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— Vous pouvez conduire pendant que je regarde ? demanda Sammy.

— Sûr. »

Alden reprit le volant. Le camion se mit à rouler un peu plus vite et un peu plus droit, même s’il chevauchait plus ou moins la ligne blanche.

Sur la photo aux couleurs délavées, on voyait un jeune garçon et un vieil homme enlacés. Le vieil homme portait une casquette des Red Sox et un masque à oxygène. Un grand sourire s’étalait sur le visage du garçon. « C’est un beau garçon, monsieur, dit Sammy.

— Ouais, superbe. Et intelligent, avec ça. »

Alden laissa échapper un braiment de douleur sans larmes. On aurait vraiment dit un âne. Des postillons volèrent de ses lèvres. Le camion obliqua vers le fossé, puis revint sur la chaussée.

« Moi aussi, j’ai un beau petit garçon », dit Sammy. Elle se mit à pleurer. « Je vais l’embrasser quand je vais le voir. L’embrasser une fois de plus.

— Tu vas l’embrasser, dit Alden.

— Oui.

— Tu vas l’embrasser et le serrer dans tes bras, hein ?

— Oui, monsieur, c’est ça.

— J’embrasserais bien mon p’tit gars, si je pouvais. J’embrasserais sa joue froide-froide.

— Je suis sûre que vous le feriez, monsieur.

— Mais on l’a enterré. Ce matin. Sur place.

— Je suis tellement désolée pour vous.

— Prends une autre bière.

— Merci. »

Elle prit une nouvelle bière. Elle commençait à se sentir ivre. C’était délicieux.

Et c’est ainsi qu’ils progressèrent, tandis que les étoiles roses devenaient plus brillantes, au-dessus d’eux, qu’elles clignotaient, mais ne tombaient pas : pas de pluie d’étoiles filantes, ce soir. Ils passèrent devant le mobile home de Sammy, où elle ne retournerait jamais, sans ralentir.

17

Il était environ huit heures moins le quart lorsque Rose Twitchell frappa à la porte du Democrat. Julia, Pete et Tony, installés à une grande table, brochaient des exemplaires de la dernière édition en quatre pages du journal. Pete et Tony les assemblaient, Julia les agrafait et les ajoutait à la pile.

Quand elle vit Rose, Julia lui fit signe d’entrer d’un geste énergique. Rose poussa la porte, puis tituba légèrement. « Fichtre, il fait une chaleur à crever, ici.

— On a coupé la clim pour économiser le jus, dit Pete Freeman. Sans compter que la photocopieuse chauffe quand on la sollicite trop. Ce qui a été le cas ce soir. »

Néanmoins, il paraissait fier. Rose trouva qu’ils avaient tous les trois l’air fiers.

« J’aurais cru que vous seriez débordée au restaurant, fit remarquer Tony.

— Tout le contraire. On aurait pu chasser le cerf là-dedans, ce soir. Je crois que beaucoup de gens n’ont pas eu envie de me regarder en face depuis que mon cuisinier a été arrêté pour meurtre. Et que beaucoup de gens n’ont pas eu envie de se regarder les uns les autres après ce qui s’est passé à Food City ce matin.

— Approchez-vous et prenez un exemplaire, dit Julia. Vous êtes en couverture, Rose. »

En haut de page, en rouge, on lisait : CRISE : LIBÉREZ LE DÔME — ÉDITION GRATUITE. Et en dessous, en caractères de corps seize qu’elle n’avait jamais utilisés avant ce jour :

ÉMEUTE ET MEURTRES AGGRAVENT LA CRISE

La photo représentait Rose. De profil, le porte-voix à la bouche. Une mèche de cheveux retombait sur son front et elle était extraordinairement belle. À l’arrière-plan, on voyait l’allée des jus de fruits et des pâtes ; plusieurs bouteilles de ce qui semblait être de la sauce pour spaghettis étaient écrasées sur le sol. La légende disait : Rose Twitchell, propriétaire du Sweetbriar Rose, met fin à une émeute alimentaire avec l’aide de Dale Barbara, qui vient d’être arrêté pour meurtre (voir article ci-dessous et éditorial, p. 4).

« Sainte mère de Dieu, s’exclama Rose, Eh bien… En tout cas, vous m’avez prise sous mon bon profil. Si du moins j’en ai un.

— Rose, dit Tony Guay d’un ton des plus sérieux, vous ressemblez à Michelle Pfeiffer. »

Rose émit un petit reniflement et lui fit un doigt d’honneur. Elle attaquait déjà l’éditorial.

AUJOURD’HUI LA PANIQUE, PLUS TARD LE SCANDALE
par Julia Shumway

Dale Barbara n’est pas connu de tous à Chester’s Mill, car il n’est arrivé que récemment dans notre ville ; mais la plupart de nos concitoyens ont pu déguster sa cuisine au Sweetbriar Rose. Ceux qui le connaissent auraient dit, avant aujourd’hui, qu’il constituait un réel enrichissement pour notre communauté, prenant son tour pour arbitrer les parties de softball en juillet et août, s’occupant de la récupération des ouvrages scolaires pour la rentrée de septembre ; il y a encore deux semaines, il a participé à l’opérationville propre.

Et soudain, aujourd’hui, « Barbie » (surnom sous lequel il est connu) a été arrêté, accusé d’avoir commis quatre horribles assassinats. Ses victimes sont toutes des personnes appréciées et aimées dans cette ville. Et toutes, contrairement à Dale Barbara, ont passé l’essentiel de leur vie à Chester’s Mill.

Dans des circonstances normales, on aurait conduit « Barbie » à la prison du comté de Castle Rock ; il aurait eu droit à un coup de téléphone et on lui aurait procuré un avocat s’il n’en avait pas. Il aurait été mis en accusation dans le respect de la procédure et la recherche de preuves — par des experts connaissant leur travail — aurait pu commencer.

Rien de tel ne s’est produit, et nous savons tous pourquoi : à cause du Dôme, qui nous coupe complètement du reste du monde. Mais cela nous oblige-t-il à ne pas respecter les dispositions légales et de simple bon sens ? Aussi choquants que soient ces crimes, rien ne peut excuser des accusations sans preuves formelles, ni la manière dont Dale Barbara a été traité, ni expliquer pour quelle raison le nouveau chef de la police a refusé de répondre à mes questions ou de me permettre, en tant que journaliste, de vérifier que Dale Barbara était encore vivant, alors même que le père de l’une des victimes, Andrew Sanders — notre premier conseiller — a été autorisé non seulement à voir ce prisonnier non inculpé, mais à l’insulter…

« Houlà, dit Rose, levant les yeux. Vous allez vraiment imprimer ça ? »

Julia eut un geste vers les piles de journaux. « C’est déjà imprimé. Des objections ?

— Non, mais… » Rose parcourut rapidement le reste de l’éditorial, qui était très long et prenait de plus en plus la défense de Barbie. Il se terminait par un appel à toute personne disposant d’informations sur les crimes et laissait entendre que, lorsque la crise serait terminée — et cela arriverait certainement —, le comportement des habitants de Chester’s Mill vis-à-vis de ces meurtres serait examiné de très près, non seulement par le Maine et les États-Unis, mais aussi par le monde entier. « Vous n’avez pas peur d’avoir des ennuis ?

— La liberté de la presse, Rose », répondit Pete, d’un ton on ne peut plus hésitant.

« C’est ce qu’aurait fait Horace Greeley », ajouta Julia fermement.

Entendant son nom, le corgi — qui dormait dans un coin, sur sa couverture — releva la tête. Il vit Rose et vint se quémander une caresse, qu’elle lui accorda bien volontiers.

« Disposez-vous d’un peu plus d’informations que ce qu’il y a ici ? » demanda Rose en tapotant l’édito.

« Quelques-unes. Je les garde au chaud pour le moment. J’espère en avoir d’autres.

— Jamais Barbie n’aurait pu faire une chose pareille. N’empêche, je suis très inquiète pour lui. »