Une fois de plus, elle se trouva à court de réplique.
« Il est de la plus haute importance que je parle avec le capitaine Barbara », reprit le colonel, revenant à son point de départ.
D’une certaine manière, Julia fut surprise qu’il se soit autant écarté de son message initial.
« Le capitaine Barbara ?
— À la retraite. Pouvez-vous le trouver ? Emportez votre portable. Je vais vous donner un numéro pour me rappeler. Ça passera.
— Et pourquoi moi, colonel Cox ? Pourquoi ne pas avoir appelé la police de Chester’s Mill ? Ou l’un des conseillers municipaux ? Je crois que le premier conseiller et ses deux adjoints sont sur place.
— Je n’ai même pas essayé. J’ai grandi dans une petite ville, Ms Shumway…
— C’est pas de chance…
— Et d’après mon expérience, les politiciens locaux ne savent pas grand-chose, les flics du patelin en savent un peu plus, mais le rédacteur en chef du journal local est au courant de tout. »
Elle ne put s’empêcher de rire.
« Pourquoi prendre la peine de téléphoner alors que vous pouvez vous voir en face à face ? Avec moi comme chaperon, bien entendu. Je vais aller de mon côté de la barrière — j’étais d’ailleurs sur le point d’y partir lorsque vous m’avez appelée. Je vais chercher Barbie…
— Ah, on l’appelle encore comme ça ? dit Cox, l’air amusé.
— Je vais le chercher et je vous l’amène. Nous pourrons avoir une mini-conférence de presse.
— Je ne me trouve pas dans le Maine, mais à Washington. Avec les chefs d’état-major.
— Et ça devrait m’impressionner ? demanda-t-elle — elle l’était un peu, en vérité.
— Ms Shumway, je suis très occupé et vous aussi, probablement. C’est pourquoi, dans l’intérêt de nos efforts pour résoudre ce problème…
— Parce que vous croyez cela possible ?
— Arrêtez ça, dit-il. Vous avez certainement été reporter avant de diriger un journal, et je ne doute pas que poser des questions soit une seconde nature chez vous, mais le temps presse. Pouvez-vous faire ce que je vous demande ?
— Oui. Mais si vous le voulez, lui, vous m’aurez aussi, moi.
— Non.
— Parfait, dit-elle d’un ton charmant. J’ai eu beaucoup de plaisir à parler avec vous, colo…
— Laissez-moi finir. Votre côté de la 119 est totalement FUBAR[8]. Cela veut dire…
— Je connais l’expression, colonel, j’ai lu Tom Clancy, autrefois. Et dans le cas précis de la Route 119, qu’est-ce que cela veut dire ?
— Cela veut dire, pardonnez mon langage, que le coin ressemble à une soirée portes ouvertes dans un bar à putes. La moitié de la ville a garé ses bagnoles et ses pick-ups de part et d’autre de la route et dans les champs de la ferme voisine. »
Elle posa son appareil photo sur le sol, prit le carnet de notes qu’elle avait dans la poche de son manteau et griffonna Col James Fox et soirée portes ouvertes dans un bar à putes. Puis elle ajouta, la ferme Dinsmore ? Oui, il faisait probablement allusion aux champs d’Alden Dinsmore.
« Très bien, dit-elle. Qu’est-ce que vous proposez ?
— Eh bien, je ne peux pas vous empêcher de venir, vous avez tout à fait raison sur ce point. » Il soupira d’une manière qui suggérait que ce monde était vraiment trop injuste. « Et je ne peux pas non plus vous empêcher d’imprimer ce que vous voulez dans votre journal, même si je pense que c’est sans importance, puisque personne, en dehors des citoyens de Chester’s Mill, ne pourra le lire. »
Le sourire de Julia s’effaça. « Cela vous ennuierait-il de m’expliquer pourquoi ?
— Je n’y verrais pas d’inconvénient, mais il faudra que vous compreniez toute seule. Ma proposition est que, si vous voulez voir la barrière — ce qui est une façon de parler, car elle est invisible, on a certainement dû vous le dire —, vous allez vous rendre avec le capitaine Barbara à l’endroit où elle coupe le chemin vicinal n°3. Connaissez-vous le chemin vicinal n°3, Ms Shumway ? »
Un instant, elle ne vit pas de quoi il parlait. Puis cela lui revint et elle eut un petit rire.
« Quelque chose d’amusant, Ms Shumway ?
— Ici, les gens l’appellent Little Bitch, le chemin de la Petite Garce. Parce que à la mauvaise saison, c’est le genre bourbier traître.
— Très imagé.
— Personne du côté de la Petite Garce, si je comprends bien ?
— Personne, pour le moment.
— Très bien. »
Elle remit le carnet de notes dans sa poche et reprit son appareil photo. Horace attendait toujours patiemment près de la porte.
« Parfait. Quand pensez-vous me rappeler ? Ou plutôt, quand Barbie pourra-t-il me rappeler sur votre portable ? »
Elle consulta sa montre, il était dix heures à peine passées. Comment était-il possible, au nom du Ciel, qu’il soit déjà si tard ? « On devrait y être vers dix heures et demie, en supposant que je le trouve tout de suite. Ce qui me paraît possible.
— C’est très bien. Dites-lui qu’il a le bonjour de Ken. C’est…
— Une blague entre vous, j’ai compris. Quelqu’un sera-t-il là pour nous accueillir ? »
Il y eut un silence. Quand le colonel reprit la parole, elle sentit qu’il hésitait : « Il y aura des lumières, des sentinelles, des soldats pour contrôler le barrage routier. Mais ils ont pour instructions de ne pas parler aux résidents de Chester’s Mill.
— De ne pas… pourquoi ? mon Dieu, pourquoi ?
— Si cette situation se prolonge, Ms Shumway, tout cela deviendra clair pour vous. Mais vous trouverez la plupart des réponses toute seule — vous me faites l’effet d’une femme particulièrement intelligente.
— Eh bien allez vous faire foutre, colonel ! » s’écria-t-elle, vexée.
Horace dressa les oreilles.
Cox éclata de rire, un grand rire nullement offensé. « Oui madame, je vous reçois cinq sur cinq. Vingt-deux heures trente ? »
Elle fut tentée de lui répondre non, mais c’était bien entendu hors de question.
« Soit vous, soit lui, mais c’est à lui que j’ai besoin de parler. J’attendrai une main sur le téléphone.
— Alors donnez-moi le numéro magique. »
Elle coinça l’appareil contre son oreille et reprit son carnet de notes. Car bien entendu, on a toujours besoin de reprendre son carnet de notes dès qu’on vient de le ranger ; c’est un fait de la vie, quand on est reporter, ce qu’elle était maintenant. À nouveau. Le numéro qu’il lui donna l’effraya encore plus que tout ce qu’il avait pu lui dire. Le code de zone était 000.
« Une dernière chose, Ms Shumway : avez-vous un pacemaker ? Un appareil auditif ? Rien de cette nature ?
— Non. Pourquoi ? »
Elle crut qu’il allait de nouveau refuser de répondre, mais pas du tout. « Une fois que vous êtes proche du Dôme, il se produit certaines interférences. Elles ne sont pas dangereuses pour la plupart des gens ; ils ne ressentent qu’un léger choc électrique de faible puissance qui disparaît au bout d’une ou deux secondes, mais qui fout en l’air les appareils électroniques. Il en arrête certains — comme les téléphones portables, par exemple, quand on en est à moins de deux mètres, environ, et fait exploser les autres. Il arrêtera par exemple un magnétophone. Mais amenez un truc plus sophistiqué, comme un iPod ou un BlackBerry, et il y a des chances pour qu’il explose.