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« Y’a intérêt à ce que ce fils de pute qui m’a coûté la peau des fesses marche bien, avait déclaré Alden en mâchouillant une tige d’herbe. Vu qu’j’me suis endetté jusqu’au cou pour lui. »

Il avait très bien marché. Il marchait encore bien, mais Ollie savait que cela ne durerait pas. L’incendie allait le dévorer comme il avait dévoré tout le reste. S’il lui restait encore une minute d’électricité, il serait le premier surpris.

Je ne serai peut-être même pas vivant dans une minute.

Au milieu du sol en béton encrassé se dressait le calibreur à pommes de terre — machine qui avait l’air d’un antique instrument de torture avec ses courroies, ses chaînes et ses engrenages. Derrière, s’élevait une imposante pile de patates. La saison avait été bonne et les Dinsmore avaient terminé leur récolte trois jours avant l’arrivée du Dôme. En temps normal, Alden Dinsmore et ses fils auraient procédé au calibrage pendant tout le mois de novembre avant d’aller vendre leur stock à la coopérative agricole de Castle Rock et à divers stands de bord de route à Motton, Harlow et Tarker’s Mill. Elles ne rapporteraient pas un sou, cette année. Mais Ollie pensait qu’elles pouvaient peut-être lui sauver la vie.

Il courut jusqu’à la pile ; là, il prit le temps d’examiner les deux bouteilles d’oxygène. D’après les cadrans, la première était à moitié vide ; en revanche, l’aiguille de celle prise dans le garage était entièrement dans le vert. Il laissa tomber celle à moitié vide sur le béton et brancha le masque sur l’autre. Geste qu’il avait souvent fait, quand papi Tom était encore vivant ; ce fut l’affaire de quelques secondes.

À l’instant même où il se passait le masque autour du cou, les lumière s’éteignirent.

L’air devenait plus chaud. Il se mit à genoux et commença à s’enfouir sous la fraîche pesanteur des pommes de terre, poussant des pieds, protégeant la longue bouteille d’oxygène de son corps et la tirant à lui avec une seule main. Avec l’autre, il faisait des gestes maladroits rappelant ceux de la natation.

Il y eut une avalanche de pommes de terre derrière lui et il dut lutter contre une envie panique de ressortir. C’était comme être enterré vivant, et d’avoir conscience que c’était ça ou une mort assurée ne l’aidait pas beaucoup. Il haletait, toussait et avait l’impression de respirer autant de poussière de patate que d’air. Il enfila le masque à oxygène et… rien.

Il tâtonna pour trouver la valve de la bouteille pendant un temps fou ; son cœur cognait contre sa cage thoracique, tel un animal captif. Des fleurs rouges commencèrent à se déployer dans l’obscurité, derrière ses yeux. Le poids des légumes froids l’écrasait. Il avait été cinglé de faire ça, aussi cinglé que Rory quand il avait tiré un coup de fusil sur le Dôme, et il allait payer l’addition. Il allait mourir.

Puis ses doigts trouvèrent finalement le petit robinet. Il refusa tout d’abord de bouger — et Ollie se rendit compte qu’il le tournait dans le mauvais sens. Il se reprit et une bouffée d’air frais et bienfaisant envahit le masque.

Ollie resta sous les pommes de terre, la respiration haletante. Il tressaillit légèrement lorsque l’incendie fit sauter la porte, en haut des marches. Un instant, il vit le berceau crasseux dans lequel il gisait. Il faisait de plus en plus chaud, et il se demanda si la bouteille à demi vide qu’il avait abandonnée n’allait pas exploser. Il se demanda aussi combien de temps supplémentaire allait lui procurer la pleine, et si le jeu en valait la chandelle.

Mais ça, c’était sa tête. Son corps n’avait qu’un impératif, vivre. Le garçon se remit à ramper un peu plus loin sous la pile de pommes de terre, tirant la bouteille avec lui, réajustant le masque chaque fois qu’il se déplaçait.

3

Si les preneurs de paris de Las Vegas avaient dû estimer les chances de survie des habitants de Chester’s Mill lors de la catastrophe de la Journée des Visiteurs, ils auraient joué celles de Sam Verdreaux à mille contre un. Mais on a vu réussir des coups encore plus improbables — raison pour laquelle les joueurs reviennent invariablement aux tables —, et Sam était la silhouette que Julia avait repérée, celle qui remontait péniblement Black Ridge Road, juste avant que le groupe des expatriés ne reparte vers la ferme et les véhicules.

Sam le Poivrot, le Heat Man en Boîte[20], était en vie pour la même raison qu’Ollie : il avait de l’oxygène.

Quatre ans auparavant, il avait été voir le Dr Haskell (le Sorcier — vous vous rappelez ?). Sam ayant expliqué qu’il avait tout le temps l’impression d’être hors d’haleine depuis quelque temps, le Dr Haskell avait écouté la respiration sibilante du vieil ivrogne et lui avait demandé ce qu’il fumait.

« Eh bien, avait répondu Sam, dans les quatre paquets par jour quand j’étais dans les bois, mais maintenant que je touche l’aide sociale pour invalidité, j’ai un peu diminué. »

Le Dr Haskell avait voulu savoir ce que cela signifiait en termes de consommation réelle. Sam l’avait évaluée à environ deux paquets par jour. « Des American Iggles. Avant, je fumais des Chesterfades, mais il n’y en a plus qu’avec filtre, expliqua-t-il. Et elles sont chères. Les Iggles coûtent moins et on peut enlever le filtre. Rien de plus facile. » Sur quoi, il s’était mis à tousser.

Le Dr Haskell ne lui trouva pas de cancer du poumon (il en fut surpris), mais la radio paraissait indiquer un sacré beau cas d’emphysème et il dit à Sam qu’il allait probablement avoir besoin d’oxygène jusqu’à la fin de sa vie. Diagnostic erroné, mais faut pas trop en vouloir au toubib. Comme disent les médecins, quand on entend un bruit de sabots, on ne pense pas forcément à un zèbre. Sans compter que les gens ont tendance à voir ce qu’ils cherchent, non ? Et même si le Dr Haskell est mort en quelque sorte en héros, personne, y compris Rusty Everett, ne l’a jamais pris pour Gregory House — vous savez, le toubib de la série télé. En réalité, Sam souffrait d’une bonne bronchite, et celle-ci guérit peu de temps après le diagnostic du Sorcier.

Mais voilà, Sam avait entre-temps fait le nécessaire pour recevoir sa bouteille d’oxygène chaque semaine. Elle lui était livrée par Castles in the Air (société basée à Castle Rock, évidemment), service qu’il n’avait jamais annulé. Et pourquoi l’aurait-il fait ? Comme son traitement pour l’hypertension, l’oxygène était aux frais de ce qu’il appelait LA MÉDICALE. Sam ne comprenait pas très bien le fonctionnement de LA MÉDICALE, mais comprenait parfaitement que l’oxygène ne lui coûtait rien ; et il avait découvert que rien ne le remettait autant en forme que de s’envoyer un peu d’oxygène pur.

Cependant, il se passait parfois des semaines avant que l’idée lui vienne d’aller rendre visite à l’espèce de cabanon minable qu’il appelait « le bar à oxy ». Puis, lorsque les types de Castles in the Air venaient récupérer les bouteilles vides (mais la ponctualité n’était pas leur fort), Sam allait à son bar à oxy, ouvrait les valves, vidait les bouteilles, les empilait dans l’ancien petit chariot rouge de son fils et tirait le jouet jusqu’au camion bleu décoré de bulles d’air.

S’il avait encore habité du côté de Little Bitch Road, site de l’ancienne maison des Verdreaux, il aurait grillé vif (comme ce fut le cas pour Marta Edmunds) dans les minutes ayant suivi l’explosion initiale. Mais ce domicile et le terrain boisé qui l’entourait avaient fait l’objet d’une saisie par le fisc, les impôts n’ayant pas été payés depuis longtemps (et avaient été rachetés en 2008 par l’une des sociétés-écrans de Jim Rennie… à un prix dérisoire). La petite sœur de Sam possédait toutefois un bout de terrain du côté de God Creek et c’était là qu’il résidait le jour où le monde avait explosé. La baraque ne valait pas grand-chose et il devait aller faire ses petites affaires dans une cabane, à l’extérieur (la seule eau courante était celle fournie par la pompe à main, dans la cuisine), mais là, au moins, les impôts étaient payés — p’tite sœur y veillait — et il avait LA MÉDICALE.

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20

Jeu de mots sur « Heat Man » (l’homme brûlant), groupe de rock.