« … dont la spécialité en Irak était de repérer les usines de bombes d’al-Qaida. De les repérer et de les fermer. »
Bon. En gros, rien qu’un générateur de plus. Il pensa à tous ceux devant lesquels Julia et lui étaient passés, rien que pour venir ici, ronronnant dans l’obscurité pour produire chaleur et électricité. Consommant pour cela du propane. Il prit soudain conscience que le propane et les batteries, encore plus que la nourriture, allaient devenir le nouvel étalon-or de Chester’s Mill. Une chose était certaine : les gens allaient brûler du bois. Bois dur, résineux, bois de récup. Et rien à foutre des cancérigènes.
« Ce truc n’aura rien à voir avec les générateurs qui tournent ce soir dans votre petit paradis, reprit Cox. L’engin capable de produire ça… nous n’avons aucune idée de ce à quoi il peut ressembler, ou de qui pourrait construire un truc pareil.
— Mais l’Oncle Sam aimerait bien mettre la main dessus », dit Barbie. Il serrait tellement fort le téléphone qu’il était sur le point de le broyer. « En réalité, c’est ça la priorité, n’est-ce pas, colonel ? Vu qu’une pareille machine pourrait changer le monde. Les habitants de ce patelin — leur sort est strictement secondaire. Rien que des dommages collatéraux.
— Oh, ne soyez pas aussi mélodramatique, répliqua Cox. Sur ce point, nos intérêts coïncident. Trouvez le générateur, s’il en existe un. Trouvez-le de la même manière que vous trouviez les usines de bombes et arrêtez-le. Problème résolu.
— S’il y en a un.
— S’il y en a un, exact. Allez-vous essayer ?
— J’ai le choix ?
— Pas que je sache, mais je suis militaire de carrière. Pour nous, le libre arbitre n’est pas de mise.
— Ken, c’est une mission foutrement pourrie. »
Cox mit du temps à répondre. En dépit du silence qui régnait sur la ligne (exception faite d’un léger bourdonnement aigu, signifiant peut-être que la conversation était enregistrée), Barbie l’entendait presque réfléchir. « C’est vrai, dit finalement le colonel, mais c’est toi qui auras la part belle, ma garce. »
Barbie se mit à rire. Il ne put s’en empêcher.
3
Sur le chemin du retour, alors qu’ils passaient devant la masse sombre de l’église du Christ-Rédempteur, il se tourna vers Julia Shumway. Dans l’éclairage du tableau de bord, elle paraissait fatiguée et soucieuse.
« Je ne vais pas vous demander le silence sur tout ça, dit-il, mais je pense qu’il y a une chose que vous ne devriez pas publier.
— L’histoire du générateur qui est ou n’est pas dans Chester’s Mill. »
Sa main gauche quitta le volant et alla caresser la tête d’Horace, à l’arrière, pour le rassurer.
« Oui.
— Parce que s’il existe un générateur qui produit le champ qui crée ce que votre colonel appelle le Dôme, il y a alors quelqu’un qui le fait fonctionner. Quelqu’un ici.
— Cox ne l’a pas dit, mais je suis sûr que c’est ce qu’il pense.
— Je n’en parlerai pas. Et je n’enverrai pas mes photos par Internet.
— Bien.
— Elles paraîtront de toute façon en primeur dans The Democrat, bon Dieu. » Julia continua à caresser son chien. Les gens qui conduisaient d’une main avaient tendance à rendre Barbie nerveux, mais pas ce soir. Ils avaient le chemin de Little Bitch et la 119 pour eux tout seuls. « De plus, j’estime que, parfois, le bien général est plus important qu’un article retentissant. Contrairement au New York Times.
— Et toc.
— Et si vous trouvez le générateur, je n’aurai pas besoin d’aller faire trop longtemps mes courses au Food Center. Je déteste ce supermarché. » Elle parut soudain prise de court. « Vous croyez qu’il sera ouvert, demain ?
— Je dirais que oui. Les gens peuvent mettre un certain temps à comprendre toutes les implications de cette nouvelle situation.
— Je crois que je serais bien inspirée en faisant quelque courses dominicales, dit-elle, songeuse.
— Donnez le bonjour de ma part à Rose Twitchell. Elle aura probablement son fidèle Anson Wheeler en remorque. » Se souvenant du conseil qu’il avait donné à Rose un peu plus tôt, il se mit à rire et dit : « De la viande, de la viande, de la viande.
— Pardon ?
— Si vous avez un générateur dans votre maison…
— Évidemment, j’habite au-dessus du journal. Ce n’est pas une maison, seulement un appartement, mais il est superbe. J’ai pu déduire le générateur de mes impôts, ajouta-t-elle avec fierté.
— Alors, achetez de la viande. De la viande et des conserves, des conserves et de la viande. »
Cela la fit réfléchir. Ils approchaient du centre de l’agglomération. Il y avait beaucoup moins de lumières que d’ordinaire, mais il en restait encore pas mal. Pour combien de temps ? s’interrogea Barbie. Sur quoi Julia lui demanda : « Est-ce que votre colonel vous a donné une idée sur la manière de mettre la main sur ce générateur ?
— Non. Trouver ce genre de conneries était mon boulot, autrefois. Il le sait. » Il se tut un instant. « Pensez-vous que nous pourrions dégoter un compteur Geiger dans Chester’s Mill ?
— Je sais où il y en a un. Dans le sous-sol de l’hôtel de ville. Dans le deuxième sous-sol, pour être précise. Il y a un abri antiatomique là-dessous.
— Sans déconner ! »
Elle rit. « Sans déconner, Sherlock. J’ai même fait un article dessus, il y a trois ans. Pete Freeman a pris les photos. Dans le sous-sol, on trouve une grande salle de conférences et une petite cuisine. La demi-volée de marches qui descend dans l’abri part de la cuisine. Il est d’assez belle taille. Il a été construit dans les années 1950, quand on consacrait tout notre fric à trouver le moyen de faire sauter la planète.
— On the Beach, dit Barbie.
— Ouais, faut voir ça — on se croirait plutôt dans Alas Babylon[9]. C’est plutôt déprimant. Les photos de Pete faisaient penser au bunker du Führer peu de temps avant la fin. Il y a une sorte de réserve — des étagères et des étagères de conserves — et une demi-douzaine de couchettes. Ainsi que du matériel fourni par le gouvernement. Dont un compteur Geiger.
— Les trucs en boîte doivent être délicieux, au bout d’un demi-siècle.
— En fait, les conserves sont remplacées régulièrement. On a même ajouté un petit générateur après le 11 Septembre. Si vous consultez le rapport des comptes de la ville, vous verrez une dotation pour l’abri tous les quatre ans, quelque chose comme ça. Elle se montait autrefois à trois cents dollars. Elle est de six cents aujourd’hui. Vous l’avez, votre compteur Geiger. » Elle lui jeta un bref coup d’œil. « Bien entendu, James Rennie considère que tout ce qui se trouve dans l’hôtel de ville, du grenier au deuxième sous-sol, est sa propriété personnelle et il va donc vouloir savoir pourquoi vous en avez besoin.
— Big Jim Rennie ne sera pas mis au courant… »
Elle accepta cela sans faire de commentaire. « Voulez-vous venir avec moi au bureau ? Pour regarder le discours du Président pendant que je commence à composer le journal ? Le boulot va être fait à la va-vite, je peux vous le dire. Juste un article, une demi-douzaine de photos pour la consommation locale et pas de pub pour les soldes d’automne au Burpee’s. »
Barbie réfléchit à la proposition. Il serait occupé, demain, et pas seulement en cuisine ; il aurait des questions à poser. Il allait reprendre le bon vieux collier, revenir à son ancien boulot. Par ailleurs, s’il retournait chez lui, au-dessus de la pharmacie, arriverait-il à dormir ?
9
Allusion aux livres postapocalyptiques de Nevile Shute (« Sur la plage ») traduit sous le titre