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« Il faisait froid sous les patates, au début, puis il s’est mis à faire de plus en plus chaud jusqu’à ce que ça devienne intenable. J’ai cru que j’allais être grillé vif. La grange brûlait juste au-dessus de ma tête. Tout brûlait. Mais la chaleur était telle que tout est allé très vite et c’est peut-être ce qui m’a sauvé. Je ne sais pas. Je suis resté où j’étais jusqu’à ce que la première bouteille soit complètement vide. J’ai dû sortir. J’avais peur que l’autre ait explosé, mais elle n’avait pas bougé. Quelque chose me dit qu’il s’en est fallu de peu. »

Ames approuva d’un hochement de tête. Ollie aspira de nouveau l’air en provenance de l’extérieur du Dôme. Il avait l’impression d’essayer de respirer à travers un tissu épais et sale.

« Et les marches ! Si elles avaient été en bois et pas en béton, j’aurais pas pu sortir. J’ai même pas essayé, au début. Je me suis glissé une fois de plus sous les patates, tellement il faisait chaud. Celles sur le dessus du tas avaient cuit dans leur peau. Je sentais l’odeur. Puis j’ai commencé à trouver difficile de respirer, et j’ai compris que la deuxième bouteille était presque finie. »

Il s’interrompit, de nouveau secoué par une quinte de toux. Puis la toux se calma, il respira et reprit son récit :

« Ce qui me faisait le plus envie, c’était d’entendre encore une fois une voix humaine, avant de mourir. Je suis content que ce soit vous, soldat Ames.

— J’m’appelle Clint, Ollie. Et tu vas pas mourir. »

Mais les yeux qui regardaient à travers le hublot sale au bas du Dôme, des yeux qui paraissaient regarder depuis un cercueil équipé d’une fenêtre, ces yeux-là paraissaient en savoir long. Très long.

9

La deuxième fois que l’alarme se déclencha, Carter sut tout de suite de quoi il s’agissait, même si elle venait de le tirer d’un sommeil sans rêves. Parce qu’une partie de lui-même ne dormirait plus jamais vraiment tant que cette histoire ne serait pas finie, ou tant qu’il ne serait pas mort. C’était sans doute cela, l’instinct de survie, pensa-t-il : avoir un veilleur en permanence sur le qui-vive au fond du cerveau.

Il était dans les sept heures et demie, samedi matin. S’il avait une idée de l’heure, c’est qu’il disposait d’une montre dont le cadran s’allume quand on appuie sur un bouton. L’éclairage de secours s’était éteint pendant la nuit et un noir complet régnait dans l’abri antiatomique.

Il se mit sur son séant et sentit un objet contre sa nuque. La lampe torche qu’il avait utilisée la nuit précédente, pensa-t-il. Il tâtonna, la trouva et l’alluma. Il était couché par terre. Big Jim, lui, était allongé sur le canapé. C’était Big Jim qui l’avait touché avec la torche.

Évidemment, qu’il est sur le canapé, pensa Carter avec ressentiment. C’est lui le patron, pas vrai ?

« Vas-y, fiston. Fais aussi vite que tu peux. » Et pourquoi faut-il que ce soit moi ? protesta Carter… mais pas à voix haute. Parce que le patron était vieux, parce que le patron était gros, parce que le patron avait un cœur en mauvais état. Et parce que le patron était le patron, bien sûr. James Rennie, empereur de Chester’s Mill.

L’empereur des bagnoles d’occase, ouais, c’est tout ce que t’es, pensa Carter. Et tu pues la sueur et l’huile de sardines.

Carter se leva, le rayon de la lampe dansant sur les étagères bourrées de conserves (toutes ces fichues boîtes de sardines !) et passa dans l’autre pièce de l’abri. Un dernier éclairage de secours y fonctionnait encore, mais il donnait des signes de faiblesse et n’en avait plus pour longtemps. Le buzzer de l’alarme était plus fort, émettant un AAAAAAAAAAAAA régulier. Le bruit d’une catastrophe imminente.

Nous ne sortirons jamais d’ici, pensa Carter.

Il braqua la lampe torche sur la trappe du générateur, dont le buzzer continuait de lancer son bourdonnement régulier irritant, bruit qui lui faisait penser, sans qu’il sache pourquoi, au patron quand le patron sortait son sermon. Peut-être parce que les deux bruits avaient un même impératif en commun : Nourris-moi, nourris-moi, nourris-moi. Donne-moi du propane, donne-moi des sardines, donne-moi du sans-plomb pour mon Hummer. Nourris-moi. Je n’en mourrai pas moins, et ensuite tu mourras, mais qu’est-ce que ça fait ? Qui en a quelque chose à foutre ? Nourris-moi, nourris-moi, nourris-moi.

On ne comptait plus que six bouteilles de propane dans la réserve. Quand il aurait remplacé celle qui était presque vide, il n’en resterait plus que cinq. Cinq foutues bouteilles d’une taille ridicule, à peine plus grosses que les Blue Rhino d’un barbecue, entre eux et la mort par étouffement lorsque le purificateur d’air s’arrêterait.

Carter en prit une dans la réserve, mais il se contenta de la poser à côté du générateur. Il n’avait aucune intention de changer de bouteille tant que celle en place ne serait pas complètement vide, en dépit de son AAAAAAAA exaspérant. Sûrement pas. Pas question. Comme dans la pub pour le café Maxwell, bon jusqu’à la dernière goutte.

Certes, l’alarme vous portait sérieusement sur les nerfs. Carter se doutait qu’il pourrait trouver sans peine la façon de la débrancher, mais comment savoir, alors, quand le générateur s’arrêterait ?

Deux rats prisonniers d’un seau renversé, voilà ce qu’on est.

Il fit un peu de calcul mental. Six bouteilles, pouvant tenir environ onze heures chacune. Ils pourraient arrêter la clim, et gagner une heure ou deux de plus par bouteille. Disons douze heures, par prudence. Douze fois six, ça faisait… voyons…

Le AAAAAAAA rendait le calcul plus difficile, mais il y parvint tout de même. Il leur restait soixante-douze heures avant de crever misérablement par asphyxie dans le noir. Et pourquoi étaient-ils dans le noir ? Parce que personne ne s’était occupé de remplacer les piles dans les éclairages de secours, voilà pourquoi. Il aurait parié qu’elles n’avaient pas été changées une seule fois en vingt ans, sinon plus. Le patron faisait des économies. Et pourquoi n’y avait-il eu que sept bouteilles ridicules à la con dans la réserve de propane, alors qu’il y en avait eu un million de gallons à WCIK, n’attendant que l’allumette pour exploser ? Parce que le patron aimait bien que les choses soient là où il voulait qu’elles soient, pardi.

Assis là à écouter l’alarme, Carter se rappela l’un des proverbes qu’aimait à citer son père : dépenser un dollar pour économiser un cent. Ça, c’était Rennie tout craché. Rennie, l’Empereur des bagnoles d’occase. Rennie le politicard voulant jouer dans la cour des grands. Rennie, le roi de la came. Combien de fric s’était-il fait, avec son labo clandestin ? Un million de dollars ? Deux ? Qu’est-ce que ça faisait, en fin de compte ?

Il n’aurait probablement jamais dépensé tout ce pognon, pensa Carter,et sûr et certain qu’il ne va pas le dépenser, maintenant. Y’a rien à dépenser, ici en bas. Il peut bouffer autant de sardines qu’il veut, c’est gratos.

« Carter ? » La voix de Big Jim lui parvint, flottant dans le noir. « Alors, tu la changes, cette bouteille, ou tu préfères écouter l’alarme ? »

Carter ouvrit la bouche, sur le point de gueuler qu’il fallait attendre, que chaque minute comptait, mais juste à cet instant le AAAAAAAA s’interrompit enfin. Ainsi que la pulsation — quip-quip-quip — du purificateur d’air.