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Pendant quelques instants encore, Janelle ne fut pas totalement là, même si ses yeux bougeaient et qu’elle le voyait et l’entendait, il s’en rendait bien compte. « Il faut arrêter Halloween, papa ! Il faut que tu arrêtes Halloween !

— D’accord, ma chérie, je vais l’arrêter. Halloween, c’est terminé. Complètement. »

Elle cilla, puis leva une main pour repousser la masse de cheveux, collés par la sueur, qui retombait sur son front. « Quoi ? Pourquoi ? J’allais être la princesse Leia ! Pourquoi il faut que tout tourne mal dans ma vie ? » Elle se mit à pleurer.

Linda s’approcha — Judy accrochée à elle par la robe de chambre — et prit Janelle dans ses bras. « Tu peux toujours devenir la princesse Leia, mon amour. Je te le promets. »

La fillette regarda ses parents, tout d’abord l’air étonné, soupçonneux, puis comme prise d’une peur croissante. « Qu’est-ce que vous faites ici ? Et pourquoi elle est debout ? ajouta-t-elle avec un geste vers sa petite sœur.

— T’as fait pipi au lit », dit Judy d’un ton suffisant qui donna envie à Rusty de la gifler.

Il se considérait en règle générale comme un père éclairé (en particulier s’il se comparait à ceux qu’il voyait se couler en rasant les murs dans le centre de santé, avec leur gosse au bras cassé ou à l’œil au beurre noir), mais pas ce soir.

« Ça ne fait rien, dit Rusty en prenant Janelle dans ses bras. Ce n’est pas ta faute. Tu as eu un petit problème, mais c’est terminé maintenant.

— Il va falloir qu’elle aille à l’hôpital ? demanda Linda.

— Non, seulement au centre, et pas ce soir. Demain matin. Je vais arranger ça avec le bon médicament.

— JE VEUX PAS DE PIQÛRE ! » hurla Janelle en se mettant à pleurer plus fort que jamais.

Voilà qui fit plaisir à Rusty. C’était un bruit qui respirait la santé. Puissant.

« Mais non, pas de piqûre, mon cœur. Juste des pilules.

— Tu es sûr ? » demanda Linda.

Rusty regarda leur chienne, à présent tranquillement allongée le museau sur la patte, oublieuse du drame.

« Audrey en est sûre, elle, en tout cas. Mais il vaut mieux qu’elle dorme ici ce soir, avec les filles.

— Ouais ! » s’écria Judy.

Elle se mit à genoux et serra Audrey dans ses bras de manière extravagante.

Rusty passa un bras autour des épaules de sa femme qui posa sa tête contre lui comme si elle était trop lourde et qu’elle ne pouvait plus la porter.

« Pourquoi maintenant ? demanda-t-elle. Pourquoi aujourd’hui ?

— Je ne sais pas. C’est déjà bien que ce ne soit que le petit mal. »

Sur ce point, ses prières avaient été entendues.

Folie, aveuglement, Cœur frappé de stupeur

1

Joe l’Épouvantail ne s’était levé ni tôt, ni tard : il était resté debout toute la nuit, en fait.

Joe l’Épouvantail, c’était Joseph McClatchey, treize ans, connu aussi sous le sobriquet de Super-neurones, ou encore de Skeletor, demeurant au 119 Mill Street. Mesurant un mètre quatre-vingt-six pour moins de soixante kilos, il était effectivement squelettique. Et question neurones, il était suréquipé. S’il restait en quatrième, c’était parce que ses parents étaient foncièrement opposés au principe de « sauter une classe ».

Joe s’en fichait. Ses amis (il en avait un nombre surprenant, pour un petit génie décharné de son âge) étaient là. Quant au boulot, c’était du gâteau et il y avait plein d’ordinateurs avec lesquels s’amuser ; dans le Maine, tous les lycéens en possédaient un. Certains des meilleurs sites web étaient bloqués, bien entendu, mais Joe n’avait pas mis longtemps à venir à bout d’inconvénients aussi mineurs. Il ne demandait qu’à partager l’information avec ses potes, notamment les deux intrépides rois de la planche de surf qu’étaient Norrie Calvert et Benny Drake (Benny aimait particulièrement surfer sur le site Blondes en Petites Culottes Blanches pendant ses passages quotidiens à la bibliothèque). Ce sens du partage expliquait sans doute en partie la popularité de Joe, mais pas entièrement ; les autres le trouvaient tout simplement cool. L’autocollant qu’il avait sur son sac à dos expliquait peut-être pourquoi : LUTTEZ CONTRE LES POUVOIRS INSTALLÉS.

Joe l’Épouvantail était un abonné aux meilleures notes, un joueur de basket brillant sur lequel on pouvait compter (dans l’équipe de l’université à treize ans !) et un joueur de football rusé comme un renard. Il n’était pas maladroit au piano et, deux ans auparavant, il avait remporté le second prix, lors de la compétition de Noël (« Les Talents de la Ville ») avec une parodie hilarante de danse sur la chanson de Gretchen Wilson, « Redneck Woman ». Les adultes qui y assistaient avaient applaudi et hurlé de rire. Lissa Jamieson, la responsable de la bibliothèque de la ville, prétendait qu’il aurait pu gagner sa vie à faire le clown comme ça s’il avait voulu, mais devenir un nerd style Napoleon Dynamite ne faisait pas partie des ambitions de Joe.

« Les dés étaient pipés », avait déclaré Sam McClatchey, tout en manipulant la médaille d’argent de son fils, la mine sombre. Il avait probablement raison ; le gagnant, cette année-là, avait été Dougie Twitchell — qui se trouvait être par hasard le frère de la troisième conseillère. Twitchell avait jonglé avec une demi-douzaine de gourdins indiens tout en chantant « Moon River ».

Joe se fichait que les dès eussent été pipés. Il avait perdu tout intérêt pour la danse comme il perdait tout intérêt pour une chose dès qu’il commençait à la maîtriser. Même son amour du basket, qu’il aurait cru éternel quand il avait dix ans, commençait à diminuer.

Seule sa passion pour Internet, la galaxie électronique des possibilités infinies, paraissait rester toujours aussi vive.

Son ambition secrète (qu’il n’avait jamais exprimée, même devant ses parents) était de devenir président des États-Unis. Peut-être que je ferai le numéro de Napoleon Dynamite le jour de mon inauguration, pensait-il parfois. Cette connerie resterait sur YouTube pour l’éternité.

Joe passa toute la nuit qui suivit l’installation du Dôme sur Internet. Les McClatchey n’avaient pas de générateur, mais la batterie de son portable était gonflée à bloc — sans compter qu’il en avait une demi-douzaine en réserve. Il avait incité les sept ou huit autres membres de son club informatique informel à avoir des pièces de rechange de côté et il savait où en trouver d’autres en cas de besoin. Ce ne serait peut-être pas la peine ; le lycée possédait un super-générateur et il pensait pouvoir y recharger ses batteries sans problème. Même si le lycée de Chester’s Mill était fermé, Mr Allnut, le concierge, le laisserait certainement se brancher. Mr Allnut était lui aussi grand amateur de blondesenculottesblanches.com. Sans parler des téléchargements de musique country qu’il pouvait faire gratos grâce à Joe l’Épouvantail.

Joe fit chauffer son Wi-Fi à blanc cette première nuit, sautant de blog en blog avec l’agilité fébrile d’une grenouille sur des rochers brûlants. Chaque blog était plus nul que le précédent. Les faits étaient bien minces, les théories de la conspiration foisonnaient. Joe était d’accord avec ses parents, quand ils appelaient les théoriciens du complot les plus illuminés « les types à la passoire sur la tête », mais il croyait aussi à l’idée que si l’on voyait du crottin partout, c’est qu’il y avait un poney pas loin.

Alors que le Jour du Dôme devenait le Deuxième Jour, tous les blogs suggéraient la même chose : le poney, dans ce cas-là, n’était ni les terroristes, ni les envahisseurs venus de l’espace, ni le Grand Cthulhu de Lovecraft, mais le bon vieux complexe militaro-industriel. Les détails variaient d’un site à l’autre, mais les analyses se ramenaient en fait à trois théories. La première voulait que le Dôme fût une expérience menée sans états d’âme, la population de Chester’s Mill servant de cobaye. La deuxième estimait que c’était une expérience, en effet, mais qu’elle avait mal tourné et était devenue incontrôlable (« exactement comme dans The Mist », avait écrit l’un des blogueurs). La troisième contestait que ce fût une expérience et affirmait qu’il s’agissait d’un prétexte créé de toutes pièces, froidement, pour justifier une guerre aux ennemis déclarés des États-Unis. « ET NOUS GAGNERONS ! écrivait ToldjaSo87. CAR AVEC CETTE NOUVELLE ARME, QUI PEUT S’OPPOSER À NOUS ? Mes amis, NOUS SOMMES DEVENUS LES NOUVEAUX PATRIOTES DES NATIONS ! ! ! ! »