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— C’était pas les fertilisants — connerie. C’était l’odeur de sainteté.

— Pardon ? »

Elle lui montra la silhouette sombre d’un clocher qui cachait les étoiles. « L’église du Christ-Rédempteur, dit-elle. Ils possèdent la station WCIK, un peu en arrière de la route. Connue aussi sous le nom de Radio-Jésus. Ça ne vous dit rien ? »

Il haussa les épaules. « Si, j’ai vu le clocher. Et je connais la station. Le contraire serait difficile quand on habite ici et qu’on a la radio. Des fondamentalistes ?

— À côté d’eux, les baptistes radicaux sont des petits rigolos. Je vais moi-même à la Congo. Peux pas supporter Lester Coggins et son baratin — ha-ha, vous irez tous en enfer et pas nous. Caresses dans le sens du poil pour des poils différents. Mais je me suis tout de même souvent demandé comment ils ont pu se payer une radio qui émet à cinquante mille watts.

— Dons des fidèles ? »

Elle eut un petit reniflement. « Je devrais peut-être poser la question à Jim Rennie. Il y est diacre. »

Julia roulait dans une pimpante Prius Hybrid, un choix de véhicule qui étonnait de la part d’une républicaine affirmée, propriétaire d’un journal (mais, supposa Barbie, la Prius convenait peut-être assez bien à une paroissienne de la première église congrégationaliste, dite la Congo). La voiture roulait en silence, radio branchée. Le seul problème était que WCIK émettait un signal si puissant, de ce côté-ci de la ville, qu’il effaçait toutes les autres stations de la bande FM. Et ce soir, la station diffusait il ne savait quelle sainte connerie jouée à l’accordéon qui lui donnait mal à la tête. On aurait dit des polkas massacrées par un orchestre se mourant de la peste bubonique.

« Essayez la bande AM, voulez-vous ? » demanda-t-elle.

Ce qu’il fit, mais il tomba sur les habituels baratineurs nocturnes avant de trouver une station de sport, près de la fin de la bande passante. On y racontait qu’avant le match entre les Red Sox et les Mariners, à Fenway Park, tout le monde avait observé une minute de silence à la mémoire des victimes de ce que le présentateur appela « l’événement du Maine occidental ».

« L’événement, reprit Julia. Typique du vocabulaire des commentateurs sportifs. Autant arrêter ça. »

À un ou deux kilomètres de l’église, ils commencèrent à voir les premières lueurs entre les arbres. Et en débouchant d’un virage, ils furent inondés de lumière par des projecteurs presque aussi imposants que ceux de la défense antiaérienne. Deux pointaient dans leur direction ; deux autres étaient braqués à la verticale. Le moindre nid-de-poule de la route ressortait de manière démesurée. Les troncs des bouleaux faisaient penser à des spectres efflanqués. Barbie avait l’impression de se retrouver dans un film noir des années 1940.

« Stop, stop, stop ! dit-il. Il vaut mieux ne pas s’approcher davantage. On dirait qu’il n’y a rien en face de nous, mais croyez-moi sur parole, il y a quelque chose. Ça bousillerait toute l’électronique de votre petite voiture, pour commencer. »

Elle s’arrêta et ils descendirent. Ils restèrent un moment devant la Prius, plissant les yeux tant la lumière était puissante. Julia leva une main en visière.

Au-delà des lumières, garés nez à nez, on devinait deux camions militaires bâchés. On avait disposé en travers de la chaussée, pour faire bonne mesure, des chevaux de frise calés par des sacs de sable. Des moteurs tournaient sur un mode régulier dans la pénombre — pas un générateur, mais plusieurs. Barbie vit des câbles électriques serpenter depuis les projecteurs jusque dans les bois, où d’autres lumières brillaient entre les arbres.

« Ils vont éclairer tout le périmètre », dit-il en faisant tourner un doigt en l’air, tel un arbitre de baseball signalant un point marqué. Il va y avoir des lumières tout autour du territoire de Chester’s Mill, braquées sur nous et braquées vers le ciel.

— Vers le ciel ? Pourquoi ?

— Pour le trafic aérien, si jamais un appareil s’aventurait jusqu’ici. Je crois que c’est surtout pour cette nuit qu’ils sont inquiets. Dès demain, tout l’espace aérien au-dessus de Chester’s Mill sera aussi hermétique que les sacs d’argent d’Oncle Picsou. »

Dans la pénombre qui régnait derrière les projecteurs, mais visibles grâce à leur réfraction, se tenaient une demi-douzaine de soldats l’arme au pied, en position de repos, leur tournant le dos. Ils avaient dû entendre arriver la voiture, aussi silencieuse qu’elle fût, mais pas un seul ne se retourna.

Julia les interpella :

« Hé, les gars ! »

Aucun ne bougea. Barbie ne s’attendait pas à ça. En chemin, Julia lui avait rapporté ce que lui avait dit Cox, mais il fallait tout de même essayer. Et comme il distinguait leurs insignes, il savait comment il devait s’y prendre. C’était peut-être l’armée qui avait la responsabilité du spectacle (ce que suggérait la participation de Cox) mais ces gaillards-là n’appartenaient pas à l’armée.

« Hé, les marines ! » lança-t-il à son tour.

Rien. Barbie s’avança un peu plus. Il vit une ligne horizontale noire suspendue en l’air, mais l’ignora pour le moment. Il était plus intéressé par les hommes en faction devant la barrière. Le Dôme, plutôt. Shumway avait dit que Cox l’appelait le Dôme.

« Hé, les gars des forces de reconnaissance, quelle surprise de vous voir sur le territoire national, dit-il en se rapprochant. Est-ce qu’il serait par hasard réglé, votre petit problème en Afghanistan ? »

Rien. Il fit deux pas de plus. Le crissement des gravillons, sous ses chaussures, lui parut amplifié.

« C’est fou le nombre de gonzesses qu’on trouve dans les forces de reconnaissance — c’est du moins ce que j’ai entendu dire. C’est un soulagement, en vérité. Si la situation avait été vraiment mauvaise, on nous aurait envoyé les Rangers.

— Cause toujours », marmonna l’un d’eux.

Ce n’était pas grand-chose, mais Barbie se sentit encouragé. « Vous énervez pas, les gars. Vous énervez pas et parlons tranquillement de tout ça. »

Rien, une fois de plus. Et il se tenait aussi près de la barrière (ou du Dôme) qu’il osait s’en approcher. La chair de poule ne lui hérissa pas la peau et ses cheveux ne se dressèrent pas sur sa nuque, mais il savait que la chose était là. Il la sentait.

De plus, il était possible de la visualiser : la bande noire suspendue en l’air. Il ne savait pas de quelle couleur elle serait à la lumière du jour, mais il aurait penché pour le rouge, la couleur du danger. Elle était peinte à la bombe, et il aurait parié toutes ses économies à la banque (qui s’élevaient à un peu plus de cinq mille dollars) qu’elle faisait tout le tour de la barrière.

Comme une rayure horizontale sur une manche de chemise, songea-t-il.

Il ferma son poing et cogna de son côté de la bande, produisant un bruit d’articulations contre du verre, comme la première fois. L’un des marines sursauta.

« Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne… », commença Julia.

Barbie l’ignora. Il sentait la colère monter. Il y avait en lui quelque chose qui avait attendu de se mettre en colère depuis le début de la journée, et voici que l’occasion se présentait. Il savait que ça ne servirait à rien de s’en prendre à ces types — ils n’étaient que des hallebardiers — mais c’était dur de ne pas relâcher un peu la soupape. « Hé, les marines ! Donnez donc un coup de main à un frère.

— Va donc, branleur ! »

Celui qui avait répondu ne s’était pas tourné, mais Barbie comprit qu’il s’agissait du chef de ce joyeux petit détachement. Il avait reconnu le ton. Il l’avait lui-même employé. Souvent. « Nous avons nos ordres, alors c’est toi qui nous donnes un coup de main. Ailleurs, un autre jour, je demanderais pas mieux que te payer une bière ou te botter les fesses. Mais pas ici, pas ce soir. Qu’est-ce que t’en dis ?