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Barbie lui rendit son sourire. « Tout le plaisir a été pour moi, croyez-moi.

— Et la bombe atomique miniature qu’ils vont essayer dimanche ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

— Je n’en pense rien. Je me contente d’espérer.

— Mais quelles sont les chances, d’après vous ? »

Il n’avait pas envie de lui dire le fond de sa pensée, mais elle méritait de savoir… « En se fondant sur tout ce qui est arrivé jusqu’ici et sur le peu que nous savons des créatures qui contrôlent la boîte, faibles, à mon avis.

— Dites-moi au moins que vous n’avez pas renoncé.

— Cela, je peux le faire. Je ne suis même pas aussi terrifié que je devrais l’être. Parce que c’est… insidieux, je crois. J’ai même fini par m’habituer à la puanteur.

— Vraiment ? »

Il rit. « Non. Et vous ? Vous avez peur ?

— Oui, mais je suis triste, avant tout. Voilà la façon dont le monde finit, non pas avec un grand bang ! mais avec un pouf ! foireux. »

Elle toussa, le poing contre la bouche. Barbie en entendait d’autres qui faisaient pareil. L’un d’eux devait être le petit garçon de Thurston Marshall. On lui donnera quelque chose de mieux demain matin, pensa Barbie ; puis il se souvint de la formule de Thurston : des bouffées d’air rationnées. Ce n’était pas une façon de respirer pour un gosse, ça.

Une façon de respirer pour personne.

Julia cracha dans l’herbe, puis se tourna de nouveau vers Barbie. « Je n’arrive pas à croire que nous nous soyons fait un truc pareil nous-mêmes. Les choses qui contrôlent la boîte — ce que vous appelez les têtes de cuir — ont créé la situation, mais il s’agit apparemment d’une bande de gosses qui s’amusent. C’est peut-être pour eux l’équivalent d’un jeu vidéo. Ils sont à l’extérieur. Nous, nous sommes dedans, et nous nous sommes fait ce truc nous-mêmes.

— On a assez de problèmes sur les bras sans en plus devoir battre notre coulpe, lui fit remarquer Barbie. S’il y a un responsable, c’est Rennie. C’est lui qui a monté le labo de drogue, c’est lui qui s’est mis à piquer le propane partout dans la ville. Et c’est aussi lui, j’en suis convaincu, qui a envoyé des hommes là-bas et provoqué une sorte de confrontation.

— Oui, mais qui l’a élu ? demanda Julia. Qui lui a donné le pouvoir de faire toutes ces choses ?

— Pas vous, en tout cas. Votre journal a fait campagne contre lui.

— C’est vrai, admit-elle, mais seulement depuis huit ou neuf ans. Au début, The Democrat — moi, en d’autres termes — croyait qu’il était la plus belle invention depuis le pain prétranché. Le temps que je découvre sa vraie nature, il était solidement installé. Et il avait ce pauvre vieux crétin de Sanders, avec son éternel sourire collé sur la figure, pour prendre les coups à sa place.

— N’empêche, vous ne pouvez pas vous reprocher…

— Si, je le fais. Si j’avais su que ce fils de pute, ce concentré d’incompétence et d’entêtement, deviendrait un jour responsable de la ville pendant une vraie crise, je l’aurais… je l’aurais… je l’aurais noyé comme un chaton dans un sac. »

Il rit, et se mit lui aussi à tousser. « Plus ça va, moins vous paraissez républi… » Il s’interrompit soudain.

« Quoi ? » demanda-t-elle. Et elle l’entendit à son tour. Quelque chose qui grinçait et ferraillait dans l’obscurité. Ça se rapprochait, et ils virent une silhouette titubante qui tirait un petit chariot d’enfant.

« Qui va là ? » lança Dougie Twitchell.

Le nouvel arrivant répondit d’une voix légèrement étouffée. Par le masque qu’il avait sur le visage, découvrit-on rapidement.

« Eh bien, merci mon Dieu, dit Sam le Poivrot. J’me suis payé une petit’ sieste sur le bord d’la route, et je croyais bien qu’j’aurais plus d’air le temps d’arriver ici. Et il était temps, vu que j’suis presque à sec. »

6

En ces premières heures du samedi matin, le camp installé par l’armée sur la 119 à Motton avait un air lugubre. Il n’y restait que trois douzaines de militaires et un hélicoptère Chinook. Une partie des hommes chargeaient les grandes tentes démontées, ainsi que les quelques ventilateurs Aid Max dépêchés par Cox côté sud du Dôme, tout de suite après l’explosion. Ces ventilateurs n’avaient jamais été mis en service. Le temps qu’ils arrivent, il n’y avait plus personne pour tirer profit du peu d’air qu’ils auraient pu pousser à travers la barrière. L’incendie s’était éteint vers dix-huit heures, faute de combustible et d’oxygène, mais tout ceux qui étaient du côté Chester’s Mill étaient morts.

Une autre escouade s’occupait de démonter et rouler la tente médicale. Ceux qui n’étaient pas affectés à cette tâche assuraient la corvée (corvée aussi vieille que l’armée) du nettoyage des abords. Cela n’avait rien d’exaltant, mais personne ne s’en plaignait. Rien n’aurait pu leur faire oublier le cauchemar auquel ils avaient assisté en direct la veille, mais ramasser les emballages, les canettes, les bouteilles et les mégots de cigarette les aidait un peu. L’aube n’allait pas tarder, les rotors du gros Chinook se mettraient à tourner et ils grimperaient à bord pour aller ailleurs. Les membres de cette équipe de bras cassés n’avaient d’ailleurs qu’une envie, ficher le camp d’ici au plus vite.

L’un d’eux était le soldat de deuxième classe Clint Ames, natif de Hickory Grove, Caroline du Sud. Un grand sac-poubelle à la main, il se déplaçait lentement au milieu des herbes écrasées, ramassant ici et là, de temps en temps, un panneau abandonné ou une canette de Coca aplatie afin que cette peau de vache de sergent Groh le voie occupé à son travail, si jamais il regardait vers lui. Il dormait encore debout, ou presque, si bien que lorsque les coups lui parvinrent, la première fois (on aurait dit qu’on frappait du Pyrex épais avec une articulation), il crut qu’il rêvait encore. Il ne pouvait s’agir que d’un rêve, puisque le bruit lui parvenait apparemment de l’autre côté du Dôme.

Il bâilla et s’étira, une main appuyée sur les reins. À cet instant, les coups reprirent. Ils provenaient vraiment de derrière la surface noircie du Dôme.

Puis il y eut une voix. Faible, désincarnée, une voix de fantôme. Il frissonna.

« Il y a quelqu’un ? Quelqu’un m’entend ? Je vous en prie… je vais mourir. »

Seigneur ! Ne connaissait-il pas cette voix ? Ames laissa tomber son sac-poubelle et courut jusqu’au Dôme. Il mit les mains contre sa surface noircie et encore chaude. « Le p’tit cow-boy ? C’est toi ? »

Je suis cinglé, pensa-t-il. Ce n’est pas possible. Personne n’a pu survivre à un tel incendie.

« AMES ! vociféra le sergent Groh. Qu’est-ce que vous foutez là-bas ? »

Il était sur le point de faire demi-tour lorsque la voix, derrière la surface calcinée, se fit de nouveau entendre : « C’est moi. Ne… » il y eut une quinte de toux rauque, hachée. « Ne partez pas. Si vous êtes là, soldat Ames, partez pas. »

Une main apparut. Aussi fantomatique que la voix, les doigts maculés de suie. Elle nettoyait un espace, sur le Dôme. Un instant plus tard, un visage se profila dans la petite fenêtre. Sur le coup, le soldat Ames ne reconnut pas le gosse aux vaches. Puis il comprit que le gamin portait un masque à oxygène.

« J’ai presque plus d’air, dit le gosse aux vaches. L’aiguille est dans le rouge. Depuis… depuis une demi-heure. »

Ames ne pouvait détacher les yeux du regard hanté du gosse aux vaches, et le gosse aux vaches lui rendait son regard. Puis il n’y eut plus qu’une idée dans l’esprit du soldat Ames : il ne pouvait laisser mourir ce gamin. Pas après tout ce à quoi il avait survécu… même si Ames n’arrivait pas à imaginer comment il avait pu y survivre.