta l’aiguille (qui restait immobile à mi-chemin de la zone rouge) des yeux pour se tourner vers Joe. « On continue ?

— Bon sang, oui. »

12

Au poste de police l’électricité n’était pas coupée — pas encore, en tout cas. Un corridor carrelé de vert courait dans le sous-sol du bâtiment, éclairé par des néons qui jetaient une lumière à la constance déprimante. Matin ou après-midi, c’était toujours l’aveuglante clarté de midi tapant, ici. Le chef Randolph et Freddy Denton escortèrent (ce qui est une façon de parler, vu les poignes qui lui encerclaient les biceps) Barbie jusqu’au bas de l’escalier. Les deux policières, leur arme toujours dégainée, suivaient.

Sur la gauche se trouvait la salle des archives. Sur la droite, on comptait cinq cellules, deux face à face et une au fond. Cette dernière était la plus petite, son étroite couchette surplombant presque les toilettes sans siège ; c’était vers celle-ci qu’on le poussait.

Sur ordre de Peter Randolph — ordre qui émanait en fait de Big Jim —, on avait relâché sur parole tous les émeutiers, même ceux qui s’étaient montrés les plus violents au supermarché (de toute façon, où auraient-ils pu aller ?), et toutes les cellules auraient dû être libres. Ce fut donc une surprise lorsque Melvin Searles jaillit de la 4, où il s’était planqué. Le bandage qui entourait sa tête avait glissé, et il portait des lunettes de soleil pour cacher deux yeux au beurre noir exceptionnels dans leur genre. Il tenait à la main une longue chaussette de sport contenant quelque chose de lourd : une matraque faite maison. La première impression de Barbie, brouillée, fut qu’il allait être attaqué par l’Homme invisible.

« Salopard ! » hurla Mel, balançant son casse-tête. Barbie plongea. L’engin passa au-dessus de sa tête et frappa Freddy Denton à l’épaule. Freddy poussa un mugissement et lâcha Barbie. Derrière eux, les femmes crièrent.

« Putain d’assassin ! Qui t’a payé pour me casser la tête ? Hein ? » Mel balança de nouveau sa matraque et atteignit cette fois Barbie au biceps gauche. Son bras lui fit l’effet de s’être engourdi d’un seul coup. Ce n’était pas du sable, dans la chaussette, mais un objet dur, genre presse-papier. En verre ou en métal, mais du moins rond. Dans le cas contraire, il aurait saigné.

« Espèce de putain d’enculé ! » rugit Mel, balançant une fois de plus sa chaussette lestée. Le chef Randolph eut un mouvement de recul, lâchant à son tour Barbie. Barbie attrapa la chaussette par le haut et grimaça quand le poids s’enroula autour de son poignet. Puis il tira brusquement dessus, réussissant à arracher la matraque improvisée à Mel Searle. Sur quoi, le bandage qui entourait la tête du flic dégringola un peu plus bas, faisant un bandeau devant ses lunettes.

« Ne bougez pas ! Ne bougez pas ! cria Jackie Wettington. Plus un mouvement, détenu, il n’y aura pas d’autre avertissement ! »

Barbie sentit un petit cercle froid se poser entre ses omoplates. Il ne pouvait pas le voir, mais il savait que Jackie lui plantait son arme de service dans le dos. Si elle tire, c’est là que je prendrai la balle. Et elle en est capable, parce que dans une petite ville où les grosses affaires sont pratiquement inexistantes, même les professionnels sont des amateurs.

Il laissa tomber la chaussette. L’objet qu’elle contenait résonna contre le lino. Puis il leva les mains. « Je l’ai laissé tomber, madame ! Je ne suis pas armé, je vous en prie, baissez votre arme ! »

Mel repoussa le bandage, qui se déroula dans son dos comme l’extrémité d’un turban de pandit. Il donna deux coups de poing à Barbie, un au plexus solaire, l’autre au creux de l’estomac.

Cette fois, Barbie n’avait pas eu le temps de se préparer et l’air jaillit de ses poumons avec un bruit rauque étranglé. Il se plia en deux et tomba à genoux. Mel abattit son poing sur sa nuque — à moins que ce ne fût Freddy ; pour ce qu’en savait Barbie, c’était peut-être même leur intrépide patron — et il s’étala, tandis que le monde devenait gris et indistinct. Mis à part un éclat qui avait sauté du lino. Celui-ci, il le distinguait très bien. Avec une clarté à couper le souffle, même. Et pour cause, il n’en était qu’à trois centimètres.

« Arrêtez, arrêtez, arrêtez de le frapper ! » La voix venait de très loin, mais Barbie était à peu près certain qu’elle appartenait à la femme de Rusty. « Il est à terre, vous ne voyez pas qu’il est à terre ? »

Il y eut un ballet compliqué de pieds bottés autour de lui. L’un des flics lui marcha sur les fesses, dit « Oh, merde ! », sur quoi il reçut un coup de pied à la hanche. Tout cela se produisait très loin. Il aurait certainement mal plus tard, mais pour le moment, ce n’était pas trop dur.

Des mains l’empoignèrent et le soulevèrent. Il essaya de relever la tête, mais il trouva plus facile, en fin de compte, de la laisser retomber. Il fut propulsé le long du couloir jusqu’à la dernière cellule, le lino vert glissant sous ses pieds. Qu’est-ce que Denton lui avait dit, déjà ? Ta suite t’attend.

M’étonnerait qu’il y ait des bonbons sur l’oreiller et un service de chambre, pensa Barbie. Ce dont il se fichait. Pour l’instant, il n’avait qu’une envie : se retrouver seul pour pouvoir lécher ses blessures.

À l’entrée de la cellule, un pied vint se poser sur ses fesses pour le faire aller un peu plus vite. Il partit en vol plané, levant le bras droit pour ne pas s’écraser tête la première contre les parois de béton peintes en vert. Il essaya bien de soulever aussi le bras gauche, mais il était encore complètement engourdi jusqu’au coude. Il réussit cependant à se protéger la tête, ce qui n’était déjà pas si mal. Il rebondit, vacilla sur place, tomba de nouveau à genoux, cette fois à côté de la couchette, comme s’il s’apprêtait à faire sa prière avant de se coucher. Derrière lui, la porte se referma avec un grincement.

S’appuyant des mains sur la couchette, Barbie se releva, son bras gauche reprenant un peu vie. Il se tourna à temps pour voir, à travers les barreaux, Randolph qui repartait d’une démarche agressive, poings serrés, tête baissée. Un peu plus loin, Denton défaisait ce qui restait du bandage de Searles tandis que celui-ci fronçait férocement les sourcils — l’effet quelque peu gâché par les lunettes de soleil de travers sur son nez. Les deux femmes flics se tenaient derrière leurs collègues masculins, au pied de l’escalier. Elles arboraient une même expression de confusion consternée. Le visage de Linda Everett était plus pâle que jamais et Barbie crut deviner des larmes brillant dans ses cils.

Barbie mobilisa toute son énergie et lança : « Officier Everett ! »

Elle eut un léger sursaut. Quelqu’un l’avait-il déjà appelée ainsi ? Les petits écoliers, peut-être, quand elle leur faisait traverser la rue, ce qui avait sans doute dû être sa plus grosse responsabilité en tant qu’employée à mi-temps. Jusqu’à cette semaine.

« Officier Everett ! Madame, je vous en prie, madame !

— La ferme ! » lui lança Freddy Denton.

Barbie n’y fit pas attention. Il craignait, sinon de s’évanouir complètement, du moins d’avoir un étourdissement ; pour le moment, il s’accrochait de toutes ses forces.

« Dites à votre mari d’examiner les corps ! Celui de Mrs Perkins, en particulier ! Il doit examiner les corps, madame ! Ils ne sont pas à l’hôpital ! Rennie n’a pas voulu qu’ils… »

Peter Randolph arriva à grands pas. Barbie vit ce que le chef avait pris à la ceinture de Freddy Denton et voulut se protéger la figure avec ses bras, mais ils étaient tout simplement trop lourds.