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— Comment tu sais ça ? demanda Barbie.

— C’est écrit sur l’étiquette. Quand elle fait tout marcher, comme à midi, au moment où il n’y a plus eu de courant, elle en consomme probablement trois à l’heure. Ou un peu plus. »

La réaction de Rose fut immédiate : « Anse, va tout éteindre dans la cuisine. Tout de suite. Et baisse le thermostat de la chaudière à dix degrés. » Elle réfléchit. « Non, arrête-la. »

Barbie sourit et brandit son pouce. Elle avait pigé. Ce n’était pas tout le monde à Chester’s Mill qui aurait compris. Pas tout le monde à Chester’s Mill qui aurait voulu comprendre.

« D’accord, dit Anson, l’air toutefois dubitatif. Vous ne pensez pas que demain matin… ou dans l’après-midi, au plus tard… ?

— Le Président des États-Unis va faire une déclaration à la télé, dit Barbie. À minuit. Qu’est-ce que cela t’inspire, Anse ?

— Je crois qu’il vaut mieux que j’aille tout éteindre, répondit-il.

— Et la chaudière, n’oublie pas la chaudière », ajouta Rose. Tandis qu’Anson s’éloignait rapidement, elle se tourna vers Barbie : « Je vais faire pareil chez moi dès que je serai montée. »

Veuve depuis dix ans, elle habitait au-dessus du restaurant.

Barbie répondit d’un hochement de tête. Il avait retourné l’un des sets de table en papier (« Avez-vous visité ces vingt sites spectaculaires du Maine ? ») et faisait des calculs dessus. Entre vingt-sept et trente gallons de propane avaient brûlé depuis la mise en place de la barrière. Il en restait donc dans les cinq cent soixante-dix. Si Rose parvenait à ramener sa consommation à vingt-cinq gallons par jour, le restaurant pourrait théoriquement tenir pendant trois semaines. En la ramenant à vingt gallons par jour — ce qui pourrait probablement se faire en fermant entre le petit déjeuner et le déjeuner et de nouveau entre le déjeuner et le dîner —, elle pourrait tenir jusqu’à un mois.

Ce qui est bien suffisant, pensa-t-il, vu que si la ville est toujours fermée dans un mois, il n’y aura plus rien à faire cuire, de toute façon.

« À quoi penses-tu ? demanda Rose. Et c’est quoi, tous ces chiffres ? Je n’arrive pas à comprendre…

— C’est parce que tu les vois à l’envers », dit Barbie, se rendant alors compte que tout le monde, à Chester’s Mill, allait avoir tendance à faire de même.

C’était des chiffres que personne n’avait envie de voir à l’endroit.

Rose tourna le rectangle de papier vers elle. Elle refit les calculs. Puis leva les yeux sur Barbie, stupéfaite. À ce moment-là, Anson éteignit presque partout et ils se retrouvèrent plongés dans une pénombre qui était — au moins pour Barbie — horriblement convaincante. Ils étaient peut-être vraiment dans la merde.

« Vingt-huit jours ? Tu penses que nous devons prévoir sur quatre semaines ?

— J’ignore si c’est ou non ce qu’il faut faire, mais quand j’étais en Irak, un copain m’a donné un exemplaire du Petit Livre rouge de Mao. Je l’ai trimbalé sur moi et je l’ai lu en entier. L’essentiel de ce qu’il dit est encore plus juste que ce que racontent nos hommes politiques les jours où ils déconnent le moins. Un de ces aphorismes m’est resté :Souhaite le soleil, mais construis des digues. Je crois que c’est ce que nous — euh, toi, je veux dire…

— Non, nous », dit-elle en lui touchant la main.

Il prit celle de Rose et la serra.

« D’accord, nous. Je crois que nous devons prévoir des digues. Ce qui signifie fermer entre les repas, réduire l’utilisation des fours — pas de rouleaux à la cannelle, même si je les aime autant que tout le monde — et pas de lave-vaisselle. Il est vieux et gourmand en énergie. Je sais bien que l’idée de faire la vaisselle à la main ne va pas enchanter Anson et Dodee…

— J’ai bien peur que nous ne puissions compter sur Dodee avant un bon moment, si elle revient jamais. Avec la mort de sa mère. » Rose soupira. « J’espère presque qu’elle se trouvait au centre commercial d’Auburn. De toute façon, ce sera demain dans les journaux.

— Peut-être. »

Barbie ignorait quelles seraient les informations qui entreraient dans Chester’s Mill ou en sortiraient, si la situation ne se dénouait pas rapidement avec quelque explication rationnelle. Probablement pas beaucoup. Il craignait que le célèbre Cône de silence de Maxwell Smart[7] ne s’installe rapidement, si ce n’était déjà fait.

Anson revint vers eux. Il avait enfilé sa veste. « Je peux y aller maintenant, Rose ?

— Bien sûr. Six heures, demain matin ?

— Ce n’est pas un peu tard ? » Il sourit et ajouta : « Même si je ne m’en plains pas.

— On va ouvrir plus tard. » Rose hésita. « Et nous fermerons entre les repas.

— Ah bon ? » Chouette, dit Anson en se tournant vers Barbie. « Tu sais où tu vas coucher, ce soir ? Parce que tu peux venir chez moi. Sada est allé à Derry rendre visite à ses parents. »

Sada était la femme d’Anson.

En fait, Barbie avait un logement juste de l’autre côté de la rue.

« Merci, mais je vais retourner dans mon appartement. Il est payé jusqu’à la fin du mois, alors autant en profiter, non ? J’ai laissé les clefs à Petra Searles à la pharmacie, ce matin avant de partir, mais j’ai toujours le double sur moi.

— Très bien. Alors à demain matin, Rose. Tu seras ici, Barbie ?

— Je voudrais pas manquer ça. »

Le sourire d’Anson s’agrandit. « Génial. »

Quand il fut parti, Rose se frotta les yeux et regarda Barbie d’un air lugubre. « Combien de temps ce truc-là va durer ? D’après toi ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, Rose. Parce que j’ignore ce qui est arrivé. Et donc quand ça va cesser.

— Tu me fais peur, Barbie, dit-elle d’une voix très basse.

— Je me fais peur à moi-même. Nous devons tous les deux aller au lit. Les choses devraient se présenter un peu mieux demain matin.

— Après une telle discussion, je vais sans doute avoir besoin de mes petites pilules pour dormir en dépit de ma fatigue, dit-elle. Mais grâce à Dieu, tu es revenu. »

Barbie se rappela ce qu’il avait pensé à propos des approvisionnements.

« Encore une chose. Si Food City ouvre demain…

— C’est toujours ouvert le dimanche. De dix à dix-huit heures.

— S’il est ouvert demain matin, il faudra aller faire des courses.

— Mais j’ai une livraison de Sysco… » Elle s’interrompit et le regarda, affichant de nouveau son expression lugubre. « … mardi prochain, mais on ne peut pas compter dessus, n’est-ce pas ? Évidemment pas.

— Non, on ne peut pas. Même si jamais tout revenait tout d’un coup à la normale, il y a des chances pour que l’armée mette l’agglomération en quarantaine, au moins un certain temps.

— Qu’est-ce qu’il faut acheter ?

— De tout, mais en particulier de la viande. De la viande, de la viande. Si le magasin ouvre. Ce qui n’est pas certain. Jim Rennie persuadera peut-être le gérant actuel…

— Jack Cale. Il a repris le magasin quand Ernie Calvert est parti en retraite, l’an dernier.

— Eh bien, Rennie peut le persuader de fermer pour un certain temps. Ou obliger le chef Perkins à le faire fermer.

— Tu n’es pas au courant ? » demanda Rose, ajoutant, devant son regard d’incompréhension : « Duke Perkins est mort, Barbie. Il est mort là-bas. »

Elle eut un geste vers le sud.

Barbie la regarda fixement, stupéfait. Anson n’avait pas éteint la télévision et, derrière eux, le Wolfie de Rose expliquait une fois de plus à l’univers qu’une force inconnue isolait le territoire d’une petite ville du Maine occidental, que les chefs d’état-major des différentes armées étaient en réunion à Washington, et que le Président allait s’adresser à minuit à la nation, mais qu’en attendant, il demandait à tous les Américains d’unir leurs prières aux siennes pour les gens de Chester’s Mill.

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7

Célèbre série américaine, parodie des James Bond.